Affaire Beterbiev: tout le monde est perdant

Par Jean-Philippe Arcand

Bon… Avant toute chose, récapitulons, si vous le voulez bien.

Artur Beterbiev devait se battre contre l’Allemand Enrico Koelling à Québec le 21 juillet. Le combat devait permettre à Beterbiev de se hisser au rang d’aspirant obligatoire au titre des mi-lourds de l’IBF que détient actuellement Andre Ward.

Or, au cours des dernières semaines, la survie du duel a semblé de plus en plus menacée. Une journée, le combat n’avait plus lieu à Québec. Le lendemain, on se demandait s’il serait plutôt présenté au mois d’août. Puis, on a laissé entendre que le Russe pourrait se battre le 29 juillet au Barclays Center de New York.

En marge du gala présenté au Casino de Montréal, le 15 juin, le Groupe Yvon Michel (GYM) nous assurait qu’un combat pour Beterbiev en juillet était « coulé dans le béton » et que les détails seraient connus lors d’une annonce officielle la semaine suivante.

Mais l’annonce n’est jamais venue. Pas plus que le combat, finalement.

Dans un communiqué envoyé mercredi après-midi, GYM a confirmé l’annulation du choc Beterbiev-Koelling, expliquant que Beterbiev n’avait pu obtenir un visa pour se rendre aux États-Unis. Une demande d’appel aurait elle aussi été rejetée.

« En conséquence, après avoir consulté le président de la IBF, M. Daryl People, le représentant du promoteur d’Enrico Koelling, M. Chris Meyer, ainsi que M. Leon Margules, GYM a pris la décision de se retirer du combat. Selon notre compréhension, l’IBF va redémarrer la procédure d’appel d’offres (purse bid) afin de permettre la tenue prochaine de ce championnat éliminatoire », explique GYM dans son envoi.

Beterbiev n’en aurait pourtant pas été à son premier voyage au sud de la frontière, lui qui a vaincu Alexander Johnson à Chicago il y a deux ans.

Beterbiev réplique

Quelques heures après l’envoi du communiqué de GYM, Beterbiev a répondu aux affirmations du promoteur dans un long message publié sur sa page Facebook. Sans surprise, il impute tout le blâme à GYM pour l’échec de ce combat.

En résumé, Beterbiev prétend que les autorités américaines ont exigé de voir une copie du contrat confirmant la tenue d’un combat aux États-Unis avant de lui accorder un visa d’affaires, et non un visa touristique, comme celui qu’il avait obtenu pour son combat face à Johnson.

Mais voilà, toujours selon Beterbiev, Yvon Michel aurait exigé de lui qu’il abandonne sa poursuite contre GYM avant de lui permettre d’obtenir le visa en question. Beterbiev, rappelons-le, a entamé des recours judiciaires afin de quitter l’écurie du promoteur.

Beterbiev aurait donc refusé de laisser tomber ses démarches, incitant GYM à annuler le combat en prétextant l’histoire du visa refusé.

« Pour être clair, ce combat a été annulé pour une seule raison : GYM qui, une fois de plus, n’arrive pas à répondre à ses obligations contractuelles. C’est uniquement en raison de l’incapacité de GYM de me fournir un contrat signé pour un combat aux États-Unis que je n’ai pu obtenir le visa nécessaire », écrit Beterbiev.

« [Les événements] ont renforcé ma conviction selon laquelle GYM n’a pas l’intention d’honorer ses obligations contractuelles et que je ne souhaite plus jamais être associé à eux. »

-Artur Beterbiev

GYM allait-il en rester là? Bien sûr que non.

Par le biais de multiples publications Facebook, le promoteur a décortiqué chacune des allégations de Beterbiev. Dans ses réponses écrites en lettres majuscules, GYM affirme que le camp du boxeur n’a jamais demandé à obtenir une copie du contrat, et qu’il a tenté d’obtenir un visa sans en informer l’entreprise. De plus, GYM nie catégoriquement avoir exigé que Beterbiev abandonne sa poursuite.

« L’équipe Beterbiev peut prétendre ce qu’elle veut, mais le fait est que GYM a été bon pour sa carrière, l’a placé dans cette position exceptionnelle aux classements, lui a permis de toucher les meilleures bourses parmi tous les aspirants au titre mondial et lui a fourni tout son personnel d’entraîneurs qui a été développé en étroite collaboration avec GYM », affirme le promoteur.

Pas de gagnant

Alors, qui de GYM ou Beterbiev dit vrai dans toute cette histoire? Impossible de trancher pour le moment. On finira bien par en avoir le cœur net un jour.

Ce qui est clair, cependant, c’est que personne ne sortira gagnant de ce lamentable roman-savon.

Beterbiev éprouvait déjà toutes sortes de difficultés à se trouver des adversaires. D’une part, parce qu’il a l’habitude de détruire tous ceux qui se dressent devant lui. D’autre part, parce qu’il n’est pas encore assez connu auprès du public. Comme le prestige associé à une éventuelle victoire contre Beterbiev est encore somme toute modeste, le risque en vaut-il alors la chandelle aux yeux d’un potentiel rival?

Ce fiasco n’aidera en rien le Tchétchène à se forger une réputation enviable. Le plus triste dans son cas, c’est qu’à 32 ans, il jouit d’une superbe position dans les différents classements et il est à deux doigts d’un combat de championnat du monde. Qu’il aurait sans doute d’excellentes chances de remporter, soit dit en passant.

S’il pouvait seulement avoir l’occasion de se battre de temps à autre, le Québec verrait un autre de ses pugilistes avec une ceinture autour de la taille avant longtemps. Mais pour un ensemble de raisons – encore là, peu importe qui dit vrai entre lui et GYM -, il ne se bat pas. Que ce soit malgré lui ou à cause de lui, Beterbiev est en train de gaspiller les plus belles années de sa carrière.

Pour le bien de celle-ci, il doit trouver le moyen de stopper l’hémorragie – que ce soit avec GYM ou quelqu’un d’autre.

GYM, justement, ne se tire pas de ce feuilleton sans égratignures non plus. Et ce n’est pas comme s’il s’agissait des premières au visage du promoteur.

Séparation houleuse avec David Lemieux, divorce tout aussi acrimonieux avec Beterbiev, la saga Stevenson-Kovalev, guerre de mots avec le président d’Eye of the Tiger Management Camille Estephan, trois combats d’Oscar Rivas annulés coup sur coup… Il aura beau prétendre le contraire, la réalité est que l’image de GYM est sérieusement mise à mal depuis quelques années. Avait-il vraiment besoin d’un nouvel épisode comme celui-là?

Bref, que ce soit à tort ou à raison, les fondations de l’empire GYM présentent d’inquiétantes fissures que le promoteur aurait intérêt à colmater au plus vite. Autrement, c’est toute la boxe québécoise qui finira par en payer le prix.

Le plus grand perdant de « l’affaire Beterbiev » demeure toutefois l’amateur de boxe. Pendant que ça se tape sur la gueule sur les réseaux sociaux, il ne passe rien dans le ring.

Il est là, le vrai drame.

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