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Lomachenko est-il vraiment dans une classe à part?

Par Rénald Boisvert

Vasyl Lomachenko est considéré avec raison comme un boxeur exceptionnel. Ses performances sont à couper le souffle. Mais ceci fait-il de lui un boxeur dont le style est unique? Si l’on en juge d’après plusieurs de ses admirateurs, c’est le cas.

Or, la question se pose-t-elle encore, sachant que parmi ses admirateurs, il se trouve de flamboyantes personnalités de la boxe telles que Mike Tyson, Terence Crawford, Teddy Atlas et plusieurs autres? Je crois malgré tout que la question doit être posée. Je me propose donc d’examiner ici quelques-uns des propos élogieux rapportés par l’analyste Wally Downes dans un article.

D’abord, je tiens à faire remarquer que même s’il se dégage de l’article un fort consensus à propos des habiletés de Lomachenko, il y a tout de même lieu de faire la part des choses. En bref, l’enthousiasme ne doit pas conduire à une sorte de mystification du personnage.

La matrice

Plus précisément, je me questionne sur l’emploi de l’expression «la matrice» pour désigner les attributs pugilistiques de Lomachenko. Cette image ne me paraît pas symboliser fidèlement la nature de ses habiletés. Dans l’article, l’auteur mentionne que Lomachenko est surnommé «la matrice» parce qu’il effectue des manœuvres qui transcendent les fondamentaux de la boxe. Est-ce bien cela?

À mon avis, c’est tout le contraire. De façon évidente, l’une des principales caractéristiques de Lomachenko, c’est justement son aptitude à appliquer méthodiquement les règles basiques de son sport. D’une part, sa garde reste haute en tout temps, ce qui lui permet de bloquer, dévier et rouler les coups. D’autre part, même si ses esquives et ses déplacements sont ultrarapides, ceux-ci demeurent conformes aux enseignements prodigués dans les bonnes écoles de boxe.

D’ailleurs, si l’on s’en tient à l’article précité, le célèbre promoteur Bob Arum a affirmé que les habiletés techniques de Lomachenko apparaissent tout simplement incomparables. Je suis tout à fait d’accord avec lui. En réalité, il me semble que l’expression «la matrice» aurait davantage convenu à des boxeurs comme Muhammad Ali ou Roy Jones dont le style défiait les préceptes normalement appliqués par les entraîneurs de boxe.

Une chose est sûre, c’est que le niveau des habiletés du boxeur ukrainien sort de l’ordinaire. Sur ce point, toujours selon l’auteur précité, le boxeur Tony Bellew affirmerait pour sa part que Lomachenko parvient à effectuer plusieurs manœuvres qu’on n’arrive même pas à expliquer. C’est probablement ce genre de raison qui a incité de nombreux commentateurs à davantage le dépeindre sous un vocable moderne.

Hi-tec

Vasyl Lomachenko est fortement associé à la technologie. Ceci s’explique par la très grande fréquence avec laquelle on le montre en train de faire des exercices de type cérébraux. Du coup, ne se trouve-t-on pas à suggérer que ces jeux neuronaux sont essentiellement à l’origine de ses performances pugilistiques? 

Une fois de plus, il faut éviter le piège de la mystification. La tentation est forte d’attribuer principalement les succès de Lomachenko à cette forme d’entraînement. Or, le développement d’un boxeur d’élite est beaucoup trop complexe pour le réduire de la sorte. Quoiqu’efficace, l’entraînement du cerveau en regard de la performance sportive n’est que l’un des déterminants parmi d’autres.

Par ailleurs, comme la boxe reste un milieu conservateur, il ne pouvait pas y avoir de meilleur ambassadeur que Lomachenko pour accréditer ce type d’entraînement. Il est clair que la boxe gagne à prendre en compte le caractère entraînable du cerveau. Par exemple, on reconnaît de nos jours plus aisément qu’on doit améliorer non seulement la vitesse proprement dite (gestuelle), mais aussi la vitesse de réaction (cérébrale) ainsi que les capacités cognitives dont celle-ci dépend (concentration, vision périphérique, traitement de l’information visuelle, etc.)

Or, quoiqu’importants, les outils technologiques sont loin de suffire au développement des capacités cognitives des athlètes. En réalité, ces outils sont complémentaires. Le sparring (combat d’entraînement ouvert et dirigé) demeure encore le moyen privilégié pour améliorer les adaptabilités de l’athlète à combattre. C’est pourquoi, dans la planification de l’entraînement, le recours à ces outils technologiques doit prendre une place importante, mais pas au point où ceux-ci interféreraient avec les autres déterminants pouvant influer sur la performance des boxeurs.

Les habiletés de Lomachenko ne se réduisent pas à des performances cognitives. Pour être aussi technique, ce boxeur a dû consacrer à la technique une bonne partie de ses entraînements. Il en est de même pour sa motricité, pour son endurance physique ainsi que pour tous les autres aspects qu’on ne saurait limiter à un entraînement strictement cognitif.

Que l’on me comprenne bien : je crois fermement au développement des facultés cognitives ainsi qu’à l’utilisation des outils technologiques visant à améliorer la performance sportive. Mais de là à y attacher une importance démesurée, il y a un pas que je ne franchirai pas. Je suis donc d’avis que l’on doit éviter de laisser entendre que les performances de Lomachenko pourraient être ramenées essentiellement à l’utilisation d’outils technologiques.

La raison est simple. Elle est de nature pédagogique. Nos jeunes boxeurs ont tendance à répéter, parfois jusqu’à l’obsession, ce qui leur semble expliquer les succès de leur idole. Alors que cette facette souvent spectaculaire n’est qu’une simple composante de l’entraînement, le cas échéant, ces jeunes boxeurs lui consacreront beaucoup trop de temps avec pour conséquence qu’ils négligeront d’autres aspects de l’entraînement.

Lomachenko ne se démarque pas par une habileté particulière. En réalité, il fait tout bien! Il est peut-être en ce moment le boxeur le plus complet de la planète. C’est d’ailleurs cet avantage qui lui permet d’effectuer autant d’ajustements lors d’un combat. En même temps, ce besoin de faire des ajustements ne révèle-t-il pas certaines limites? Or, Lomachenko n’a pas à être surhumain. C’est à mon avis ce qu’on doit comprendre de la manière dont il a livré son tout dernier combat.

Lomachenko n’est pas une machine

Dans son combat contre Luke Campbell qui s’est tenu le 31 août 2019, Vasyl Lomachenko n’a laissé aucun doute dans l’esprit des connaisseurs en ce qui concerne sa supériorité. Par ailleurs, l’anglais a surpris. Il a obligé Lomachenko à apporter plusieurs correctifs à sa stratégie.

Dès le premier round, Campbell est parvenu à embêter Lomachenko grâce à son jeu de jambes et sa capacité de se maintenir à longue distance. Il a donc fallu que l’Ukrainien se démène pour réussir à s’approcher à courte distance. Bien sûr, il s’est ajusté en raison des angles qu’il a donnés et qui lui ont permis de prendre Campbell à contre-pied.

À trois reprises dans le combat, Lomachenko a ébranlé l’anglais sans pouvoir le finir. Même si celui-ci s’est retrouvé en mauvaise posture, il a tenu le coup. Lomachenko n’est pas parvenu à le casser (énergétiquement). C’est probablement pourquoi Lomachenko a choisi de ne pas trop insister pour le finir. Il aurait pu essayer et peut-être y parvenir. Mais je crois qu’il a voulu se montrer prudent. Dans ce combat, Lomachenko a dû quand même trimer dur. Il a dépensé beaucoup d’énergie à se déplacer dans le but d’immobiliser Campbell, souvent sans y parvenir. Selon moi, il a fait un calcul de ses estimations en énergie pour choisir de renoncer au knock-out. En agissant de la sorte, Lomachenko montrait qu’il n’était pas la machine que certains attendaient de lui.

Conclusion

Il est assez aisé de reconnaître que Vasyl Lomachenko dispose d’un arsenal imposant sur le plan technique et athlétique. Mais ce n’est pas tout. Il se distingue également par son aptitude à bien gérer l’énergie dans un combat. Contre Campbell, cela a paru évident étant donné qu’il a manifestement levé le pied à plusieurs reprises. Mais je crois que la gestion d’énergie a été présente dans tous ses combats. C’est seulement qu’elle se manifestait autrement.

Par exemple, c’est en variant le niveau d’intensité et de puissance dans ses combinaisons de coups que Lomachenko parvient le plus souvent à gérer ses efforts. Il utilise également des feintes tout en réduisant le nombre et l’étendue de ses déplacements, ceci toujours dans le but d’optimiser la qualité de ses performances sur une base soutenue jusqu’à la toute fin du combat. Par conséquent, il n’est nul besoin d’identifier Lomachenko à quelque chose de surhumain. Ses habiletés tout aussi exceptionnelles qu’elles soient n’ont rien de surhumaines. Et n’y a-t-il rien de plus humain que de vouloir gérer l’allure d’un combat?

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