Boxe québécoise pour tous les amateurs francophones – 12rounds.ca

Qu’est-ce que le «peek-a-boo style»? L’exemple de Floyd Patterson

Par Martin Achard

Il y a 59 ans aujourd’hui, le 30 novembre 1956, Floyd Patterson mettait la main sur le titre (alors vacant) des poids lourds en signant une spectaculaire victoire par T.K.-O. au cinquième round contre le légendaire Archie Moore, lors d’un combat tenu au défunt Chicago Stadium.

d39e325c7af55956f82e3232f45cdc39Moore était le favori pour ce duel, mais il fut facilement dominé par Patterson, et ce, pour deux raisons. D’une part, Patterson, qui n’était alors âgé que de 21 ans, était beaucoup trop rapide pour «The Old Mongoose», qui même s’il demeura jusqu’en 1962 environ un boxeur d’élite, accusait quand même un peu, le soir du 30 novembre 1956, le poids de ses 42 ans. D’autre part, toute la science de boxe et la finesse stratégique de Moore se révélèrent inefficaces contre le style de Patterson, à savoir le «peek-a-boo style» que lui avait inculqué son entraîneur, et inventeur du «peek-a-boo», Cus D’Amato.

Qu’est-ce exactement, en boxe, que le «peek-a-boo style»? Dans la mémoire collective actuelle, le style est associé à celui de Mike Tyson (également un protégé de Cus D’Amato), mais la nature exacte du «peek-a-boo» est souvent mal comprise. Preuve en est que de plus en plus de journalistes ou de commentateurs l’assimilent purement et simplement au fait, pour un pugiliste, d’adopter une garde haute, alors que le «peek-a-boo» constituait en réalité un système de boxe complet, permettant en principe de faire face à toute situation susceptible de se présenter dans un ring.

L’une des meilleures façons de mieux comprendre en quelques minutes ce qu’est vraiment le «peek-a-boo» est d’observer attentivement l’approche technique et stratégique de Patterson lors de son combat contre Moore. Cet exercice d’analyse permettra de constater les éléments suivants:

060511patterson1) Le «peek-a-boo» est d’abord et avant tout un style défensif qui, certes, exige du boxeur qu’il garde les mains hautes en tout temps, mais aussi qu’il demeure généralement bas et bouge constamment la tête, et ce, de façon imprévisible afin d’empêcher l’adversaire de déceler des «patterns» et donc de tendre des pièges ou de «timer» des attaques. Pour en arriver à ne jamais offrir avec la tête une cible stationnaire, il est bien entendu nécessaire de maîtriser à la perfection les manœuvres défensives classiques comme le «slip», le «duck», le «bob» et le «weave».

2) Concernant la garde, le praticien du «peek-a-boo» ne se contente pas de toujours tenir ses mains hautes pour protéger son menton; il adopte aussi lorsqu’il ne frappe pas une position des bras et des coudes précise, grâce à laquelle le foie sera protégé par le bras droit et le plexus solaire par le bras gauche.

3) Même si, de par la position de ses mains, le praticien du «peek-a-boo» forme un bouclier étanche devant son menton, il prend soin de renforcer cette protection en gardant autant que possible son menton bas et collé sur la poitrine.

350px-Floyd_Patterson_Archie_Moore_Nov_30_1956___jpg4) La protection pour ainsi dire naturelle qui, dans le «peek-a-boo», est apportée par la bonne position de tout le corps, permet au boxeur qui le pratique de tenter sans trop de risques une manœuvre offensive qui est autrement considérée comme dangereuse, à savoir attaquer un adversaire qui se situe à moyenne ou à longue distance au moyen d’un crochet accompagné d’un «step in», sans faire précéder le crochet d’un jab. (Voulez-vous, dans le combat Patterson-Moore, un exemple extrêmement clair de cette manœuvre, réalisée avec succès? Attardez-vous au magnifique crochet de gauche qui, au cinquième round, produit le premier knock-down et qui constitue, dans les faits, le «coup de grâce», Moore n’arrivant en effet jamais à reprendre ses esprits après avoir été atteint par cette frappe.)

5) Le praticien du «peek-a-boo» utilise abondamment le jab, et il s’applique à toujours le lancer avec puissance.

6) Il fait suivre chaque manœuvre offensive d’une manœuvre défensive (par exemple un jab suivi d’un «duck», ou un crochet suivi d’une série de «weaves»). Point absolument essentiel, dont il ne faut pas sous-estimer l’importance: cette manœuvre défensive est effectuée de façon PRÉVENTIVE et non pas simplement RÉACTIVE.

7) En situation de corps-à-corps, le boxeur qui pratique le «peek-a-boo» lance des rafales de crochets avec de «mauvaises intentions», c’est-à-dire comme s’il essayait chaque fois de mettre K.-O. son adversaire. Il n’a pas à craindre d’attaquer avec autant de résolution et, ce faisant, de trop s’exposer à des contre-attaques, car son arsenal défensif complet lui permettra, dans l’immense majorité des cas, de se protéger efficacement des répliques de son adversaire ou, du moins, de sortir gagnant de l’échange.

F20866Quand on fait le somme de tous ces éléments, on comprend sans peine pourquoi Muhammad Ali a déjà déclaré que les quatre meilleurs boxeurs qu’il a affrontés au cours de son illustre carrière étaient Sonny Liston, Joe Frazier, George Foreman et … Floyd Patterson. «The Greatest» précisa même que, parmi les quatre, Patterson était celui qui, sur le plan purement technique, possédait les meilleures habiletés.

Terminons en signalant une anecdote amusante, et même attendrissante: la journée où il remporta le titre des poids lourds contre Moore, Patterson devint également … papa d’une petite fille de six livres et deux onces! Son épouse donna en effet naissance à l’enfant quatre heures avant le début du combat, mais l’entourage de Patterson préféra ne lui révéler la bonne nouvelle qu’immédiatement après sa victoire, de façon à ne pas troubler sa concentration. Une fois au fait de la situation, le nouveau champion, plutôt que de célébrer son triomphe à Chicago comme prévu, choisit de prendre la route avec deux de ses amis et de rouler pendant toute la nuit de même qu’une bonne partie de la matinée pour rejoindre son épouse à New York, à 1100 km de distance. Parions que, jusqu’à la fin de ses jours, Floyd Patterson se souvint du 30 novembre et du 1er décembre 1956 comme de deux journées magiques, et particulièrement bien remplies de son existence!

 

One Comment

  1. rené

    6 décembre 2015 at 18 h 17 min

    merci monsieur achard pour le partage de vos connaissance sur ce merveilleux sport 🙂

Laissez un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *