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Comment Joe Frazier remporta le «combat du siècle»

Par Martin Achard

Il y a 46 ans aujourd’hui, le 8 mars 1971, avait lieu à New York le «combat du siècle» : le premier affrontement entre Muhammad Ali et Joe Frazier, remporté par décision unanime des juges par «Smokin’ Joe». Afin de rendre hommage à la brillante performance de ce dernier, dont le point d’orgue fut un knockdown de «The Greatest» au 15e et dernier round, j’ai compilé diverses informations sur la préparation exemplaire à laquelle se soumit Frazier pour ce duel, l’une des grandes clés de son succès contre un adversaire plus grand, plus gros et, à la base, plus doué et talentueux que lui. On y trouvera la preuve de la détermination absolue et du très grand sérieux à l’entraînement du boxeur de Philadelphie, dont l’endurance exceptionnelle et l’amour inconditionnel du combat demeurent des sommets rarement égalés dans l’histoire du noble art.

Voici les six faits saillants :

1. Frazier établit son camp d’entraînement au Concord Hotel dans le nord de l’état de New York, un endroit relativement isolé qu’il connaissait bien et qui lui permit de se concentrer exclusivement sur sa préparation. Quant à Ali, il tint, comme à son habitude, son camp à Miami, un lieu qui offrait de multiples distractions, mais qu’il jugeait néanmoins préférable à celui choisi par son rival. Comme il l’expliqua en effet dans l’une des tirades dont il avait le secret : «Frazier est seul là-haut et la solitude n’est pas bonne. Ici en Floride, je rencontre des gens, je bois chaque jour du jus d’orange ou de carotte frais, et j’absorbe du vrai soleil jusqu’aux os. Frazier est là-haut à manger de la nourriture d’hôtel. Moi, j’ai deux gentilles dames qui vont au marché tôt le matin et achètent les meilleurs produits, et quand je rentre chez moi en soirée, tout est bien cuisiné, avec un bouillon de légumes et peut-être un peu d’agneau. Pas de porc ou de fruits de mer, cependant. Ce sont des charognards et je mange casher». Notons que, en dépit des dires d’Ali, rien n’atteste que Frazier se contentait de manger de la «nourriture d’hôtel», et que son entourage et lui négligeaient la qualité de son alimentation.

2. Chaque matin, vers 6 heures, Frazier effectuait 6 miles de course autour d’un lac glacé, en pleine nature, de façon à respirer seulement de l’air pur. «Smokin’ Joe» adorait le jogging et fut pendant toute sa vie un bruyant défenseur de l’importance capitale de la course pour les boxeurs. L’une de ses citations les plus connues à cet effet est la suivante : «Vous pouvez avoir un plan pour le combat, mais lorsque l’action débute, il peut ne pas fonctionner, et tout devient alors question de réflexes, c’est-à-dire de préparation. C’est alors que le temps et les efforts réels que vous avez investis à faire du jogging deviendront clairs aux yeux de tous. Si vous avez manqué d’assiduité au travail dans la noirceur des petites heures du matin, eh bien, vous en subirez les conséquences à ce moment, sous la lumière vive des projecteurs».

On notera que l’entraîneur d’Ali, Angelo Dundee, prescrivait en général à ses boxeurs de courir des distances plus courtes, allant de 3 à 5 miles par jour. Comme il l’expliqua en effet lors d’une entrevue donnée dans les années 1980 : «Je veux des boxeurs, pas des marathoniens!». Une curiosité : selon Dundee, les 3 à 5 miles pouvaient être parcourus à n’importe quelle vitesse, incluant … à la marche, le but premier de la course étant selon lui de tonifier les jambes, et non pas de développer les capacités cardio-vasculaires.

3. Fidèle aux coutumes de sa ville de résidence, Frazier livra des guerres sans merci à ses partenaires d’entraînement lors de ses séances de sparring, faisant endurer à ces derniers un véritable enfer. Comme le révèle l’une des notes récemment publiées de Dave Wolf, qui avant de devenir gérant avait trempé dans le journalisme sportif et fut pendant plusieurs années un proche du médaillé d’or olympique de 1964, visitant régulièrement ses camps d’entraînement : «Joe Frazier n’arrive pas à comprendre le manque de désir de certains de ses sparring partners. Il mange et il vit avec eux. Seuls les plus durs sont capables de survivre longtemps à ses côtés». Tout le contraire du comportement d’Ali, dont l’approche nonchalante et décontractée en combat simulé poussa son entraîneur, Angelo Dundee, à déclarer publiquement quelques semaines avant le 8 mars : «Dans un gymnase, il est le pire boxeur que j’ai jamais vu!».

4. Frazier renforça sa capacité à encaisser des coups au corps en subissant quelques fois par semaine la torture d’un medicine ball de 18 livres lancé sur lui, mais Ali n’eut jamais recours à ce procédé dans sa routine d’entraînement. Certains observateurs se questionnèrent sur ce fait, et émirent l’hypothèse que, trop soucieux de son apparence, il ne voulait pas voir son corps couvert de marques.

Peut-être aussi que le choix d’Ali et de ses entraîneurs dénotait une conception différente et, sur ce point, moins «old school» de la préparation physique. Comme l’écrit en effet Frazier dans son livre, Box Like the Pros : renforcer son corps en encaissant l’impact d’un medicine ball «est ce que Joe Louis et Rocky Marciano et Henry Armstrong et Sandy Saddler faisaient. Certains entraîneurs aujourd’hui vous diront que c’est une mauvaise méthode, qui n’a aucune utilité pour raffermir votre corps, mais ils ont tort. Les boxeurs de la vieille école étaient des durs et étaient en forme, et le medicine ball les aidait à l’être. (…) Servez-vous du medicine ball correctement, et vous serez le boxeur le plus résistant dans le ring le soir du combat!».

5. Lors de son camp, Frazier n’étudia pas de films des combats d’Ali pour se préparer, et il ne chercha à apporter aucune modification, même minime, à son style. La raison de ce fait est simple: ses entraîneurs, Yank Durham et Eddie Futch, s’étaient employés depuis plusieurs années à lui donner tous les outils pour avoir une efficacité maximale contre Ali, en prévision d’un combat qui, dans leur esprit, allait forcément se réaliser un jour. Ils considéraient donc que le style de «Smokin’ Joe» était à point, et ne requérait aucun ajustement.

Les principaux éléments du style de Frazier qui devaient favoriser son succès étaient les suivants : bouger constamment le tronc afin d’esquiver les coups et de se positionner plus facilement à courte distance; demeurer penché afin de forcer Ali à frapper vers le bas (ce qu’il n’avait pas l’habitude de faire); et frapper abondamment au corps, afin d’affaiblir Ali et de ne pas lui donner la chance d’utiliser ses habiles esquives lorsque frappé en direction de la tête.

Une préparation un peu plus spécifique eut toutefois lieu sur le plan stratégique. Entre autres, Eddie Futch avait remarqué que la mécanique de l’uppercut de la droite d’Ali était incorrecte et le plaçait dans une position vulnérable, laissant sa tête à découvert pendant une trop longue période de temps. Il donna donc à Frazier l’instruction de lancer un crochet de gauche par-dessus l’uppercut d’Ali (voir la photo à la une de cet article), une stratégie qui fonctionna si bien qu’elle produisit le knockdown du 15e round .

6. De façon générale, Ali ne démontra pas le même sérieux que Frazier dans sa préparation. Des journalistes remarquèrent qu’il lui arriva de manquer des séances d’entraînement. Sa consommation abondante de Pepsi fut aussi notée, et explique sans doute en partie pourquoi, sur certaines photos prises avant le combat, il apparaît légèrement ventru. À l’inverse, l’assiduité de Frazier fut sans faille. Dans son livre Box Like the Pros, «Smokin’ Joe» indique avec précision quelle était sa routine d’entraînement alors qu’il était champion du monde. En voici la base, qui pouvait subir de jour en jour quelques variations :

– Réchauffement : 2 rounds
Shadow boxing : 2 rounds
Sparring : 2 à 12 rounds
– Sac de sable : 3 rounds
Speed bag : 3 rounds
– Frappes sur des mitaines ou sur un double-end bag : 3 rounds
– Exercices avec le medicine ball sous la direction de l’entraîneur
– Saut à la corde : 5 à 15 minutes
– Exercices callisthéniques : 3 séries de 25 push-ups et 3 séries de 10 pull-ups

Telle fut la préparation de Joe Frazier en prévision du 8 mars 1971. Les notes de Dave Wolf révèlent qu’il ne dormit pas dans la nuit du 7 au 8, tant était grande sa nervosité. Les mêmes notes révèlent aussi que Frazier, malgré tout, demeura lucide dans les heures précédant l’affrontement. Il considérait comme bonnes ses chances de l’emporter, mais envisageait également la possibilité d’une défaite, dont il n’aurait toutefois pas à rougir. Les dieux de la boxe, sans doute impressionnés par sa préparation exemplaire, lui furent cependant favorables. Devant la foule du Madison Square Garden, qui était largement contre lui et encourageait son adversaire, il domina «The Greatest» et imposa à la postérité une conclusion immuable, qui ne pourra jamais être niée: le grand Joe Frazier, et non pas Muhammad Ali, a remporté le combat du siècle.

2 Comments

  1. Guylain Ramsay

    8 mars 2014 at 13 h 52 min

    Merci Martin; très intéressant d’avoir ces détails!

  2. 12 rounds

    10 mars 2014 at 16 h 15 min

    Merci Guylain. Ça fait toujours plaisir de recevoir tes commentaires!

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