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Qu’est-ce qu’un maître boxeur? L’exemple de Benny Leonard
- Mis à jour: 31 mars 2017
Par Martin Achard
Je me propose dans le présent article de faire ressortir certains éléments-clés de la boxe pratiquée par Benny Leonard, le champion des poids légers de 1917 à 1925. Pourquoi avoir choisi un tel sujet d’article? Quel en est l’intérêt? Et quels arguments préalables puis-je invoquer pour inciter un lecteur à visionner des extraits, flous et saccadés, d’un combat presque centenaire, mettant en vedette des pugilistes complètement oubliés aujourd’hui?
Répondre de façon exhaustive à ces questions exigerait plusieurs pages de développements, et alourdirait par conséquent l’introduction d’un article que je désire aussi court et facile à lire que possible. Je me permettrai donc, en guise de prologue, d’invoquer un argument d’autorité, puis d’en tirer une conséquence, dont le contenu exact et les ramifications deviendront plus clairs non pas seulement dans les développements qui suivent, mais dans d’autres écrits que je ferai paraître bientôt.
L’argument d’autorité est le suivant. Dans les classements contenus dans le livre bien connu de Teddy Atlas et de Bert Sugar, The Ultimate Book of Boxing Lists, Leonard pointe, toutes catégories de poids confondues, et pour l’ensemble de l’histoire, à la toute première place des boxeurs les plus intelligents, à la deuxième place des meilleurs «ring generals» (derrière nul autre que Sugar Ray Robinson), et à la deuxième place des meilleurs techniciens (encore une fois derrière Sugar Ray Robinson)!
Quelle conséquence découle de ce fait? Elle est simple: Leonard fournit un exemple privilégié, peut-être le meilleur qui soit, pour mieux comprendre certaines vérités fondamentales concernant la nature de la boxe comme sport, les styles de boxe, et les qualités et caractéristiques des «maîtres boxeurs», par quoi j’entends les rares pugilistes dont la science de boxe mérite d’être qualifiée de «totale».
Les deux sens du mot «intelligence» en boxe
Je prendrai, comme base et fil conducteur de mon analyse, la qualité dont Leonard était le plus fier, et dont le caractère sans pareil est reconnu à juste titre par Atlas et Sugar: son incroyable intelligence de la boxe. Mais que veut-on dire, en matière de noble art, par «intelligence»? Essentiellement deux choses.
Le mot renvoie, premièrement, à la connaissance des stratégies et des manœuvres utilisables dans un ring, un point auquel Leonard accordait une importance extrême. Nous savons en effet que le «Ghetto Wizard» (dont un autre surnom était «The Great») passait en moyenne huit heures par jour au gymnase, période au cours de laquelle, en plus de s’entraîner physiquement, il scrutait les autres boxeurs et leur prodiguait des conseils. Sa soif d’apprendre était telle que, même dans ses années de maturité, il continuait à regarder avec une attention religieuse des séances de sparring entre novices, une occupation qui suscita un jour une expression de surprise de la part de l’entraîneur Ray Arcel. L’explication que lui offrit Leonard fut laconique, mais claire: «il est impossible de prédire le moment où l’un de ces jeunes fera accidentellement quelque chose que je pourrai utiliser dans le ring»[i]! Et que valaient les conseils de Leonard aux autres pugilistes? Qu’on en juge par cette anecdote. Alors que le futur champion du monde des poids lourds Gene Tunney se préparait pour son combat revanche contre Harry Greb, qui lui avait servi une correction quelques mois plus tôt, Leonard lui recommanda de frapper Greb au cœur chaque fois que ce dernier allongeait le bras gauche, afin de lui saper son énergie. La tactique porta fruit et permit à Tunney de venger sa seule défaite en carrière.
Mais l’intelligence en boxe ne se résume pas à cet aspect, axé sur la connaissance pure. Pour qu’un boxeur soit dit «intelligent», encore faut-il qu’il soit capable, en situation de combat réel, de mettre concrètement et constamment en œuvre ses connaissances techniques et stratégiques, en plus de faire preuve d’adaptabilité et d’opportunisme face à des adversaires redoutables, bien préparés et rusés. Leonard en était tellement conscient qu’il avait donné à cette dimension de l’intelligence pugilistique un nom: l’«énergie mentale»[ii]. Et il lui arrivait souvent, avant ses combats, de prédire sa victoire en faisant valoir qu’il possédait plus d’«énergie mentale» que ses adversaires. Une telle affirmation pourra paraître curieuse pour les amateurs d’aujourd’hui, habitués à entendre les combattants vanter, par exemple, leur «vitesse», leur «force de frappe» ou leur «expérience», mais la réalité que cherchait à souligner Leonard par cette expression ne devrait, quant à elle, pas surprendre, puisque trois boxeurs nous ont offert, au cours des dernières années, quantité d’exemples marquants de l’importance déterminante que peut revêtir une «énergie mentale» supérieure dans le ring, à savoir Bernard Hopkins, Floyd Mayweather Jr et Andre Ward.
En cherchant ainsi à cultiver et à privilégier par-dessus tout l’intelligence pugilistique, Leonard poursuivait un but clair: être en mesure de dominer toutes les facettes d’un combat, ce qui m’amène directement à mon prochain point.
Remporter la bataille du positionnement dans le ring
L’une des meilleures façons de dominer un combat est, bien entendu, d’en dicter l’allure, et la meilleure façon d’en dicter l’allure consiste à remporter la bataille du positionnement dans le ring. Par conséquent, le socle même de la boxe pratiquée par Leonard, la base sur laquelle se déployait toute sa maestria technique et stratégique, résidait dans un jeu de jambes excellentissime. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder n’importe quelles séquences de quelques dizaines de secondes du combat d’où je tirerai dans la suite tous mes exemples, soit le premier duel entre Leonard et Lew Tendler, disputé le 27 juillet 1922 à Jersey City au New Jersey[iii]. On notera au passage que Tendler était lui-même un boxeur de grande élite, qui fut considéré pendant longtemps, et est encore considéré par certains, comme l’un des meilleurs gauchers de l’histoire. Voici la version la plus complète qui existe du duel, dans lequel Leonard défendit avec succès sa couronne des poids légers en remportant un «newspaper decision».
Les extraits visionnés au hasard montreront à l’évidence que Leonard maîtrisait à la perfection toutes les subtilités du jeu de jambes, entendu dans le sens défini dans le remarquable ouvrage de 1928, Boxing, de l’ancien champion mondial des mi-lourds Philadelphia Jack O’Brien, c’est-à-dire comme une activité «dont le but n’est pas de faire étalage de souplesse et d’habileté en tant que danseur, mais plutôt de se déplacer rapidement et efficacement au moment opportun afin d’obtenir un avantage défensif ou offensif sur l’adversaire». On sera particulièrement frappé, en admirant Leonard se mouvoir, par sa capacité à demeurer presque toujours en parfait équilibre, donc prêt à décocher instantanément des coups de qualité. C’est d’ailleurs l’un des points sur lesquels il l’emporte le plus manifestement sur Tendler, qui en tant que combattant avait une approche et des qualités à certains égards semblables aux siennes, mais qui se retrouvait plus fréquemment en déséquilibre.
L’une des conditions essentielles d’une boxe fondée sur le jeu de jambes est évidemment la suivante: posséder une endurance cardiovasculaire et une endurance musculaire au niveau des jambes absolument sans faille. On pourra ouvrir à nouveau la vidéo plus haut et aller directement aux 11e et 12e rounds, les deux derniers de l’affrontement, pour constater que Leonard possédait également au plus haut point ces qualités. S’il en est ainsi, c’est évidemment parce qu’il leur accordait une importance cruciale dans son entraînement, beaucoup plus grande, manifestement, que celle qu’il accordait au développement d’une musculature proéminente au niveau des bras et des épaules (une préoccupation qui, si elle s’était avérée trop grande chez lui, aurait probablement interféré de manière néfaste avec d’autres composantes de son entraînement).
Faire reposer sa boxe sur un jeu de jambes excellentissime confère par ailleurs immédiatement un énorme avantage, à savoir la possession de la meilleure défensive qui soit, et ce, à un double titre. Je cite de nouveau Philadelphia Jack O’Brien, qui explique ce point avec concision: «Plus un boxeur développera son jeu de jambes, moins il utilisera ses bras pour se protéger. Grâce à des esquives et à des pas de côté bien exécutés et opportuns, il pourra 1) éviter presque tous les coups et 2) conserver l’usage de ses deux bras pour contre-attaquer», car «un jeu de jambes intelligent», précise O’Brien, «permettra d’éviter les coups de l’adversaire tout en demeurant à portée pour l’atteindre». En rapport avec ces explications, voici trois extraits particulièrement intéressants. Dans le premier, Leonard, après avoir lancé une droite et une gauche, se protège si brillamment de deux charges de Tendler que, même s’il n’effectue aucune contre-attaque, il donne néanmoins l’impression de remporter la séquence. Dans le second, alors que Tendler le menace avec sa main avant, il effectue pour se protéger un très léger pas de côté vers sa droite et profite de l’ouverture ainsi créée pour toucher la cible avec une solide main arrière. Enfin, dans le troisième, il utilise, d’une façon qui rappelle un jeune Muhammad Ali, des pas courts et précis pour frapper Tendler avec des coups longs tout en se mettant immédiatement hors d’atteinte de contre-attaques.
Remporter la bataille du positionnement dans le ring implique aussi la condition suivante: ne jamais se faire emprisonner dans les câbles ou dans un coin. Je cite encore une fois quelques lignes du livre de Philadelphia Jack O’Brien, car elles donnent l’impression d’avoir été écrites pour décrire spécifiquement l’approche de Leonard sur ce point. «Quand le boxeur qui s’est fait acculer dans les câbles ou dans un coin est prêt, il effectue une manœuvre preste et retrouve ainsi sa liberté. (…) Il n’existe pas de règles absolues quant aux méthodes pour se sortir d’un coin. (…) Diversifiez vos manières, car si vous ne maîtrisez qu’une seule façon, votre adversaire s’en apercevra rapidement et il en profitera pour lancer un coup puissant et bien placé, au moment exact où vous effectuerez votre manœuvre». Dans la dernière phrase en particulier, O’Brien touche à un aspect essentiel, qui caractérise plusieurs dimensions de la boxe de Leonard, et sur lequel j’aurai l’occasion de revenir dans un instant: son imprévisibilité. À preuve, ces quatre séquences, dans lesquelles il varie admirablement les façons de s’échapper des câbles ou d’un coin.
Exceller dans le combat à toutes les distances
Cependant, même le boxeur doté du meilleur jeu de jambes pourra devoir se mesurer à un adversaire qui saura lui imposer sa façon de se battre et menacera ainsi de dicter l’allure du combat. Concrètement, cette menace prend souvent la forme suivante: être obligé de se battre à de plus courtes distances alors qu’on souhaiterait se battre à de plus longues[iv], ou vice versa. Par conséquent, un boxeur qui, comme Leonard, se fait un point d’honneur de posséder tous les outils pour conserver – autant que possible et peu importe le type de circonstances auquel il est confronté dans le ring – la maîtrise du combat, devra être capable de se battre avec brio à toutes les distances.
À cette raison, de nature pour ainsi dire «réactive» d’exceller à toutes les distances, s’ajoute une raison de nature «pro-active». En effet, indépendamment de la nécessité de pouvoir bien répliquer aux manœuvres réalisées avec succès par un adversaire, posséder une excellente boxe de loin comme de près donne la capacité à un pugiliste de faire varier, de son propre chef, les endroits d’où il pourra attaquer avec efficace son rival. Inutile de dire que cette capacité, de par les options stratégiques et l’imprévisibilité qu’elle rend possibles, avait absolument tout pour séduire un combattant aussi cérébral que Leonard!
Mais comment arriver à exceller dans le combat à toutes les distances, un niveau de boxe que bien peu de pugilistes atteignent? Pour introduire la réponse à cette question, je ferai mention d’un débat ayant fait rage dans les années 1910, soit à l’époque où Leonard entamait sa carrière professionnelle. Ce désaccord opposait les tenants de l’«outfighting» (principalement des boxeurs britanniques), qui estimaient qu’il était nettement plus profitable de se battre à de plus longues distances, aux tenants de l’«infighting» (avant tout des boxeurs américains), qui considéraient qu’il était grandement préférable de se battre à de plus courtes. En bref, le contentieux se résumait à la question suivante: la boxe est-elle l’art du combat de loin, ou l’art du combat de proche? La réponse qui s’imposa rapidement (entre autres grâce aux écrits du grand champion français Georges Carpentier) est, bien entendu, qu’elle est une combinaison des deux. Mais ce débat, pour bien curieux qu’il puisse paraître aujourd’hui, semble avoir eu un effet extrêmement positif sur Leonard et les meilleurs entraîneurs du temps: leur faire concevoir la boxe comme un sport composé de deux arts distincts, possédant chacun leur logique et leurs techniques offensives et défensives propres: l’«outfighting» et l’«infighting». La conséquence qui en découle immédiatement pour un boxeur désireux d’apprendre à briller à toutes les distances est la suivante: il lui faudra développer une compréhension aiguë des deux types de logique, et s’astreindre à maîtriser fonctionnellement le plus grand nombre possible de techniques à toutes les distances, incluant donc des techniques de natures très différentes.
Voici divers exemples dans lesquels Leonard démontre sa finesse et sa virtuosité technique à toutes les distances.
Plus longues distances
Des coups droits vraiment droits
J’ai déjà traité dans un article sur Sergey Kovalev de l’importance qu’accordaient les entraîneurs et théoriciens du passé à la capacité de lancer des coups parfaitement droits, par quoi ils n’entendaient pas, comme nous en sommes venus à le faire aujourd’hui, «à peu près droits» ou «presque droits», mais bel et bien «parfaitement droits». L’une des raisons de cette importance? Frapper de façon vraiment straight, c’est-à-dire en gardant le coude complètement à l’intérieur, permet de maximiser la portée[v] et donc d’atteindre l’adversaire d’aussi loin que possible.
Voici quelques extraits offrant une démonstration éclatante de ce fait. Dans les trois premiers, Leonard frappe parfaitement droit avec la main avant, ce qui signifie qu’il exécute un jab impeccable sur le plan technique; dans les trois derniers, il le fait avec la main arrière, qui fonctionne alors presque comme un jab. On appréciera aussi au passage, en regardant les extraits, la capacité de Leonard de décocher ses coups absolument sans avertissement, afin d’optimiser ses chances de surprendre l’adversaire.
J’ouvre ici une parenthèse, car je soupçonne que certains de mes lecteurs demeurent dubitatifs quant à l’importance réelle que beaucoup d’anciens boxeurs et entraîneurs accordaient à la capacité de frapper vraiment droit. Je les inviterai d’abord à consulter mon article sur Sergey Kovalev mentionné plus haut, dans lequel je cite des sources anciennes. Puis je leur propose de regarder et surtout d’écouter les séquences suivantes du combat entre Marvelous Marvin Hagler et John «The Beast» Mugabi, disputé en 1986 pour la couronne mondiale unifiée des poids moyens. L’analyste de ce combat est Gil Clancy, un entraîneur new-yorkais de la très vieille école qui dirigea entre autres l’entièreté de la carrière amateur et professionnelle de l’ancien champion des mi-moyens et des moyens Emile Griffith. En tant qu’entraîneur, Clancy est aujourd’hui membre de l’International Boxing Hall of Fame, et comme analyste, il a notamment remporté le prix d’excellence en journalisme radiophonique et télévisuel de la Boxing Writers Association of America. Entre autres, Clancy était reconnu pour sa faculté hors pair à percevoir promptement les éléments déterminants lors du déroulement d’un combat, c’est-à-dire ceux qui dictent la logique profonde de l’action.
Or quel fut, selon lui, l’un de ces éléments déterminants dans le combat Hagler-Mugabi? D’abord une mise en contexte: au premier round, Hagler, un boxeur ambidextre, décida d’adopter une garde classique, c’est-à-dire de placer son bras gauche et son pied gauche à l’avant; mais, à partir du deuxième, il privilégia une fausse garde, ce qui fit de sa gauche sa main arrière. Il n’eut alors besoin que de lancer cette gauche six ou sept fois au deuxième round pour que Clancy détecte et verbalise un problème qu’il jugeait notable, tellement à vrai dire que, alors qu’il n’était pas dans ses habitudes de se répéter, il en parla quatre autres fois dans les quatre rounds suivants! Voici tous les extraits:
Mais pourquoi, demandera-t-on, cette incapacité d’Hagler à frapper de façon droite avec sa gauche joua-t-elle un rôle-clé dans le combat? Après tout, «Marvelous» ne l’a-t-il pas emporté au final de façon convaincante, par K.-O. au 11e round? Oui, certes, mais l’affrontement s’avéra beaucoup plus serré que ne l’avait prévu la quasi-totalité des analystes, qui s’attendait à voir le champion en titre dominer plus nettement et stopper en quelques rounds son aspirant. Pendant les cinq premières reprises, comme le nota d’ailleurs Clancy, le seul élément qui départagea un peu les deux combattants fut la qualité du jab de la droite d’Hagler, qualité qui tient en partie au fait que ce coup était … vraiment droit. Lors des quinze premières minutes du combat, relativement à tous les autres aspects, les deux boxeurs firent contre toute attente jeu égal. Or il paraît indéniable qu’Hagler aurait pu prendre beaucoup plus tôt un ascendant marqué s’il avait lancé sa gauche d’une façon techniquement plus correcte lorsqu’il était à plus longues distances. Qu’on en juge en effet en visionnant de nouveau au ralenti ces deux extraits, et en s’imaginant que son allonge compte quelques centimètres de plus.
Je terminerai cette parenthèse en attirant l’attention sur l’une des observations de Clancy dans le troisième des extraits plus haut. Il y signale que la gauche d’Hagler n’est pas droite comme elle l’est d’habitude, c’est-à-dire comme elle l’avait été dans ses combats précédents. En clair, le grand champion trahit sur ce point une régression technique. Quelle leçon en tirer? Elle est simple: tous les boxeurs, même ceux du meilleur calibre, doivent toujours continuer à cultiver consciemment les bases, sous peine de prendre de mauvais plis.
Le jab, mais aussi le «lead»
Dans mon article sur Sergey Kovalev, j’avais également expliqué que les anciens entraîneurs et boxeurs distinguaient nettement du «jab» un coup qu’ils appelaient le «lead» (ou le «jolt») de la main avant, et qui consistait en une frappe non pas seulement droite, mais impliquant aussi, au moyen d’une technique précise appelée le «falling step», une projection de poids considérable sur le pied avant, qui avait pour effet de décupler la puissance du coup et de le transformer en arme susceptible de produire des K.-O. ou des knockdowns. Pour les anciens, ce coup (que nous appellerions aujourd’hui un «power jab») revêtait une importance capitale, à telle enseigne qu’il devait absolument faire partie de l’arsenal de tout boxeur aspirant à l’excellence. De façon prévisible, Leonard offre quelques beaux exemples de cette technique.
Certains estimeront peut-être que la rareté relative avec laquelle Leonard utilise dans son premier combat contre Tendler le «lead» cadre mal avec l’importance accordée à ce coup dans les sources anciennes. Il faut toutefois comprendre ceci: même lorsque le «lead» est utilisé avec parcimonie et ne produit pas un résultat décisif, il conserve une utilité, comparable par exemple à celle de tenter une très longue passe au football américain ou canadien, même si elle rate. En lançant en effet un coup de longue portée aussi puissant, un boxeur crée chez son rival une appréhension de voir le coup exécuté à nouveau, ce qui lui intimera un certain respect et pourra causer chez lui des hésitations. Le boxeur qui maîtrise et utilise à bon escient le «lead» en retirera donc toujours des bénéfices concrets dans le ring.
Plus courtes distances
Un «chaos» riche en finesses
Les gens qui connaissent mal la boxe ont tendance, en voyant des pugilistes qui préfèrent demeurer à plus longues distances, à les déclarer «techniques», et en voyant des pugilistes qui cherchent à se battre à plus courtes, à les taxer de «bagarreurs» et de «moins techniques». Ces associations, largement répandues, tiennent à plusieurs causes, dont les deux que voici. D’une part, le combat à plus courtes distances donne souvent l’impression d’être plus brouillon ou chaotique, notamment parce que les combattants y lancent d’ordinaire plusieurs coups, incluant des coups en rafale. D’autre part, les frappes en situation de combat rapproché suivent une trajectoire courbe, ayant donc l’allure générale des coups utilisés par les combattants n’ayant pas été techniquement formés, les combattants de rue par exemple.
De telles associations sont toutefois radicalement fausses. De la même manière, en effet, qu’un boxeur préférant se battre de loin peut commettre des fautes techniques en lançant par exemple un simple jab, un boxeur qui choisit d’attaquer de près peut le faire avec art et en déployant une panoplie de manœuvres raffinées. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer Leonard à l’œuvre dans cette séquence d’une trentaine de secondes.
Sur le plan offensif, on constatera d’abord l’aisance avec laquelle le «Ghetto Wizard» décoche des crochets des deux mains, de même que l’uppercut de la main arrière. On sera aussi attentif au fait qu’il lance un beau «shovel hook», un coup qui, pour être bien exécuté, doit faire l’objet d’un apprentissage, car il présente des particularités techniques souvent ignorées ou mal comprises. Voici l’extrait précis.
J’ouvre ici une parenthèse pour parler du «shovel hook». Dans son livre Championship Fighting. Explosive Punching and Aggressive Defense (qui a la réputation d’offrir l’une des meilleures, sinon la meilleure description de la mécanique des coups en boxe), l’ancien champion des poids lourds Jack Dempsey consacre des développements lumineux à ce type de frappe, qui peut être lancé autant avec la main avant qu’avec la main arrière, et que nous désignons souvent aujourd’hui par l’expression «mi-uppercut, mi-crochet». Dempsey y insiste toutefois pour dire que le «shovel hook», lorsqu’il est bien exécuté, ne saurait être considéré comme un type d’uppercut[vi], c’est-à-dire comme un uppercut dans lequel la trajectoire du poing partirait d’un endroit différent (davantage sur le côté) que dans un uppercut «normal». Comme il l’explique en effet, deux caractéristiques techniques caractérisent un bon «shovel hook»: premièrement, le boxeur qui lance ce coup, en même temps qu’il projette son poing, doit faire «tournoyer son corps subitement de façon telle que sa hanche [du même côté que son poing] s’élève en suivant une trajectoire circulaire comparable à celle qu’on retrouve dans l’action de pelleter» (d’où le nom de «shovel hook»); deuxièmement, le boxeur doit faire contact avec sa cible principalement au moyen de ses «striking knuckles», par quoi Dempsey entend les jointures de l’auriculaire, de l’annulaire et du majeur, afin d’assurer la transmission la plus directe possible de la puissance créée par le mouvement du corps. Or la première de ces deux caractéristiques induit une différence mécanique essentielle entre le «shovel hook» et l’uppercut, car dans un uppercut correctement lancé, «la hanche a tendance à se déplacer ou à s’effacer vers le côté [opposé au poing], un peu comme la hanche d’un homme qui frappe une balle de golf». Les «shovel hooks» sont donc bel et bien, comme l’indique leur nom, une sorte de crochet, et ils ne peuvent être ramenés, sous le rapport de la technique, à une sorte d’uppercut, pas même à un «mi-uppercut».
Dempsey est également limpide, dans son livre, quant à l’efficacité potentiellement dévastatrice des «shovel hooks». Entre autres, selon lui, le boxeur qui aura appris, à force de patience et d’application, à bien les exécuter, possèdera «l’un des coups les plus puissants de l’arsenal humain»[vii]. Le mieux ici est de laisser Dempsey démontrer lui-même ce fait. Voici donc comment, d’un seul «shovel» de la main avant, le «Manassa Mauler» passa en 1927 un spectaculaire K.-O. au futur champion des poids lourds Jack Sharkey. Il est impossible, en visionnant ces images, de ne pas être émerveillé par le caractère à la fois extrêmement compact et explosif du coup appliqué par Dempsey.
Fermons toutefois cette parenthèse et revenons à l’extrait d’une trentaine de secondes où Leonard se bat à de plus courtes distances, montré plus haut. Sur le plan défensif cette fois, on constatera que Leonard, qui pourtant se tient toujours droit à plus longues distances, multiplie les mouvements de tronc prononcés à des fins défensives. Ce constat illustre la différence de «logique», à laquelle je faisais allusion plus haut, qui existe entre l’«outfighting» et l’«infighting». Leonard, grâce à son cerveau souple et aiguisé (et à sa fameuse «énergie mentale»), n’éprouve aucune difficulté à modifier instantanément et complètement sa façon de se battre en fonction de la distance qui le sépare de son adversaire, c’est-à-dire à mettre en œuvre des techniques radicalement différentes selon les cas.
De façon particulièrement intéressante, on remarquera que, à la manière des boxeurs qui ont pratiqué à un haut niveau le style «peek-a-boo» développé par Cus D’Amato, par exemple Floyd Patterson et Mike Tyson, il effectue ces mouvements de tronc prononcés non pas seulement en réaction aux contre-attaques de Tendler, mais également de façon préventive, ce qui est préférable en situation de combat rapproché où le temps de réaction dont bénéficient les boxeurs est souvent minime. Autrement dit, on trouve chez Leonard la conception selon laquelle une manœuvre complète à courtes distances sera idéalement composée de deux actes différents, mais intégrés en un tout unique: une attaque, par exemple un crochet de la main avant, suivie immédiatement d’un mouvement défensif, par exemple une inclinaison du buste vers l’avant et/ou une roulade du tronc. Voici les deux extraits où ce fait ressort avec le plus de netteté.
Enfin, on trouve dans l’extrait long montré plus haut une illustration d’un principe de grande importance, que je signale rapidement. En effet, concevoir la boxe comme composée à la base de deux arts distincts, l’«outfighting» et l’«infighting», a comme conséquence de mettre en relief un troisième genre de situation fondamentale dans le ring, soit la transition entre les distances. Or lors des phases de transition, des occasions particulières s’offriront aux boxeurs astucieux comme Leonard, par exemple de surprendre l’adversaire, au besoin grâce à un coup délivré de façon moins technique qu’à l’accoutumée. En doutez-vous? Alors regardez de nouveau cet extrait.
La boxe: un pur «sport de frappe»?
Il est courant de voir la boxe classifiée comme un pur «sport de frappe» et, en effet, parmi les sports de combat, elle est très pure. Mais l’est-elle entièrement? On passe trop souvent sous silence que le noble art renferme un élément de préhension (grappling), qui se réalise lorsque l’un ou les deux boxeurs accrochent. Évidemment, Leonard était un maître dans cet aspect aussi.
Avant de visionner des extraits qui l’illustrent, une note s’impose toutefois. Car force est de reconnaître que, sous les rapports des niveaux et des types d’accrochage tolérés entre les câbles, la boxe a beaucoup changé depuis un siècle. Alors qu’à l’époque de Leonard, il était courant pour les pugilistes de devoir passer plusieurs minutes d’un combat en situation d’accrochage, et d’être forcés de se sortir eux-mêmes de la situation, les arbitres d’aujourd’hui tendent à séparer hâtivement les combattants et à réprimander ceux qui s’y montrent trop actifs. La maestria de Leonard se verrait donc à plusieurs égards brimée dans les conditions actuelles.
Examinons néanmoins certaines de ses manœuvres. Je me contenterai d’une description sommaire, car une analyse plus complète conviendrait mieux dans le cadre d’un autre écrit, consacré spécialement à l’accrochage.
D’abord, plutôt que de demeurer passif en situation d’accrochage, Leonard cherchait à profiter des occasions qui s’offraient à lui de lancer des coups dotés d’une certaine puissance.
Ensuite, l’une de ses techniques préférées consistait à faire tourner son rival, souvent en le saisissant derrière la tête d’une façon qui rappelle certaines techniques pratiquées en boxe thaïlandaise.
Enfin, il aimait faire tourner son adversaire et enchaîner avec des frappes dans les ouvertures ainsi créées, frappes qui incluaient des uppercuts bien sûr, mais aussi des «shovel hooks». Dans le second des extraits plus bas qui le montrent, on sera également attentif au superbe blocage de la gauche de Tendler qu’il réalise avec sa main droite. On l’aura probablement noté: lorsque Léonard est à plus longues distances, il n’utilise jamais les blocages, préférant avoir recours à des techniques défensives plus raffinées. Il est toutefois indéniable que, à plus courtes distances, les blocages sont quelquefois la seule option qui s’offre. Donc Leonard les pratiquait aussi.
J’ajoute ici quelques observations. Considérant l’importance que l’accrochage pouvait revêtir dans le déroulement des combats livrés dans les premières décennies du 20e siècle, les anciens manuels accordaient aux techniques qui s’y rapportent une importance fondamentale et en faisaient des habiletés de base devant être maîtrisées par tout boxeur[viii]. Tout le contraire donc de la réalité que nous connaissons maintenant depuis assez longtemps, où l’on voit même des pugilistes «d’élite» ignorer comment accrocher efficacement ou se déprendre d’un adversaire qui accroche, ce qui montre manifestement que ces techniques ne sont plus couramment enseignées. Il s’agit d’un état de fait que certains estimeront peut-être normal étant donné l’évolution dans le comportement des arbitres que j’ai décrite plus haut, mais on peut légitimement se demander si nous ne sommes pas tombés dans une forme d’excès et dans une perte de raffinement regrettable. Ceux qui voudront se faire une meilleure idée sur la question pourront constater l’efficacité que peuvent avoir, encore aujourd’hui, les techniques «old school» en matière d’accrochage, en visionnant quelques combats d’un boxeur récent qui se faisait une fierté d’en maîtriser plusieurs: Bernard Hopkins.
Trois autres aspects
Être un boxeur cérébral et complet comme Leonard comporte évidemment quantité d’autres aspects. Dans la dernière partie de cet article, j’en signalerai trois qui ressortent avec netteté dans le combat Leonard-Tendler 1.
Le premier touche à l’importance des feintes en boxe. Comme l’explique Mike Gibbons, un très bon boxeur d’antan, dans son livre de 1925 How to Box, feinter est la clé du «ring generalship», car il s’agit entre autres de la façon pour un pugiliste de recueillir des informations sur la manière dont un adversaire réagira à ses manœuvres, de même que sur ce que l’adversaire tente lui-même de faire. Or on pourra visionner à nouveau n’importe quels extraits de quelques dizaines de secondes de l’affrontement Leonard-Tendler 1 pour constater que le champion en titre des poids légers s’appliquait à feinter continuellement avec les bras (observez-le aussi au passage: la même chose pourrait être dite de son excellent aspirant). Et même si les images du duel sont trop floues pour nous permettre de vraiment l’apercevoir, les anciens témoignages sont formels et unanimes: Leonard feintait aussi massivement de toutes les autres façons possibles, incluant par exemple avec les épaules ou même les yeux.
Le second aspect se rapporte à la capacité de bien percevoir et comprendre ce qui se passe dans le ring et de réagir promptement pour changer l’allure d’un combat, lorsque besoin est. On l’aura peut-être remarqué: les cinq premiers rounds sont relativement partagés, et Tendler se montre particulièrement efficace dans la cinquième reprise, où il boxe avec rythme et arrive généralement à faire reculer Leonard. Le «Ghetto Wizard» allait-il se laisser faire ainsi? La réaction du maître ne se fit pas attendre. Dès le début du sixième, on le voit attaquer Tendler avec vigueur à plus courte distance, afin de briser son rythme et de le déstabiliser.
Toujours dans le but de casser le rythme de Tendler, il tente par ailleurs au sixième des attaques surprises, comme dans cette séquence où il se décale subitement vers sa gauche et touche avec un puissant crochet de la main arrière. On prêtera également attention au deuxième coup qu’il lance dans l’extrait, un autre coup de puissance, cette fois un crochet de la gauche exécutée techniquement à la perfection. Cette seconde frappe rate la cible, mais le message envoyé à Tendler est sans ambiguïté, encore une fois: «si tu te transformes trop en pressure fighter et cherches constamment à t’approcher de moi, je possède toutes les armes requises pour te faire mal».
Enfin, dans les dernières secondes du round, Leonard – qui avait jusque-là un peu négligé de frapper au corps – place une lourde droite au flan de «Lefty» Lew, afin de lui saper son énergie.
Quel résultat eurent tous ces procédés? Regardez le septième round: Tendler y est beaucoup, beaucoup moins porté sur l’attaque qu’au cinquième…
Le troisième aspect que je tiens à souligner concerne la capacité de garder la tête parfaitement froide entre les câbles, quoi qu’il advienne. Rien ne démontre mieux cette qualité de Leonard que l’extrait que voici, qui est sans doute, parmi tous ceux que je fais voir dans cet article, mon préféré. Au début de l’extrait, le grand maître Leonard, qui tirait orgueil de sa perfection technique, a l’air d’un … débutant malhabile lorsqu’il fend lourdement l’air avec un large crochet de la main arrière, ce qui le place dans une position apparemment vulnérable! Allait-il se laisser désarçonner par ce fait, quelque peu gênant pour lui? Regardez plutôt comment il réagit à la charge immédiate de Tendler, qui, pour sa part, croyait pouvoir profiter du déséquilibre de son adversaire pour fondre sur lui et le frapper avec facilité.
Autrement dit, Leonard conserva un flegme olympien et il fit immédiatement oublier sa bourde en servant à Tendler une manœuvre défensive spectaculaire et de haut niveau. Également tout à fait magnifique à voir, selon moi, est la désinvolture avec laquelle, à la fin de la séquence, il remonte sa culotte, comme si absolument rien ne venait de se passer! Comment ne pas profondément admirer un comportement aussi impérial dans le ring? Comme on le comprendra maintenant, je l’espère, une telle assurance, si absolue, ne reposait pas sur de fausses illusions de Leonard quant à sa valeur ou à ses capacités, mais s’appuyait bien plutôt sur la conscience, rationnelle et objective, de détenir une science de boxe pleine, entière et totale.
Je serai bref dans ma conclusion, car j’ai le sentiment d’avoir exprimé l’essentiel dans les pages qui précèdent. Je m’en voudrais toutefois de ne pas effectuer, en terminant, un lien entre mon analyse et le remarquable article publié récemment par Rénald Boisvert, «Styles de boxe: faire tomber les barrières!». Dans cet écrit, Boisvert encourage les entraîneurs à initier leurs boxeurs à différents styles de boxe et à «tous les éléments techniques qui les composent», afin de faire s’accroître leur «capacité de polyvalence et d’adaptation», et de leur donner une «profondeur dans l’exécution de leur sport». Or je pose la question suivante: croyez-vous que l’immortel «Ghetto Wizard» Benny Leonard, qui cent ans après sa conquête du titre des poids légers, représente toujours la crème de la crème en matière d’intelligence pugilistique et de «ring generalship», aurait été en accord ou en désaccord avec la position défendue par Boisvert?
Je dis que poser la question, c’est y répondre.
Notes
[i] Leonard adhérait donc à plein à l’idée, qui se trouve formulée dans le livre Fundamentals of Boxing d’une autre très grande légende des années 1920 et 1930, Barney Ross, selon laquelle les trois buts essentiels de l’entraînement en boxe consistent à 1) amener la vitalité physique à son sommet, à 2) peaufiner les habiletés techniques et à 3) parfaire les connaissances stratégiques.
[ii] Un autre qui en était conscient est l’ancien champion du monde des poids mouches Jimmy Wilde, qui affirme dans son court essai de 1927, The Art of Boxing, qu’un «esprit vif» est l’un des trois talents de base les plus importants en boxe.
[iii] J’ai choisi cet affrontement car il est l’un des deux combats de Leonard actuellement disponibles sur le Web. L’autre est son duel de 1932 contre Jimmy McLarnin. En 1932, Leonard était âgé de 36 ans et tentait un retour – motivé par des pertes financières lors du krach boursier de Wall Street trois ans plus tôt – après avoir été inactif de 1924 à 1931. Ses habiletés avaient alors grandement diminué et l’on ne saurait juger de sa valeur en regardant sa performance contre McLarnin, pas plus qu’on ne saurait juger par exemple des habiletés de Sugar Ray Leonard en regardant son combat contre Hector Camacho.
[iv] Afin de simplifier mon exposé, je vais utiliser dans le présent article l’expression «plus longues distances» pour désigner à la fois la «longue distance» et la «moyenne distance», et l’expression «plus courtes distances» pour désigner à la fois la «courte distance» et la «très courte distance». En accord avec les explications données dans le livre de Jack Dempsey, Championship Fighting. Explosive Punching and Aggressive Defense, j’entends par «longue distance» la distance à laquelle un boxeur peut atteindre son adversaire grâce à un coup droit et à un déplacement du pied avant; «moyenne distance» la distance à laquelle il peut l’atteindre grâce à un coup droit sans déplacement des pieds; «courte distance» la distance à laquelle il peut l’atteindre avec une frappe où le bras est plié à angle droit (ou approximativement); et «très courte distance» la distance à laquelle il peut l’atteindre avec une frappe extrêmement compacte, par exemple un uppercut où le bras est plié au maximum ou presque.
[v] Si vous avez besoin de vous en convaincre, placez-vous devant un mur à la distance exacte où votre poing touche au mur quand vous avancez le bras avant ou arrière en maintenant le coude bien à l’intérieur, puis tentez, sans bouger davantage les jambes ou le tronc, de toucher à nouveau le mur en étendant le même bras, mais en sortant cette fois le coude, ne serait-ce que légèrement. Vous constaterez alors clairement l’un des avantages de frapper vraiment straight.
[vi] L’erreur était apparemment courante à son époque, et elle semble encore répandue aujourd’hui. Voir par exemple: https://www.youtube.com/watch?v=CfngycvnI28
[vii] Je signale un autre détail fascinant: selon Dempsey, qui avait livré dans sa jeunesse des centaines de combats libres dans des tavernes et autres endroits de même acabit, les «shovel hooks» sont, avec les «leads», les coups les plus utiles pour les combattants à poings nus qui privilégient les frappes avec les mains. Car voyez-vous, la question de la meilleure façon pour un boxeur d’affronter un lutteur par exemple ne s’est pas posée pour la première fois en Amérique du Nord avec l’avènement des arts martiaux mixtes dans les années 1990. Elle s’était en effet déjà posée à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, quand la boxe était le sport de combat et d’auto-défense par excellence. Dempsey considérait que la meilleure approche dans un combat libre contre un adversaire dont les habiletés sont inconnues est de le frapper d’entrée de jeu avec un maximum de force de la plus longue distance possible, afin de minimiser ses occasions de mettre en œuvre ses habiletés. Mais que faire si cette approche ne fonctionne pas et que l’adversaire, qui s’avère être un lutteur, arrive à s’approcher et commence à agripper? Il faut alors évidemment le frapper avec un maximum de puissance à très courte distance, d’où l’utilité capitale des «shovel hooks».
[viii] Comme l’écrit Philadelphia Jack O’Brien dans son livre précédemment cité: «L’accrochage est l’une des branches les plus importantes de la boxe, particulièrement d’un point de vue défensif. Il s’agit d’un véritable art qui n’a rien à voir avec la force brute». Par conséquent, conclut O’Brien, il est nécessaire de consacrer aux techniques d’accrochage «beaucoup d’entraînement», autant par exemple qu’aux différentes façons d’esquiver les coups. Barney Ross dit essentiellement la même chose dans l’ouvrage dont j’ai parlé plus haut dans la note i.