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Fathi Missaoui, qu’est-il devenu ?

Par Jean-Luc Autret

Régulièrement, la grande équipe de 12 rounds se fait demander si nous avons des nouvelles de différents boxeurs que l’on a vus sur les rings d’ici il y a peu de temps ou très longtemps. Nous avons le plaisir de vous offrir cette seconde chronique : que sont-ils devenus? Rappelons que notre première édition mettait en vedette Olivier Lontchi.

Tout comme pour Lontchi, Fathi Missaoui est introuvable au Québec depuis plusieurs années. Le Tunisien a choisi de retourner dans son pays d’origine après avoir vécu ici pendant onze ans. En plus de vous donner des nouvelles de lui, nous en profitons pour faire un bilan de sa carrière. 

De boxeur à entraîneur olympique

L’excitant Fathi Missaoui a eu une courte carrière professionnelle de seulement douze combats, mais il a marqué la mémoire de bien des amateurs de boxe au tournant du millénaire. Arrivé au Québec en 1998 avec dans ses bagages une médaille de bronze aux Jeux d’Atlanta deux ans plus tôt, il a quitté la belle province en 2010 pour retourner dans son pays d’origine la Tunisie. Aujourd’hui, il est l’entraîneur-chef de l’équipe nationale tunisienne et il a accompagné cinq boxeurs à Londres, puis ce fut deux pugilistes tunisiens qui se sont qualifiés pour les jeux de Rio l’été dernier.

« J’ai eu une très belle carrière comme boxeur amateur avec plus de 220 combats. J’ai été six fois champions de Tunisie, j’ai remporté les qualifications africaines en vue des Jeux de 1996, puis je suis revenu chez d’Atlanta avec une médaille de bonze. J’étais le second Tunisien à remporter une médaille à des jeux d’été, toutes disciplines confondues, ça faisait 24 ans que ce n’était pas arrivé. Maintenant, je travaille fort pour former de futurs champions olympiques qui feront encore mieux que moi. Je souhaite conserver ce poste pendant encore cinq-six ans et après j’aimerai passer à un niveau supérieur » nous explique l’homme de seulement 43 ans.

Voici Fathi Missaoui face au représentant de l’Algérie, un pays voisin, en quart de finale aux Jeux olympiques d’Altanta en 1996. Cette victoire serrée, avec un pointage de 16-15, lui a permis de décrocher une prestigieuse médaille olympique.

Comment s’est-il retrouvé au Québec ?

Retournons un peu dans le passé pour mieux comprendre le parcours de Fathi Missaoui au Québec. La délégation canadienne aux Jeux d’Atlanta dirigé par Yvon Michel compte un gros contingent de 11 athlètes incluant les Claude Lambert, Jean-François Bergeron, Troy Ross, Hercules Kyvelos et le médaillé d’argent David Defiagbon. 

Moins de deux ans plus tard, les investissements de Hans-Karl Mühlegg mènent à la création d’InterBox. Le premier gala a lieu le 3 avril 1998 et met en vedette les Stéphane Ouellet, Éric Lucas et Dale Brown. Quelques semaines plus tard, Bernard Barré, qui est alors en charge du recrutement, reçoit un téléphone pour le moins surprenant.

Crédit : Guillaume Bégin

« Je me rappelle très bien comment nous avons recruté Fathi. J’étais en poste avec InterBox que depuis quelques semaines lorsqu’un Tunisien installé à Montréal m’a contacté pour m’offrir les services de Missaoui. Comme je savais parfaitement c’était qui, je l’avais remarqué à Atlanta, je l’ai immédiatement invité à venir faire un essai à Montréal. J’aimais de lui particulièrement sa grande taille pour son poids, sa puissante main droite et le fait qu’il soit un styliste que les amateurs allaient aimer.  Quand il est arrivé, il ne parlait qu’arabe. Ni français ni anglais, je l’ai installé dans un appartement à proximité du Centre Claude-Robillard et on a réussi à se comprendre malgré la barrière de la langue », explique l’ancien recruteur en chef d’InterBox.

« Quand je suis arrivé à Montréal, j’étais pas mal seul au monde, mais rapidement je me suis senti très bien accueilli par tous. D’abord par Stéphan Larouche, qui s’occupait de moi quotidiennement, puis par les amateurs qui m’ont accepté comme l’un des leurs très rapidement. J’ai facilement appris le français et je me suis intégré très aisément. Deux ans après mon arrivée au Québec, j’avais déjà participé à huit combats professionnels », affirme celui qui est rapidement devenu une coqueluche du public québécois.

Les danseuses tunisiennes…

Plusieurs amateurs se souviennent probablement des célèbres danseuses qui accompagnaient Fathi Missaoui lors de ses entrées sur le ring. Le volubile Bernard Barré nous révèle quelques secrets sur cet élément qui a frappé l’imaginaire de plusieurs. « Monsieur Mühlegg aimait bien les entrées des boxeurs. Il aimait le côté « spectacle » de la boxe et pour lui, ça prenait une grande importance. Avec Fathi, on avait trouvé deux danseuses, des jumelles identiques, qui en réalité étaient des Ontariennes. Si tu ne leur parlais pas, tu pouvais penser qu’elles étaient Tunisiennes car elles en avaient le look. Je n’étais pas chaud à l’idée de les voir accompagner Fathi dans sa marche vers le ring, car moi ce qui m’intéresse, c’est la boxe, mais monsieur Mühlegg aimait ce genre de spectacle, heureusement pour tout le monde ».

« La première fois où elles ont fait le travail, lors du combat contre André Blais, il y a eu quelques ratés dans le déroulement. ESPN était là et on avait stoppé les deux filles en bas du ring. Les gens du réseau étaient fâchés contre moi et ça avait fini un peu mal. Mais monsieur Mühlegg avait vraiment beaucoup aimé ça. Il m’avait dit : ‘‘Ça les prend à tous les combats de Fathi. Arrange ça comme tu voudras, tu leur fais signer un contrat’’. Finalement, au bout d’un certain temps, on s’est rendu compte qu’elles étaient rendues aussi populaires que Fathi. C’est tellement vrai que dans le cadre d’une réunion de production avec Super Écran, qui télédiffusait nos galas à l’époque, les gens de la production m’avaient mentionné qu’ils recevaient des appels afin de savoir non pas si Fathi serait sur la carte, mais bien les danseuses du ventre. Au bout du compte, ça faisait un beau mélange et la popularité de Fathi en a juste bénéficié ».

Aspirant mondial malgré quelques détours

Fathi Missaoui progresse rapidement. En mars 2000, il fait sa première finale devant 4000 spectateurs au Centre Molson. C’est nul autre que les Stéphane Ouellet, Leonard Dorin, Joachim Alcine et Angel Manfredy qui sont en sous-carte de Missaoui.  « Mon combat avec Greg Johnson est l’un de mes plus beaux souvenirs. J’affrontais pour ma première finale, un gars qui avait fait la limite avec Alain Bonamie et Hercules Kyvelos. Je l’ai envoyé au plancher au 3e round et j’ai obtenu un TKO à la fin du 6e round. Ce fut son dernier combat », nous raconte le puissant boxeur.

Quelques semaines plus tard, tandis qu’il se prépare pour son prochain combat, il s’entraîne à Buskhill, en Pennsylvanie, sous la supervision d’Hector Roca. Missaoui reçoit un coup qui provoque un déchirement de la rétine. Malgré tout, le Tunisien n’en souffre pas et ignore alors la gravité de sa blessure. Au début d’avril, le boxeur passe des examens de suivi et le décollement de la rétine est constaté et il est immédiatement opéré. « Heureusement, avec Interbox, on fait des tests pratiquement à chaque mois pour les yeux, mais aussi d’autres tests plus généraux. J’ai donc eu la chance de découvrir que j’avais cette blessure », explique-t-il à l’époque.

Par la suite, Missaoui remonte sur le ring lors d’un gala tenu le vendredi précédant le Grand Prix de Montréal, comme quoi la tradition de mélanger boxe et Formule un est loin d’être récente. Cette fois-ci, c’est Dale Brown qui est en vedette et il devient champion canadien. De son côté, le Tunisien est sans pitié pour son rival albertain qu’il achève au 3e round.

À la mi-août, en plein coeur des Internationaux de tennis féminin à Montréal, Fathi Missaoui est la vedette d’un gala au Centre Molson l’opposant à l’Américain Eddie Hall. Un gars qui a fait la limite avec Alain Bonamie, Dave Hilton et avec Stéphane Ouellet à deux reprises. Tout comme les trois autres québécois, Missaoui décroche une victoire par décision au terme de huit rounds. À l’époque, le journaliste de RDS, Martin Dion affirme : « Après Hall, Missaoui rêve de faire une razzia de la famille Hilton! Il va fort probablement affronter Alex Hilton le 8 septembre, et il a aussi demandé à Interbox de lui servir sur un plateau d’argent l’aîné de la famille Hilton. Le Tunisien aimerait battre Davey avant la fin de l’année 2000 ».

Le 8 septembre, c’est la Gattimania avec le grand retour d’Arturo Gatti et le 3e duel entre Stéphane Ouellet et Dave Hilton. Pas moins de 18 150 spectateurs s’entassent dans le Centre Molson pour applaudir les Gatti, Ouellet VS Hilton et Leonard Dorin. Mais Missaoui n’est pas opposé à Alex, c’est plutôt Alex Lubo qui est invité et il s’incline par décision majoritaire au bout de 8 rounds, mais Alex est tellement décevant qu’il est hué du 5e round jusqu’à l’annonce de la décision. Lubo est un Colombien installé en Floride qui traine une fiche d’une victoire à ses sept derniers combats, Kyvelos lui a passé le KO en 3 rounds neuf mois plutôt. Le Tunisien a donc toutes les raisons du monde d’être déçu de ne pas faire partie de ce grand événement.

Deux mois plus tard, le 3 novembre 2000, devant une maigre foule de 3107 spectateurs, Fathi Missaoui est la vedette d’un gala d’InterBox, avec comme récompense le titre vacant NABO des 154 livres. Son rival est un gaucher entraîné par Emmanuel Steward qui compte plus de 200 rounds d’expérience et qui est classé 7e par l’IBF avant le combat. Andrew Murray a notamment vaincu par KO Alain Boismenu et il s’est battu en championnat du monde face à Ike Quartey quelques années auparavant. À l’époque, « Fightsnews » affirmait qu’InterBox faisait une erreur en mettant Missaoui face à Murray.

« Je m’attendais à un combat difficile, mais ça bien été. C’était la première fois que je faisais un 12 rounds », se rappelle-t-il. Au terme du combat, les trois juges lui ont accordé la victoire en remettant des cartes de 116-113, 116-112 et 115-113. Tout comme Martin Dion plus haut, le quotidien La Presse rapporte la rumeur qui laisse entendre que Missaoui doit se frotter à Dave Hilton le 15 décembre. Finalement, le célèbre membre de la famille Hilton se retrouve à la mi-décembre en championnat du monde des super moyens face à Dingaan Thobela, bien qu’Hilton ne pesait que 160.5 livres lors de la pesée. 

Des négociations difficiles 

Après la victoire de Missaoui face à Murray, RDS titre : «Missaoui sauve InterBox». À l’époque, l’organisation dirigée par Yvon Michel a beaucoup de difficulté a géré Stéphane Ouellet, Éric Lucas est blessé à la main droite, Joachim Alcine est convoité par un promoteur américain, le style de Dale Brown n’attire pas les foules et les carrières de Kyvelos et Bergeron progressent lentement. Outre Missaoui, Leonard Dorin est l’autre vedette en croissance chez InterBox. La victoire d’Hilton en décembre est un baume pour l’organisation, mais avant même ce gain de l’aîné des Hilton, le procès à venir d’inceste est un fait public.

Crédit : Guillaume Bégin

En février 2001, Fathi décide de se rendre aux États-Unis pour être un partenaire d’entraînement d’Arturo Gatti qui se prépare pour n’affronter nul autre qu’Oscar De La Hoya le 24 mars à Vegas. Après avoir vu les opportunités d’affronter Alex puis Dave Hilton lui filer entre les doigts, il est en profond litige avec InterBox et réclame un meilleur contrat. Missaoui est notamment conseillé par l’oncle de sa conjointe de l’époque, nul autre que Claude Brochu, qui vient tout juste de vendre les Expos de Montréal.

Les négociations ne tournent pas à la faveur de Missaoui et il ne remonte plus jamais dans un ring lors d’un gala organisé par InterBox. « Encore aujourd’hui, je regrette beaucoup cette décision. C’était une connerie d’aller là-bas, je suis parti sur un coup de tête sans même avertir Stéphan Larouche. Je suis revenu sans promoteur et avec une autre blessure à l’oeil qui a brisé l’élan de ma carrière», nous raconte-t-il seize ans plus tard. 

Après son retour des États-Unis, Fathi Missaoui n’est évidemment plus dans les bonnes grâces de la direction d’InterBox. Heureusement, son titre nord-américain lui accorde une certaine notoriété, il grimpe les classements au point d’être aspirant mondial no 4 à la WBO et no 5 à la WBC à 154 livres. Loin de Montréal, l’agent libre Missaoui remonte sur le ring le 12 octobre au Hershey Center à Mississauga en Ontario. Dans un combat de huit rounds, il affronte Johnny Rivera, un Puerto Ricain ayant une fiche 13-4 et qui a remporté un combat à Toronto dix mois plus tôt. Le Montréalais d’adoption l’emporte par décision unanime, mais il reçoit beaucoup de coups et il en ressort blessé aux deux yeux, c’est le chant du cygne pour sa carrière de boxeur.

Plus d’une dizaine d’opérations pour bien voir

« À l’époque je n’avais pas le choix d’accrocher mes gants, si je continuais de boxer je risquais de perdre la vue de façon définitive. Par la suite, j’ai subi une bonne dizaine d’opérations pour me rétablir complètement de mes problèmes de rétine. Aujourd’hui, je vois très bien, merci au système médical canadien !!!», souligne celui qui devient formateur à la GRC pour gagner sa vie après sa retraite comme boxeur.  

Dans les années qui ont suivies, Fathi Missaoui a développé ses compétences d’entraîneur en suivant les niveaux un et deux de la FQBO et en fréquentant le club de boxe du Centre Claude-Robillard. « Je tiens à remercier Stéphan Larouche de m’avoir aidé et de m’avoir formé comme boxeur puis comme entraîneur. Ses conseils à l’époque me sont encore fort utiles aujourd’hui », conclul’entraîneur-chef de l’équipe nationale tunisienne qui prépare son équipe en vue de Tokyo 2020.

De son côté, son unique entraîneur chez les professionnels, Stéphan Larouche, nous a aussi confié quelques souvenirs qu’il conserve de Fathi Missaoui. « Les plus belles qualités comme boxeur de Fathi étaient sa capacité à s’adapter à la foule, en étant très agressive et charismatique. Il était un beau boxeur classique qui était une bête d’entraînement. Le problème avec ses yeux s’est développé avec le temps. Ses orbites étaient un peu proéminentes, ce qui occasionnait une plus grande pression et le décollement des rétines se faisait progressivement. Si ce n’est de ce problème, il avait tous les atouts pour devenir champion du monde », se rappelle-t-il. 

En terminant, soulignons que Fathi Missaoui a reçu une délégation québécoise dans son pays à la fin du mois de mars dernier. Après une semaine d’entraînement, les équipes tunisienne et québécoise se sont affrontées. 

 

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