- Plaidoyer pour la reprise de la boxe professionnelle
- Le retour de la boxe à Thetford Mines
- Qui affrontera Oscar Rivas ?
- Pascal Villeneuve fait match nul à Gatineau
- Pascal Villeneuve prêt pour son premier combat de six rounds
- Et si 2015 était une année de misère pour la boxe québécoise ?
- Bermane Stiverne veut casser Deontay Wilder
- L’année 2014 de Eye of The Tiger Management
- Les hauts et les bas des galas de 2014
- Le boxeur de l’année et autres prix 2014
Analyse de la victoire d’Eleider Alvarez
- Mis à jour: 7 août 2018
Par Simon Traversy
Tout vient à point à qui sait attendre. Et ça ne pourrait être plus vrai dans le cas du Québécois d’adoption d’origine colombienne, Eleider «Storm» Alvarez, qui fut sacré champion du monde WBO des mi-lourds samedi dernier après avoir stoppé de façon spectaculaire l’ex-champion russe Sergey «Krusher» Kovalev. Un défi de taille à relever, un plan de match audacieux, un dénouement hollywoodien et une rentrée au bercail triomphale. Bref, tout y était pour une soirée de box épique. Non merci, pas de chausson aux pommes pour moi aujourd’hui.
Un Colombien rongeant son frein
La boxe professionnelle est un monde à la fois fascinant et bizarre : dans la même écurie (GYM), vous avez un boxeur inexpérimenté en Steve Bossé qui été malgré tout la tête d’affiche de deux galas cette année, dont un l’ayant opposé à un ancien champion du monde en Jean Pascal, et un autre boxeur (qui a fait ses classes) en Eleider Alvarez, qui a rongé son frein depuis plus de deux ans et demi (presque trois à l’heure où l’on se parle) avant d’avoir enfin droit à un combat de championnat du monde.
Après que le champion du monde WBC des mi-lourds Adonis Stevenson ait décidé encore une fois de lui tourner le dos pour affronter le Suédois Badou Jack, Alvarez a fait son deuil de la ceinture WBC (du moins temporairement) pour se tourner vers le titre WBO détenu par Sergey Kovalev. Un monde fascinant et bizarre ai-je dit? À cela on peut rajouter aussi «frustrant». Maudite boxe. Le regretté Floyd Patterson a d’ailleurs vu juste lorsqu’il a dit que la boxe est comme une femme que l’on aime mais qui nous fait du mal: bien qu’on ait beau lui en vouloir au départ, on continue malgré tout de l’aimer. Décidément, Patterson a hérité quelque peu de la sagesse de son mentor Cus D’Amato.
Le bonhomme sept heures démystifié
Depuis ses deux revers controversés contre l’Américain Andre Ward, Sergey Kovalev doit vraisemblablement détester la seconde moitié des combats championnat du monde. Lors de ces deux combats contre le natif d’Oakland, le Russe avait dominé son adversaire lors des 6 premiers engagements. Toutefois, Ward a réussi à renverser la vapeur à mi-chemin lors des deux duels. Et bien que le «Son of God» ait remporté les deux combats de façon controversée (par la peau des dents lors du premier et par le biais de quelques coups au corps ayant paru bas lors du second), le «Krusher» a certes été démystifié aux yeux de la plupart des fans de boxe.
Avant que Ward ne joue les trouble-fêtes, Kovalev était considéré comme le bonhomme sept heures des mi-lourds, tout comme son ennemi juré Artur Beterbiev d’ailleurs. Il était invaincu et ses adversaires ne faisaient pas long feu contre lui. Toutefois, malgré la controverse qu’il a suscité, Ward a néanmoins réussi a démontré une chose qui n’a laissé aucun doute dans l’esprit des gens : aussi puissant et technique qu’il puisse être, Kovalev ne possède toutefois pas la meilleure condition physique qui soit. De plus, il n’est pas particulièrement durable, ce qui veut dire qu’un boxeur de puissance passable peut tout de même réussir à l’ébranler si le timing et la précision sont au rendez-vous. Oh….intéressant. Bon à savoir ça, surtout pour un certain Eleider Alvarez près et affamé.
Le combat
Dans l’ensemble, je croyais aux chances d’Alvarez; ce n’est pas que Kovalev ait considérablement ralenti ou qu’il ne soit pas aussi bon que l’on croyait, loin de là. Cependant, depuis ses deux défaites contre Ward, le monde de la boxe, en commençant par ses adversaires, sait désormais quelles sont ses failles et surtout, comment les exploiter. On récapitule : Kovalev ne possède pas une excellente condition physique ni une grande durabilité. De plus, bien qu’il soit pratiquement toujours l’agresseur lors de ses combats, paradoxalement, le tombeur russe n’est pas particulièrement à l’aise au corps-à-corps.
Reprise de Ward I & II : Les trois premières rounds furent des rounds d’études ou chaque pugiliste tentait de cerner les failles de l’autre. Eleider avait bien amorcé le combat mais Kovalev a progressivement pris son rythme de croisière lors des trois derniers rounds de la première moitié du combat. Le sixième engagement fut son meilleur round du combat : il plaçait de bonnes combinaisons, ne précipitait pas trop son jeu, ne gaspillait pas de coups, et mesurait bien sa distance. Son clan devait être rassuré, car j’avais trouvé qu’il manquait un peu de précision et de «pêche» dans ses coups lors des premières rondes. Je me suis cependant dit qu’il voulait sûrement se ménager au cas où le combat se serait rendu à la limite.
Du côté d’Alvarez, nous savions qu’il possédait un très bon jab, comparable à celui de Kovalev. Nous avons ainsi eu droit à quelques bons échanges d’un côté comme de l’autre lors des premiers rounds. Ceci dit, contrairement à Ward, Alvarez tardait de se mettre en branle mais cela faisait parti du plan de match concocté par Marc Ramsay, l’entraîneur d’Alvarez. Ramsay savait que l’endurance n’était pas la force de Kovalev, donc il voulait qu’Alvarez laisse Kovalev s’épuiser. Un pari risqué, mais j’y reviendrai plus tard.
À mi-chemin dans le combat, le puissant Russe a changé de vitesse en atteignant le Colombien d’origine de façon plus fréquente. Il va sans dire que ça commençait à sentir un peu le roussi. Ceux qui regardaient le combat sans son devaient trouver cela bizarre, car Alvarez avait pourtant connu quelques bons moments lors des trois premières rondes. Il se retenait, comme s’il attendait le Messie. Il devenait donc de plus en plus évident que l’aspirant voulait lui jouer le même tour que Ward lors de leurs deux affrontements. Ceci dit, plan de match ou non, lorsque l’on affronte non seulement un redoutable cogneur, mais également un cogneur qui sait boxer, il est facile, après avoir encaissé quelques bonnes «taloches» (voire seulement une), de devenir timide et réticent à lancer des coups. Dans le jargon pugilistique de la langue de Shakespeare, on appelle ça «gun-shyness». Dommage, car lorsqu’Alvarez travaillait en combinaisons, il connaissait du succès. Toutefois, Alvarez refusait obstinément d’appuyer sur la «détente».
Arrivé au septième engagement, il commençait à se faire tard, surtout que le champion en titre avait complètement le vent dans les voiles après le sixième engagement.
Le fameux 7e round : Si Kovalev déteste les secondes moitiés de combat de championnat du monde, il doit certainement haïr le septième engagement comme les 7 péchés capitaux. Lors de la deuxième défaite en carrière du «Krusher», le «fils de Dieu» a malmené le Russe au 7e engagement ce qui a précipité l’arbitre Kevin Weeks à mettre fin aux émissions. Plusieurs ont parlé des coups bas que Kovalev a reçus, mais c’est le direct arrière parfaitement calculé que Ward a lancé qui lancé le bal. Kovalev avec les jambes comme du Jell-O et coups bas ou non, je doute fort que Kovalev aurait fini le combat.
Dans le cas d’Alvarez, on attendait toujours qu’il se mette sérieusement en marche. Et puis soudain, sorti de nulle part : POW! Un direct arrière en pleine gueule parfaitement calculé et précédé d’une belle feinte au corps (jab) est venu renverser la vapeur en faveur de «Storm». La tempête se leva et marqua ainsi le début de la fin pour Kovalev. Max Kellerman, l’analyste du réseau américain HBO, a mentionné la puissance d’Alvarez comme étant le facteur décisif ayant tranché le débat. Toutefois, je ne suis toujours pas d’accord avec lui; sans absolument rien enlever à Alvarez à ce niveau, ce knockdown fut davantage le fruit d’un coup parfaitement synchronisé et d’une précision chirurgicale (mâchoire gauche) que de la puissance à l’état brut.
D’ailleurs, Kovalev n’était pas ébranlé physiquement après sa première chute, car il s’est relevé immédiatement sans tituber. Toutefois, mentalement il avait perdu tous ses repères en commençant par sa confiance. Il s’est sûrement dit : «Oh non, pas encore!» alors qu’ Alvarez était en train de lui passer le même sapin que Ward lui avait passé lors de leur combat revanche. Sentant que sa fin s’approchait, Alvarez a immédiatement renvoyé le champion au tapis avec un crochet du gauche et un petit direct arrière et une troisième fois avec la même combinaison. L’arbitre David Fields en avait assez vu et a ainsi mis un terme au calvaire du Russe.
Et honnêtement, il aurait pu (et dû) arrêter le combat après le second knockdown; Kovalev n’était tout simplement plus dans le coup , ni de corps, ni d’esprit. Et juste comme ça, tel un lapin sorti d’un chapeau, Eleider Alvarez fut sacré champion du monde WBO des mi-lourds. Eh bien! Mais c’est ça la boxe. Demain, je vous parle de la suite pour ces deux boxeurs.
Pingback: Kovalev-Alvarez, la suite des choses à venir
Pingback: Les champions du monde colombiens dans l’histoire de la boxe
Pingback: Les prix 2018 de 12 Rounds