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Il y a 30 ans aujourd’hui, Matthew Hilton mettait K.-O. un immortel de la boxe
- Mis à jour: 15 février 2016
Par Martin Achard
Il y a 30 ans aujourd’hui, le 15 février 1986, Matthew Hilton passait le K.-O. à l’ex-champion mondial des poids super-légers, mi-moyens et super-mi-moyens, Wilfred Benitez, au Centre Paul-Sauvé de Montréal. Sauf erreur de ma part, cette victoire d’Hilton constitue l’une des cinq seules acquises par un boxeur québécois contre l’un des quelques 120 membres «modernes» de l’International Boxing Hall of Fame (IBHOF), et la seule qui ait été obtenue par K.-O. On notera pour mémoire que deux des quatre autres sont le fait de la vedette de l’après-guerre Johnny Greco, qui avait battu aux points Beau Jack et Bob Montgomery au tournant des années 50. Quant à la quatrième et à la cinquième, on les doit à Armand Savoie, qui avait obtenu une victoire par disqualification contre Sandy Saddler en 1952 et remporté une décision contre Jimmy Carter en 1953.
Étant déjà un immense fan de boxe dans les années 1980, qui suivait assidûment la carrière et l’ascension vers le titre mondial de Matthew, je possède encore plusieurs souvenirs très vivaces de cet exploit majeur. Mais ne voulant pas faire confiance qu’à ma seule mémoire, je suis allé fouiller, au cours des derniers jours, dans des sources de l’époque, afin de m’assurer de résumer avec exactitude les moments forts du combat, de même que le contexte dans lequel il prit place. Qu’un hommage soit ainsi rendu à Matthew et à son père et entraîneur, Dave Sr, pour avoir fait la démonstration que les Québécois pouvaient obtenir du succès en boxe sur la scène mondiale, et avoir ainsi ouvert la voie aux exploits subséquents des Éric Lucas, Jean Pascal ou Adonis Stevenson. On ne saurait à mon sens trop souligner, et célébrer, l’importance déterminante de leur contribution.
Le contexte
Au début de 1986, Matthew, qui était tout juste âgé de 20 ans, revendiquait une fiche parfaite de 19-0-0 (15 K.-O.), et il avait déjà percé le top 10 des classements mondiaux des 154 livres en vertu de ses victoires contre l’étoile montante Francisco de Jesus (qui allait quelques années plus tard obtenir une chance pour un titre mondial) et l’ancien champion linéaire et unifié des poids moyens, Vito Antuofermo. Sa force de frappe dévastatrice, sa gentillesse et son physique avantageux donnaient à croire à plusieurs observateurs américains qu’il avait tous les attributs pour devenir l’une des étoiles majeures du noble art. Cette perception de son potentiel explique en partie pourquoi son combat contre Benitez fit l’objet d’une diffusion en direct aux États-Unis, sur les ondes de CBS, en plus d’être retransmis au Canada par CTV.
Quant à Benitez (49-4-1, 30 K.-O.), un génie de la défensive et de la contre-attaque, il était déjà connu de tous les amateurs de boxe depuis une dizaine d’années, pour avoir réussi l’exploit de remporter son premier titre mondial à l’âge de 17 ans, et livré des combats de très haut niveau contre Sugar Ray Leonard, Roberto Duran et Thomas Hearns. Lorsqu’il affronta Matthew, «El Radar» (qui était aussi quelquefois surnommé «The Bible of Boxing») était certes déjà sur la pente descendante, mais il était loin d’être fini pour autant. Qu’on considère en effet ces faits: le Portoricain n’avait encore que 27 ans, et son combat contre Hilton fut précédé d’une victoire contre un adversaire possédant une fiche de 22-0-0, et suivi d’une victoire contre un adversaire détenteur d’une fiche de 19-0-0.
Malgré tout l’attrait que revêtait le duel Hilton-Benitez, objectivement le plus important combat professionnel disputé par un pugiliste québécois à Montréal depuis des lustres, un ensemble de raisons fit en sorte qu’il ne suscita pas, au moment de son annonce, un intérêt extrême chez plusieurs amateurs du Canada et de la Belle Province. Il faut en effet se rappeler qu’à cette époque, l’attention du Canada anglais était massivement dirigée vers les premiers pas chez les professionnels des médaillés d’argent aux Jeux olympiques de 1984, Shawn O’Sullivan et Willie de Wit, qui jouissaient d’une couverture médiatique soutenue de la part de TSN.
Quant au Québec, l’étoile de la famille Hilton y avait malheureusement pâli auprès du public, suite aux démêlés avec la justice d’Alex et à l’inactivité de Dave Jr, qui s’expliquait par des blessures subies lors d’un accident de moto. Matthew s’était d’ailleurs vu obligé d’admettre cette réalité lors d’une conférence de presse tenue en vue du combat: «Le nom des Hilton est moins populaire qu’avant, c’est évident», avait-il commenté avec franchise. «Les gens ont été désappointés et découragés par toutes les mésaventures qui nous sont arrivées pendant l’année». De surcroît, la mise sous contrat des célèbres frères avec le promoteur américain de triste réputation Don King, qui avait entraîné leur participation à des galas aux États-Unis à partir de 1985, avait déplu à plusieurs amateurs de la première heure, qui s’étaient sentis injustement dépouillés de leurs idoles.
Parlant de Don King, on ne sera pas surpris d’apprendre que, à l’occasion du combat Hilton-Benitez, il fut fidèle aux pratiques de requin sans scrupules qui ont toujours été les siennes. Il fit en effet signer aux deux boxeurs un contrat stipulant qu’ils devaient renoncer à leur part des droits de télévision et de radio, droits qui totalisaient $100000 environ. Questionné sur ce fait, Matthew déclara naïvement: «Je me fous de l’argent pour l’instant. C’est le titre que je vise. Quand je serai champion du monde, je serai en position pour demander ce que je veux». L’ancien bagnard tenta également de convaincre la Commission athlétique de Montréal d’accepter moins que le 5% qui lui était dû sur ces mêmes droits, mais il essuya une fin de non-recevoir de la part de l’organisation, qui était alors présidée par Paul-Émile Sauvageau.
Un autre qui refusa de se plier docilement à toutes les manœuvres de King fut Benitez. Deux jours avant l’affrontement, il menaça de se désister, prétendant que le promoteur lui avait originellement offert un montant garanti de $25000, pour ensuite ramener son contrat au même contrat que celui accordé à Matthew, soit $5000 plus 15% des recettes aux guichets. Le différend fut finalement réglé et, si l’on en croit des sources crédibles, les deux boxeurs empochèrent chacun entre $30000 et $45000 pour leur après-midi de travail, c’est-à-dire un montant somme toute assez modeste au vu de l’importance accordée à leur duel.
Le combat
C’est peu après 17h que Matthew, brandissant un petit drapeau canadien, fit son entrée dans le ring du défunt Centre Paul-Sauvé, accompagné de Dave Sr, de même que de l’ancien champion WBA des poids lourds Jimmy Ellis, et du cutman Bill Present. En dépit de l’appui que lui manifestèrent bruyamment la vaste majorité des 4727 spectateurs sur place, un certain nombre de parieurs québécois présents dans l’assistance ne cachèrent pas le fait, lors de conversations d’estrades, qu’ils avaient misé leur argent sur son adversaire. Il y avait en effet si longtemps à l’époque qu’un pugiliste québécois n’avait pas réussi à vaincre un grand nom de la boxe internationale, qu’une victoire de Matthew sur le maître qui avait infligé à Roberto Duran sa troisième défaite en carrière demeurait pour eux difficile à concevoir. La suite des choses allait cependant contredire de façon éclatante leur pessimisme.
Au premier round, Matthew mit en œuvre la directive que lui avait donnée son père en attaquant avec résolution Benitez, qui était typiquement un «slow-starter», pour lui faire sentir sa puissance. La stratégie porta fruit. Un puissant crochet de la main arrière au côté gauche du Portoricain le fit grimacer de douleur et le força à poser un genou au sol, pour le compte de huit.
Au cours des rounds 2 à 5, l’ancien triple champion retrouva une partie de sa mobilité, et put ainsi éviter de se retrouver trop souvent acculé dans les câbles, mais son bon jeu de jambes n’empêcha pas Matthew de toucher régulièrement la cible avec des bombes délivrées des deux mains. Le favori de la foule passa bien près de renvoyer son adversaire au tapis au 2e et il le mit clairement en difficulté à la fin du 4e. Ce n’est qu’au 5e que Benitez marqua finalement son premier point, mais parce que l’arbitre Guy Jutras pénalisa Hilton pour coup bas.
Au 6e, Matthew acheva presque la besogne lorsqu’il sonna Benitez d’une gauche et enchaîna d’une impressionnante volée de coups, qui causa cependant chez lui une fatigue momentanée. En véritable boxeur-né qu’il était, le futur champion tira immédiatement une leçon de ce fait. Comme il l’expliqua dans ses commentaires d’après-combat: «Je n’arrivais pas à le toucher à la tête comme je le voulais. Mon père ne cessait de me répéter de travailler au corps. J’ai compris mon erreur au 6e round quand je me suis vidé pour rien. J’ai senti que je ne l’aurais pas comme ça, et que je devais le piéger autrement».
Afin de reprendre ses énergies, Matthew ralentit le rythme au 7e, ce qui permit à Benitez de placer sans doute son meilleur coup du match, une belle droite qui poussa le Québécois à se retourner vers son père en plein ring et à le regarder, comme pour s’excuser d’avoir commis une erreur! Matthew sut se faire pardonner en reprenant un ascendant net au 8e, grâce à des attaques bien variées au corps et à la tête.
Pendant la majeure partie du 9e assaut, Benitez connut peut-être ses meilleurs moments du combat, mais vers la fin de la reprise, Matthew l’accula dans les câbles et fit baisser sa garde à l’aide de deux droites sèches portées au corps. Voyant l’ouverture à la tête, le jeune prodige lança l’un de ses légendaires crochets de la gauche en puissance, qui knock-outa instantanément Benitez et le fit demeurer au sol pendant plusieurs dizaines de secondes. Cette fin spectaculaire et décisive déclencha l’euphorie du clan Hilton, qui porta Matthew en héros dans le ring alors que «El Radar» tentait, tant bien que mal, de se remettre sur pieds. Le temps officiel du K.-O.? 2 minutes et 57 secondes.
«Personne au monde chez les super-mi-moyens ne peut rivaliser avec Matthew sur le plan de la force de frappe!», déclara avec conviction Dave Sr après le duel. «Il a utilisé tous les trucs qu’il connaissait, et j’en profiterai à mon tour lors de mes prochains combats», analysa pour sa part froidement Matthew.
Quant à Benitez, lorsque interviewé par les journalistes dans son vestiaire, il fut forcé d’admettre l’évidence: «C’est un bon aspirant. Il l’a l’affaire, il a les habiletés pour devenir champion du monde».
La suite des choses
Au moment de leur affrontement, Hilton et Benitez étaient tous les deux liés contractuellement à Don King, qui avait promis au vainqueur l’obtention immédiate d’un combat pour le titre WBA alors détenu par Mike McCallum. Bien entendu, plusieurs observateurs mettaient en doute le sérieux de cette promesse du promoteur, d’autant qu’il en avait fait une entièrement similaire à Matthew avant son combat précédent!
De fait, le combat contre McCallum (qui aurait donné au représentant des «Fighting Hiltons» l’occasion de vaincre un deuxième membre du temple de la renommée de la boxe) ne se matérialisa jamais. Matthew dut plutôt attendre 16 mois et sept autres combats avant d’obtenir sa chance de ravir une ceinture mondiale, lorsqu’il se mesura au monarque IBF Buster Drayton le 27 juin 1987 au Forum de Montréal. Il sut alors de nouveau brillamment confondre les sceptiques, mais il s’agit d’une autre histoire, sur laquelle je reviendrai.
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