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La déshydratation, un mal nécessaire?

Note de la rédaction : En rappel, nous publions aujourd’hui un autre texte de notre collaborateur Rénald Boisvert tiré de nos archives. Ce texte a été initialement publié en 2015 et saura intéressé à la fois ceux qui pratiquent la boxe, mais aussi les amateurs de la discipline.

Par Rénald Boisvert

Nous savons tous que les boxeurs ont fréquemment recours à la déshydratation pour faire le poids. En connaissons-nous les dangers? Même si ça se passe généralement bien, parfois les choses peuvent mal tourner. L’athlète se retrouve alors l’esprit embrouillé, tenant un discours décousu et confus. Il peut aussi survenir chez cet athlète une perte plus ou moins momentanée des notions du temps et de l’espace. Le cas échéant, il faut alors espérer qu’il ne subira aucune séquelle.

Pourtant, malgré toute l’inquiétude que génère une telle situation, notre objectif ne sera pas ici de dissuader les boxeurs de recourir à la déshydratation. Ce serait peine perdue. À moins d’y être forcés, les boxeurs n’abandonneront jamais ce procédé. Aussi, pour fins de discussion, nous traiterons plutôt ce phénomène comme un incontournable, comme une sorte de mal nécessaire. Par ailleurs, notre impuissance quant à remettre en question la déshydratation elle-même, ne doit pas nous dépouiller de tout sens critique. Tout au moins, en tant qu’entraîneurs, devons-nous minimiser les risques et éviter les erreurs fondées sur de fausses croyances. Attaquons-nous donc à certains de ces mythes qui ont pour effet d’aggraver les risques inhérents à la perte de poids.

PREMIER MYTHE : «… moi je perds au moins trois livres par séance d’entraînement»

En général, les boxeurs aiment bien se peser d’abord au début, puis à la fin d’une séance d’entraînement, l’objectif étant de connaître le nombre de livres perdues au cours de l’entraînement. Pour eux, ceci constitue le meilleur indicateur pour évaluer les résultats de leur effort. Précisons qu’il s’agit là d’une croyance aussi tenace qu’erronée. De surcroît, cette croyance produit des effets néfastes dans la mesure où elle incite les athlètes à boire peu et/ou à revêtir des vêtements chauds ou imperméabilisés dans le but d’augmenter cette apparente perte de poids.

Pourtant, à sa face même, cette vieille croyance ne tient pas la route. D’ailleurs, l’exemple qui suit n’en révèle-t-il pas le côté loufoque? Prenons ce boxeur qui se targue de perdre au moins trois livres par séance d’entraînement. À raison de quatre séances d’entraînement par semaine, pendant trois semaines, il aurait perdu 36 lbs. C’est ridicule! En réalité, cette perte de poids d’au moins trois livres, quoique réelle au moment de la pesée quotidienne, n’a pas du tout la même signification sur une période de plusieurs jours. Ce boxeur pourrait même n’avoir rien perdu au bout desdites trois semaines. Qu’en est-il?

C’est que perte de poids ne signifie pas nécessairement perte de gras. Lors d’une séance d’entraînement très intense, ladite perte de poids est constituée majoritairement d’eau. Comment l’athlète pourrait-il connaître et départager la proportion de gras, de muscle et d’eau qu’il a perdue à la suite d’une séance d’entraînement en particulier? Mais même en supposant que l’athlète connaisse ce qu’il a perdu en masse graisseuse (soit sa dépense calorique), cela ne voudrait rien dire dans la mesure où, par ailleurs, il ne prendrait pas en compte l’apport calorique.

En réalité, pour bien comprendre ce qu’est la perte de poids, il faut se référer à la notion de «bilan énergétique»; en d’autres mots, c’est ce que l’athlète consomme au plan calorique comparé à ce qu’il dépense. Cela n’a rien à voir avec la perte en eau (déshydratation), laquelle n’a aucune incidence avantageuse pour le boxeur si ce n’est le jour (ou la veille) de la pesée officielle. En fait, ce sont les seuls moments utiles auxquels celui-ci devrait recourir à la déshydratation. Pour tout autre moment, ce procédé apparaît comme totalement dénué de sens.

Par conséquent, si l’on fait exception de la pesée officielle, il ne devrait y avoir que très peu d’écart de poids entre le début et la fin de toute séance d’entraînement – un petit écart de poids pour tenir compte de la perte de gras «estimée». Au-delà de cet écart, cela signifierait que l’athlète s’est entraîné en étant plus ou moins sous-hydraté. En somme, ce qui est fortement recommandé ici, c’est de boire en quantité suffisante pendant les séances d’entraînement de manière à récupérer la quantité d’eau perdue. L’athlète pourra ainsi fournir tous les efforts requis par l’entraînement sans qu’il soit affligé par une carence en eau.

Ainsi donc, l’athlète doit boire normalement jusqu’au moment où il débute la séance de déshydratation. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. L’athlète perdra l’eau de toute façon, mais dans ce cas, il aura réduit énormément les possibilités de sévices reliées à la déshydratation.

DEUXIÈME MYTHE : «… moi, au cours de la semaine précédant mon combat, je bois beaucoup moins»

À une semaine du combat, s’il y a encore plusieurs livres à perdre, il peut arriver que des boxeurs choisissent de devancer la période de déshydratation. Certains entraîneurs vont même jusqu’à croire que cette privation d’eau pourrait améliorer la capacité de l’athlète de supporter la souffrance.

Il est triste de constater que ce genre de croyance puisse encore exister alors que le rôle de l’eau dans l’organisme est très documenté. En effet, c’est l’eau qui assure notamment le maintien de la température corporelle; elle sert en outre de lubrifiant et permet l’élimination des déchets. Les conséquences de la déshydratation peuvent être extrêmement néfastes. Mais il y a davantage. La privation ou la réduction d’eau dans l’organisme peut compromettre la performance elle-même.

Aux fins d’illustration, imaginons deux boxeurs, deux partenaires d’entraînement du même âge, tous deux ayant six livres à perdre au cours des deux semaines précédant leur combat. Le premier que nous appellerons «Old School Boy» amorce la première semaine en revêtant un vêtement imperméabilisé afin de perdre le maximum de poids. Quant à l’autre boxeur, que nous nommerons «Fresh Air», il choisit plutôt de ne revêtir qu’un short et un chandail léger. Les deux boxeurs s’alimentent de la même façon. Et ils font le même nombre de rounds à l’entraînement. Enfin, tous les deux ont la même taille et un métabolisme comparable. Tandis que «Old Scholl Boy» perd plus de deux ou trois livres lors de chacune des séances d’entraînement, «Fresh Air» perd moins d’une demi-livre.

Par ailleurs, «Old School Boy» se sent lourd et incommodé dans ses vêtements imperméabilisés. Quant à «Fresh Air», il se sent léger et pour cette raison, il déploie plus d’énergie à l’entraînement que son coéquipier. La question qui se pose maintenant est de savoir lequel des deux boxeurs a perdu le plus de poids au cours de ladite semaine. En se rapportant au test du bilan énergétique, il appert que la perte de poids (nette) considérée sur plusieurs jours est supérieure dans le cas de «Fresh Air». Celui-ci ayant fourni une dépense calorique plus grande, il est logique de penser que le bilan énergétique lui soit favorable. Il convient de noter ici que la perte de poids pour «Old School Boy», soit plus de deux livres par séance d’entraînement n’est d’aucune façon déterminante. En plus, comme «Fresh Air» a été plus énergique à l’entraînement, il aura développé et/ou maintenu des adaptations musculaires et nerveuses dont l’intensité s’apparente davantage aux exigences d’un combat. En un mot, son entraînement aura été tout simplement plus «payant».

Il ne reste maintenant qu’une semaine avant leur combat. Or, «Old School Boy» veut rattraper le retard qu’il accuse par rapport à son partenaire d’entraînement. Il décide donc de boire moins d’eau, non seulement lors de l’entraînement, mais aussi chez lui, là où il est censé reprendre ses forces. Malgré un sentiment de fatigue extrême, «Old School Boy» maintient le cap et parvient à l’objectif qu’il s’était fixé. Ainsi, le jour de la pesée officielle, il lui reste trois livres à perdre, tout comme son coéquipier. Mais comme il est déjà passablement sous-hydraté, «Old School boy» devra puiser dans ses réserves pour faire le poids, ce qui pourrait considérablement affecter non seulement son état, mais aussi sa performance lors de son combat. Tout au contraire, n’ayant pas cessé de boire normalement, «Fresh Air» se présente quelques heures avant la pesée officielle bien hydraté. Pour lui, la perte de poids par déshydratation sera beaucoup moins préjudiciable qu’elle ne le sera pour son partenaire d’entraînement.

TROISIÈME MYTHE : «… tu manges du chocolat, c’est pour ça que tu as de la misère à faire le poids»

Bon nombre d’entraîneurs croient que manger du chocolat a un effet désastreux sur le poids de l’athlète. Or cette perception n’est pas toujours fondée. Même qu’elle se révèle très souvent fausse si l’on prend la peine de comparer ce que l’apport en chocolat représente considérant le bilan énergétique de l’athlète. Mais le mythe est profondément ancré. C’est comme si le chocolat possédait des propriétés qui transcendaient ce qu’il contient au plan nutritionnel.

Toutefois, cette fausse croyance ne se limite pas seulement au chocolat. En réalité, tous les sucres et les gras ont une très mauvaise réputation, au point où les entraîneurs sont tentés de les montrer du doigt aussitôt que l’athlète éprouve de la difficulté à faire le poids. Pourtant, une telle conclusion ne devrait jamais être automatique, ni hâtive. Non seulement elle détourne l’entraîneur de son obligation de s’interroger sur le bilan énergétique de l’athlète, mais elle peut l’amener à ne pas se rendre compte que l’athlète n’est pas (ou n’est plus) dans la bonne catégorie de poids.

L’entraîneur doit donc demeurer vigilant lorsque l’athlète n’arrive pas à faire un poids déterminé. La cause n’est pas forcément son alimentation, même lorsque celle-ci est manifestement inappropriée. Cela peut tout simplement être le résultat de sa croissance et/ou de son développement physique. Dans un tel cas, l’entraîneur n’a pas vraiment le choix; il doit sans hésitation monter l’athlète de catégorie de poids.

C’est qu’il n’y a pas nécessairement de relation directe entre, d’une part, le taux de sucre et de gras que consomme l’athlète et, d’autre part, l’augmentation de son poids. Ce serait une erreur que d’écarter à l’avance l’hypothèse voulant que l’athlète, en dépit d’une alimentation inadéquate, ait brûlé toute la portion indésirable de sa masse grasse. Autrement dit, certains athlètes ont beau s’empiffrer de gras et de sucres, ils vont quand même enregistrer un faible taux de masse grasse.

Bien évidemment, outre le fait que l’entraîneur doit faire preuve d’ouverture et de précaution à ce niveau, il nous paraît plus prudent, au cas de doute, de recourir aux services d’un(e) nutritionniste. C’est la personne toute indiquée pour déterminer avec précision le taux de masse grasse de l’athlète et le cas échéant, valider son bilan énergétique.

CONCLUSION

Pour un grand nombre de boxeurs, la perte de poids prend l’allure d’une course contre la montre. L’objectif étant d’être dans la catégorie de poids optimal, par conséquent, interviennent différentes diètes, certaines plus drastiques que les autres, avec les conséquences qui s’y rattachent le plus souvent : fatigue physique et mentale, baisse de la concentration et, soulignons-le, de la performance elle-même.

En y ajoutant les effets de la déshydratation, ces boxeurs jouent gros! Il est à se demander si le jeu en vaut la chandelle. Chez les boxeurs professionnels, la réponse est moins hasardeuse. D’abord, ce sont des athlètes ayant atteint une certaine maturité physique, ce qui n’est pas le cas pour beaucoup de boxeurs amateurs dont la croissance et le développement ne sont pas complétés. Ensuite, le boxeur professionnel dispose d’environ vingt-hui heures pour se réhydrater alors que pour le boxeur amateur, cette période se situe la plupart du temps entre trois et douze heures, ce qui peut n’être pas suffisamment long pour assurer une pleine réhydratation.

Or, il revient à chacun de voir si les avantages reliés à la perte de poids et à la déshydratation en valent la peine. L’important est de garder l’oeil ouvert et de ne pas céder à l’attrait qu’exercent ces fausses croyances (mythes), lesquelles minent non seulement la santé de nos jeunes athlètes, mais aussi «leur performance».  

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