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Le duel Alvarez-Pascal analysé par Rénald Boisvert
- Mis à jour: 31 mai 2017
Par Jean-Luc Autret et Rénald Boisvert
Via une dizaine de questions, nous questionnons notre collaborateur Rénald Boisvert sur le duel très attendu entre Eleider Alvarez et Jean Pascal. Voici donc plus d’introduction notre échange avec celui qui est l’un des directeurs de stage de la Fédération québécoise de boxe olympique et l’entraîneurs des Yves ulysse Jr et Steven Butler.
12 Rounds: Ces deux boxeurs se connaissent très bien depuis fort longtemps. Si vous étiez l’un de leurs entraîneurs est-ce que votre stratégie vous auriez mis l’accent du camp d’entraînement sur les faiblesses de votre adversaire ou plutôt à améliorer les lacunes de votre protégé ?
Rénald Boisvert : Dans un camp d’entraînement, nous tentons de ne rien laisser au hasard. Autant faut-il considérer les forces et les lacunes de l’adversaire, de même il importe de corriger les faiblesses de notre boxeur et polir ses forces. Ceci est le cas lorsqu’il s’agit d’un jeune boxeur en développement. Mais quand les boxeurs sont déjà très expérimentés, et c’est le cas ici, il importe surtout de mettre l’accent sur les point forts pour chacun des boxeurs et de ne considérer leurs lacunes que dans la mesure où cela pourrait avoir une incidence directe dans le combat. Autant l’équipe de Pascal que celle de Alvarez doivent miser sur de petits ajustements qui comptent plutôt que sur des éléments majeurs pour lesquels il y aurait perte de temps et d’énergie.
12 Rounds: C’est bien connu, Jean Pascal aime exploser à chaque fin de round. Eleider Alvarez ne pourra être surpris par cette tactique. Peut-on s’attendre à des fins de rounds très actives de part et d’autre ?
Rénald Boisvert : Bien sûr que oui. Il faut s’attendre à des fins de round spectaculaires. Jean Pascal n’a pas intérêt à changer ce qu’il fait de mieux. Je crois même que Jean tentera de ralentir le rythme du combat dans le but de conserver plus d’énergie et terminer chacun des rounds avec force. Il pourrait alors espérer voler les rounds. Tant qu’à Eleider Alvarez, c’est tout le contraire; il devra imposer son propre rythme et ainsi, éviter (et étouffer) les débordements que provoquera Jean Pascal. Par ailleurs, je crois que Eleider se sera préparé à ces débordements. Il faut dire que le boxeur colombien est un excellent contre-attaquant. Il pourrait donc tenter de déjouer les attaques explosives de Jean Pascal en ripostant de façon incisive et inattendue.
12 Rounds: La partie mentale entre les deux boxeurs a commencé très tôt alors que c’est Jean Pascal qui a informé Eleider Alvarez, via courriel, qu’ils allaient s’affronter. Considérant sa longue expérience dans les confrontations mentales, croyez-vous que Jean Pascal est avantagé dans ce domaine ?
Rénald Boisvert : Jean Pascal est un maître dans ce domaine. S’il y a un avantage, c’est certain que c’est lui qui en profiterait. D’autant que Eleider Alvarez a montré par le passé qu’il pouvait parfois éprouver certaines difficultés quant à contrôler ses émotions. Par contre, Eleider est devenu plus mature avec les années. J’ose croire qu’il parviendra à conserver sa concentration peu importe la tournure d’une éventuelle confrontation au plan mental.
12 Rounds: La conférence de presse a plutôt mis l’emphase sur Stevenson, peut-on s’attendre à des flammèches entre Pascal-Alvarez dans la semaine du combat ?
Rénald Boisvert : Il faut s’y attendre. Le combat Pascal-Alvarez représente un combat tout aussi, sinon plus attendu par les fans que celui de Stevenson. Je ne vois pas comment Jean Pascal pourrait résister à la tentation de brouiller les cartes. Jean a le sens du spectacle. Il sait attirer tous les regards sur lui. Va-t-il le faire au dépens de Alvarez? Ou en encore au dépens de Stevenson? Nous verrons bien!
12 Rounds: Côté coaching, Marc Ramsay a vaincu Stéphan Larouche (Pascal VS Bute). Bien que les deux hommes se respectent, à quel point ce type de gros duel est important pour chacun d’eux ?
Rénald Boisvert : Pour rester digne, l’entraîneur doit démontrer une certaine neutralité et même une certaine distance à l’égard de l’adversaire et de son entraîneur. Il doit donc conserver la tête froide dans le but de prendre les bonnes décisions. Par ailleurs, Marc Ramsay et Stephan Larouche sont des êtres combatifs. Même s’ils donnent l’impression d’être au dessus de la mêlée, il n’en est rien. Je suis certain que tous deux veulent l’emporter avec la même vigueur que leur boxeur. Ce sont eux-aussi des guerriers.
12 Rounds: Difficile de ne pas considérer les deux difficiles défaites de Jean Pascal face à Sergey Kovalev. Comment un boxeur se remet de telles défaites? Outre le temps, qu’est-ce qui peut être fait pour retrouver sa confiance ?
Rénald Boisvert : Jean Pascal a une force mentale exceptionnelle. Personne n’en doute. Il fait sûrement partie de ces personnes capables de surmonter les pires moments. Je ne connais pas la recette qui a permis à Jean Pascal de retrouver sa confiance après ces deux défaites cinglantes; mais je déduis de la façon dont il agit, qu’à la suite d’un bon repos, il est toujours ce type de boxeur qui retombe rapidement sur ses jambes dans le but de se fixer un nouvel objectif. Jean Pascal correspond définitivement à ce type de personnalité qui carbure aux défis. Je crois qu’il n’a jamais cessé de croire en lui-même.
12 Rounds: On l’a vu contre Lucian Bute, Eleider Alvarez était beaucoup plus affamé et il avait beaucoup plus à perdre. Encore une fois, le Colombien met enjeu sa position d’aspirant obligatoire. Vous attendez-vous à ce qu’il soit aussi affamé le 3 juin ?
Rénald Boisvert : Eleider Alvarez affamé! C’est certainement ce que son entraîneur Marc Ramsay veut voir de son boxeur. Alvarez a toutes les raisons pour être affamé. Mais il aurait pu être découragé. On sait que cela n’est pas facile pour lui. Cette attente interminable en vue d’obtenir un combat pour le titre a de quoi le rendre pour le moins »affamé ». Mais ceci pourrait aussi lui faire perdre son focus. Je suis d’avis que Marc Ramsay a dû intervenir dans le but de l’apaiser au niveau de ses émotions. Ce qui importe le plus à ce stade, c’est le plan de match et ses ajustements que Alvarez doit suivre. On sait que son entraîneur excelle à ce niveau.
12 Rounds: Si Jean Pascal est fidèle à lui même et jab très peu, et s’il démontre le même niveau d’activité en attaque qu’à ses derniers combats, comme peut-il vaincre Alvarez, surtout si ce dernier fonde sa stratégie autour du jab?
Rénald Boisvert : En ce qui concerne le jab, il m’apparaît clair que Alvarez l’utilisera à profusion tout au long du combat. Pour ce qui est de Pascal, il serait plutôt étonnant qu’il l’utilise aussi systématiquement que son opposant. Par ailleurs, même si le jab est en principe un outil dont un boxeur ne saurait se passer, il faut quand même préciser que ce n’est pas toujours celui qui détient le meilleur jab qui sort victorieux lors d’un combat. Mais l’avantage qu’offre le jab est majeur, notamment dans les cas où l’objectif est de tenir l’adversaire à distance et d’en contrer les explosions. Alvarez a évidemment cet avantage sur Pascal. En revanche, je suis certain que Pascal et son entraîneur Stephan Larouche y ont réfléchi. La qualité des déplacements de Pascal pourrait faire partie de la solution. Mais encore faut-il qu’il lui reste assez d’énergie dans le réservoir.
12 Rounds: En débat à TVA Sports avec Eleider Alvarez, Jean Pascal a répondu à Dave Morrissette que : « L’ennemi de la boxe c’est Adonis Stevenson, parce qu’il a fait régresser la boxe depuis qu’il est champion ». Que pensez-vous de cette déclaration ?
Rénald Boisvert : Cette déclaration est «puissante ». Est-elle quelque peu exagérée? Peut-être! Mais il faut comprendre ici que Jean Pascal est extrêmement doué pour les formules qui marquent l’imaginaire. Par ailleurs, ce qu’il faut comprendre de cette déclaration, c’est que la boxe nous a habitué à de grands champions résolus à combattre fréquemment et contre les meilleurs de leur division, souvent même au dessus de leur catégorie de poids. Il y va donc de l’intérêt des amateurs de boxe. Rien de tel que des combats entre les meilleurs boxeurs pour mousser la popularité de la boxe. A contrario, les refus répétés et injustifiés de mettre en jeu une ceinture, les longs délais de négociation ajoutés aux nombreuses chamailles entre les divers clans promotionnels et télévisuelles conduisent les fans au cynisme. Bien évidemment, tout ceci ne peut pas être bon pour la boxe.
12 Rounds: En rafale, selon vous, quel est le boxeur le plus rapide ? Le plus fort techniquement ? Le plus puissant ? Le plus intelligent dans le ring ? le plus susceptible de s’adapter dans le feu de l’action et de déjouer par la ruse son adversaire ?
Rénald Boisvert : Le plus rapide? Même s’il a ralenti énormément, je continue de croire que Jean Pascal est encore le plus rapide. Comme il est souvent large dans ses coups de poing, Jean peut donner l’impression d’être moins rapide. Pour ma part, je me souviens que le jeune Jean Pascal était vif comme un chat; à cette époque, il pouvait même se permettre des mouvements très peu orthodoxes tellement ses adversaires n’arrivaient pas à le suivre. Or, la rapidité n’est plus vraiment un avantage déterminant pour lui.
Le plus fort techniquement? Je crois que Alvarez possède une technique plus complète. Avec l’âge, la technique défensive prend de plus en plus d’importance chez un boxeur. Alors que Alvarez a amélioré sa défensive (et notamment sa contre-attaque) au cours des années, Pascal est plutôt demeuré ce boxeur strictement instinctif. Par conséquent, pour Alvarez, l’âge peut même jouer un rôle positif, alors qu’au contraire, dans le cas de Jean Pascal, l’âge risque plutôt de le desservir.
Le plus puissant? Alvarez me semble le plus puissant. Mais il faut bien avouer que son style de boxe (contre-attaquant) ne l’avantage pas au niveau du nombre de knock out enregistré. Alvarez aime bien prendre son temps. Mais à en juger par les hésitations qu’il provoque chez ses adversaires, il m’apparaît évident qu’il doit être reconnu comme possédant une bonne force de frappe.
Le plus intelligent dans le ring? Jean Pascal me paraît davantage posséder cette qualité qu’est l’intelligence du ring. Il est un félin. Jean est passé maître dans l’art de s’adapter à différents adversaires et même de les tromper, par exemple en les amenant à un rythme plutôt lent et souvent diffus pour, tout à coup, les surprendre en changeant le tempo. Mais sur cet aspect, je pense que Alvarez aura été soigneusement préparé par Marc Ramsay. Eleider a atteint suffisamment de maturité pour ne pas tomber dans les pièges de Jean. Je dirais même que Eleider Alvarez a développé avec les années l’aptitude à surprendre l’adversaire par son calme et sa maîtrise de la situation.
Le plus susceptible de s’adapter dans le feu de l’action et de déjouer par la ruse son adversaire? Cette question est du même type que la précédente. En fait, l’intelligence du ring fait directement référence à cette qualité d’adaptation par rapport à l’adversaire (et à ses ruses) ainsi qu’aux aléas qui surviennent dans un combat. Jean Pascal possède donc un léger avantage à ce niveau. Mais la partie ne sera pas pour autant facile pour lui. Vous aurez d’une part, un Jean Pascal qui voudra déstabiliser son opposant et par ailleurs, un Eleider Alvarez qui cherchera à ramener l’allure du combat dans des proportions plus orthodoxes. Il sera intéressant de voir également le travail des entraîneurs Marc Ramsay et Stephan Larouche à ce niveau. L’intelligence du ring se transportera forcément dans les coins du ring, soit dans leur intervention auprès de leur boxeur respectif. Ce sont tous deux des entraîneurs extrêmement brillants.