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Il y a 91 ans aujourd’hui, Jack Delaney devenait champion du monde!

Par Martin Achard

Il y a 91 ans aujourd’hui, le 16 juillet 1926, Jack Delaney (alias Ovila Chapdelaine) devenait champion du monde des mi-lourds en battant son grand rival Paul Berlenbach, à l’occasion de l’un des combats les plus courus et les plus médiatisés de la décennie 1920.

Delaney, dont le surnom était « Bright Eyes »

Outre le charisme personnel considérable de Delaney, des raisons précises expliquent l’engouement extrême – et aujourd’hui largement oublié – que suscita aux États-Unis et à travers le monde le duel entre le Québécois de naissance et le New-Yorkais. Tout d’abord, il s’agissait du troisième affrontement entre les deux pugilistes, qui revendiquaient alors chacun une victoire sur l’autre. Un peu plus de deux ans auparavant, en effet, dans un combat entre aspirants au titre, Delaney avait impressionné en passant un spectaculaire T.K.-O. au solide Berlenbach dès le quatrième round, lui infligeant ainsi sa première défaite en carrière.

Delaney envoyant Berlenbach au tapis au 4e round de leur second duel

Puis, après la conquête du titre par Berlenbach contre Mike McTigue, les deux s’étaient affrontés à nouveau au mois de décembre 1925, cette fois avec la couronne mondiale en jeu. Au cours des premiers rounds de ce second duel, Delaney était passé à un cheveu de répéter son exploit de l’année précédente, en envoyant Berlenbach au tapis et en le sonnant à plusieurs reprises, mais le champion en titre, un homme d’une détermination exceptionnelle, avait su traverser la tempête et terminer en force, pour se mériter une décision en quinze rounds. Après ces deux premiers combats, riches en action et en surprises, le public de l’époque salivait donc à l’idée de revoir «Bright Eyes» et «The Astoria Assassin» en découdre.

Par ailleurs, l’affrontement Delaney-Berlenbach avait comme attraits non négligeables d’opposer les deux plus lourds cogneurs de la division, et d’offrir un intéressant contraste de styles entre la boxe techniquement raffinée du Québécois et l’approche tout en muscles de Berlenbach, un ancien champion de lutte amateur qui ne s’était converti que sur le tard au noble art.

Quel niveau d’intérêt pouvait atteindre dans les années 1920, l’un des âges d’or de la boxe, un tel duel, que les médias décrivaient alors comme le plus gros combat de l’histoire de la division des mi-lourds? Jugez-en par vous-mêmes à partir de la description plus bas, qui fera regretter à tout amateur actuel de n’avoir pu vivre une telle excitation et une telle effervescence!

La pesée

Le Flatiron Building, à New York

Même s’il eut lieu le 16, le combat Delaney-Berlenbach était originellement prévu pour le 15 juillet, et conformément aux pratiques de l’époque, la pesée officielle se déroula le 15 à 14h, soit deux ou trois heures à peine avant l’heure planifiée pour le début des hostilités. Elle fut tenue sur l’île de Manhattan dans les bureaux de la commission athlétique de l’état de New York, qui étaient alors situés dans le prestigieux Flatiron Building, un trésor de l’architecture moderne. Signe de l’importance du combat: au moment de la pesée, pas moins de 5000 curieux se massèrent autour de l’édifice et bloquèrent complètement la Cinquième Avenue et Broadway!

Une photo de la pesée. Delaney est à droite.

La veille, tant Delaney que Berlenbach s’était publiquement déclaré confiant de l’emporter par K.-O., mais lorsque les deux rivaux se croisèrent dans les bureaux de la commission athlétique, ils se saluèrent avec la plus grande cordialité et ne laissèrent transparaître entre eux aucune animosité. Le champion fit d’abord osciller la balance à 174 livres et quart, puis Delaney – qui était arrivé avec 15 minutes de retard – suscita des murmures parmi les observateurs présents en affichant un poids de 166 livres et demie, bien en deçà des 172 ou 173 livres qu’avaient prédits les analystes.

Nous ignorons si, après la pesée, les deux boxeurs éprouvèrent de la difficulté à quitter l’édifice pris d’assaut par la foule et à traverser le Brooklyn Bridge pour rejoindre le lieu de leur affrontement, situé à dix kilomètres de distance. Toujours est-il que les fortes pluies qui tombaient cette journée-là sur The Big Apple forcèrent, peu après 17 heures, le report du combat à la journée suivante. Puisque les règlements de la commission athlétique de l’état de New York prévoyaient que, en cas de report de seulement 24 heures, les deux boxeurs n’avaient pas à effectuer une seconde pesée, la décision de remettre le combat au lendemain fit subitement passer le statut de Delaney de favori à négligé chez les parieurs. Plusieurs firent en effet le pari que le délai d’une journée permettrait à Berlenbach de complètement se réhydrater et de jouir, au moment du combat, d’un avantage de masse et de force trop marqué pour «Bright Eyes».

Le combat

La façade du Ebbets Field

C’est dès 8 heures du matin que, le lendemain, les spectateurs commencèrent à affluer au Ebbets Field, le célèbre domicile des Dodgers de Brooklyn, aujourd’hui démoli, et lieu du duel. Pas moins de 41000 spectateurs convergèrent vers le stade en métro, en autobus, en tramway, en taxi ou à bord de leur véhicule personnel, ce qui força les autorités à déployer un impressionnant dispositif de sécurité composé de 500 policiers, dont 200 eurent le privilège de patrouiller l’intérieur du stade et donc d’assister à l’évènement.

Les estrades du Ebbets Field dans les années 1920

Cinq catégories de billets avaient été mises en vente pour le gala, à des prix de 3,30$, 7,70$, 11$, 16,50$ et 27,50$. Pratiquement tous les spectateurs situés dans les sièges les plus éloignés du ring – qui avait été spécialement placé pour l’occasion entre le monticule du lanceur et le deuxième but, de façon à assurer la meilleure vue possible à tous – arrivèrent équipés de jumelles.

Dans les loges pour dignitaires et les sièges à 27,50$ prirent place plusieurs personnes d’importance et célébrités, incluant le maire de New York, James Walker, et nul autre que l’athlète le plus populaire des années 1920, le «Bambino» Babe Ruth, qui déclara aux journalistes: «Je prédis une victoire de Berlenbach. Nous les gros cogneurs devons faire preuve de solidarité!». Il était alors clair aux yeux de tous ceux présents à l’intérieur du Ebbets Field que l’affrontement Delaney-Berlenbach constituait, pour reprendre la phrase du célèbre journaliste James P. Dawson du New York Times, «le plus gros évènement de boxe depuis le combat entre Jack Dempsey et Luis Angel Firpo tenu trois ans plus tôt»!

Le natif de Saint-François-du-Lac fut le premier à effectuer son entrée dans le ring, vêtu d’une robe de couleur violette. Le champion le suivit de quelques secondes à peine, enveloppé dans une robe aux couleurs de l’arc-en-ciel et portant une serviette sur la tête. Au son de la cloche, Delaney se mit à appliquer à la lettre la stratégie qui avait été révélée au public quelques jours auparavant par son gérant Pete Reilly, et qui consistait à frapper Berlenbach avec force si l’occasion se présentait, mais à ne pas chercher le K.-O. à tout prix. Le clan Delaney était en effet confiant de voir leur boxeur remporter une bonne majorité des quinze rounds si le combat se rendait à la limite, une approche stratégique qui explique sans doute pourquoi «Bright Eyes» se présenta dans le ring à 167 livres environ, c’est-à-dire à un poids inférieur d’une quinzaine de livres à celui de Berlenbach réhydraté, mais qui favorisait l’endurance cardio-vasculaire.

Delaney prit le contrôle de l’affrontement dès les six premières minutes grâce à sa rapidité, sa précision, son plus vaste arsenal de frappes et ses déplacements supérieurs. Il ébranla Berlenbach avec une droite à la mâchoire au premier round et le malmena à nouveau au deuxième en plaçant une magnifique salve des deux mains. Le Québécois se blessa cependant au pouce gauche lors de cette seconde reprise, mais ce fait ne lui enleva pas l’usage de sa main avant. Au cinquième, un crochet de gauche fit même chuter Berlenbach, mais l’indomptable champion se releva immédiatement, et il continua à foncer comme un taureau et à placer avec régularité sa gauche au corps.

«The Astoria Assassin» connut ses meilleurs moments au neuvième et au dixième, deux rounds au cours desquels il donna l’impression de pouvoir renverser la vapeur. Mais Delaney se ressaisit avec brio dans le dernier tiers du combat. Au onzième, il ouvrit une coupure au-dessus de l’œil gauche du champion grâce à un bel uppercut de la droite, et au douzième, il l’ébranla sérieusement grâce à plusieurs coups de puissance délivrés en fin de round. Les trois dernières reprises virent le Québécois utiliser son jeu de jambes pour se déplacer en cercle autour de son rival et placer des frappes précises, incluant une puissante droite au quatorzième qui passa bien près de produire un second knock-down.

Au terme de sa magistrale performance, Delaney fut récompensé d’une victoire par décision unanime, rendue par l’arbitre Jim Crowley et les juges Charles F. Mathison et Tom Flynn. L’annonce du verdict déclencha une explosion de joie chez plusieurs spectateurs, qui projetèrent des chapeaux, des programmes et des journaux dans les airs. La liesse se manifesta de façon particulièrement intense chez les «Delaney’s screaming mamies», soit chez le groupe d’admiratrices qui, à l’époque, courait tous les combats de «Bright Eyes», et qui appréciait autant la belle apparence que les talents pugilistiques de ce dernier.

Delaney levant le poing après la décision des juges

«Je suis extrêmement heureux d’être le champion des mi-lourds», déclara le nouveau monarque à sa sortie du ring. «Ce fut un combat difficile, mais après le douzième round, je savais que j’avais une bonne avance et que la victoire m’appartenait. Je tiens toutefois à rendre hommage à Berlenbach, qui est un exemple de courage et qui possède la gauche la plus puissante avec laquelle on m’ait jamais frappé. J’ai tenté de placer une droite qui aurait mis fin au combat, mais Paul a tout encaissé et il est resté debout. Je vais maintenant me reposer pendant un mois environ, puis planifier ma première défense de titre».

Cette première défense eut lieu cinq mois plus tard, contre le Jamaica Kid, et elle fut suivie d’un quatrième affrontement contre Berlenbach en 1927, mais il s’agit d’autres chapitres de la glorieuse carrière de Delaney, sur lesquels il me faudra revenir dans un autre article.

Sources

James P. Dawson, «Berlenbach Bout Drawing Big Gate», The New York Times, 11 juillet 1926.

Auteur inconnu, «Berlenbach Ends Hard Work Today», The New York Times, 13 juillet 1926.

Auteur inconnu, «Delaney Suspends Intensive Training», The New York Times, 14 juillet 1926.

Auteur inconnu, «Will Win by a Knockout Is Assertion of Both the Champion and Challenger», The New York Times, 15 juillet 1926.

Auteur inconnu, «Berlenbach Risks His Title Tonight», The New York Times, 15 juillet 1926.

Frank Getti, «Light-Heavyweight Crown to Change Heads Tonight The “Wise Ones” Predict», The Evening Independent, 15 juillet 1926.

Auteur inconnu, «Fight Rained Out; To Be Held Tonight », The New York Times, 16 juillet 1926.

James P. Dawson, «Delaney Superior in 12 of 15 Rounds», The New York Times, 17 juillet 1926.

Auteur inconnu, «Jack Delaney Wins Berlenbach’s Title in Thrilling Fight», The New York Times, 17 juillet 1926.

 

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