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Le guerrier hanté par les blessures!

Par Rénald Boisvert

Autrefois, on pouvait reconnaître un boxeur aux traces sur son visage laissées par des blessures mal cicatrisées. Certains se souviendront de l’entaille à l’arcade sourcilière dont la plaie avait été maintes fois ravivée lors de retours trop hâtifs à la boxe. Ce sont d’ailleurs les coups de poings des sparring-partners qui en avaient empêché la saine cicatrisation en raclant la croûte de la peau avant qu’elle ne tombe d’elle-même.

Et que dire de ces anciens boxeurs affligés d’une protubérance à la partie frontale? Combien de coups de poing ces boxeurs avaient-ils encaissés pour causer une telle déformation du crâne? À la vieille époque, ces cas passaient presque inaperçus. 

Dans les temps présents, la plupart de ces stigmates (apparents) ont disparu. Bien sûr, il y a encore les blessures au nez dont les fractures successives finissent par déformer la cloison nasale. Cependant, il est plutôt rare de nos jours qu’une telle blessure s’aggrave au point de provoquer la formation d’une grosse bosse, comme c’était tellement le cas à une certaine époque.

Mais que s’est-il passé pour que des changements aussi significatifs se soient produits? Ce sera aujourd’hui le sujet de ma réflexion. Bien évidemment, je ne compte pas limiter mon analyse aux blessures apparentes des boxeurs.

Souffrir et s’endurcir

À la vieille époque, le milieu de la boxe banalisait-il l’impact des blessures? En fait, c’était beaucoup plus que cela. Je dirais plutôt que les blessures étaient alors perçues comme étant inhérentes à la pratique de la boxe professionnelle. C’était une sorte de conséquence nécessaire. Les performances étaient étroitement liées à la capacité des boxeurs de tolérer la souffrance. Les meurtrissures qui en résultaient étaient la preuve de leur endurcissement. 

S’entraîner jusqu’à l’épuisement était la règle. Il n’était donc pas question de ralentir à l’entraînement en présence de blessures en apparence mineures. Il fallait au contraire vouloir s’aguerrir coûte que coûte. Le concept de prévention des blessures n’existait tout simplement pas.

À la vieille époque, la privation d’eau à l’entraînement était également considérée par plusieurs entraîneurs comme étant une manière de tester la capacité de soutenir la souffrance. On ne se doutait pas alors de l’importance de l’hydratation pendant l’effort. Imaginez les sévices subis lors de ces séances d’entraînement interminables. Il est maintenant documenté qu’une diminution de 2% du poids corporel (eau) au cours d’une séance d’entraînement a un impact sur la santé en plus de provoquer une baisse considérable de la capacité de performance (environ 20%).

Les choses ont bien changé depuis l’époque old school. Mais en réalité, s’il s’est produit un changement de mentalité en ce qui concerne les blessures, j’estime que ce n’est pas tant la compassion pour les boxeurs qui est à l’origine de ce changement que la reconnaissance que les blessures ont un impact négatif sur la performance elle-même.

Des performances sans les blessures

Dans plusieurs sports d’élite, la souffrance est intimement associée à la performance. Vous connaissez l’expression «on n’a rien sans peine». Or, souffrir ne signifie pas nécessairement souffrir de blessures. La question est donc devenue la suivante : le boxeur peut-il se pousser de façon aussi importante qu’à la période old school, mais tout en réduisant les possibilités de se blesser?

Tout d’abord, ce sont des modifications à l’équipement des boxeurs qui ont été apportées. L’utilisation de casques de sparring plus légers et de gants dont le rembourrage (crin de cheval) a été remplacé par des mousses synthétiques a certainement contribué à réduire un bon nombre de blessures.

Mais ces changements étaient nettement insuffisants. Il fallait davantage aller en profondeur. Ce sont donc de nouvelles connaissances que l’on devait placer au centre des changements à apporter.

La prévention des blessures

De nos jours, les boxeurs d’élite sont habituellement entourés d’une équipe multidisciplinaire. Ce sont divers spécialistes (médecin sportif, préparateur physique, physiothérapeute, nutritionniste, massothérapeute et psychologue sportif) qui supportent l’entraîneur de boxe proprement dit. Même si ce ne sont pas tous les boxeurs qui profitent d’une équipe aussi élargie, il demeure que ces spécialités exercent une influence marquée sur l’ensemble de la pratique sportive.

Cela signifie que le sport a dorénavant pour guide les résultats de recherches scientifiques sur la prévention des blessures. Au cœur de ces recherches, le principe d’adaptation de l’organisme est fondamental. En bref, ce principe établit que le corps de l’athlète se renforce au fur et à mesure que la charge de travail augmente. N’est-ce pas impressionnant que le corps réagisse de la sorte lorsqu’il est entraîné? Par contre, l’athlète ne doit pas être soumis à des niveaux d’entraînement plus grands que sa capacité d’adaptation. C’est ici que se pose la nécessité d’un bon diagnostic.

On aura alors tendance à penser que la solution à ce problème est de «demeurer à l’écoute de son corps». Attention ici de ne pas tomber dans un piège! Il ne faut pas que la solution envisagée équivaille à vouloir évacuer la souffrance de l’entraînement. On ne doit pas confondre douleur et blessures. Bien au contraire, pour atteindre un très haut niveau de performance dans un sport comme la boxe, il est requis que l’athlète développe sa tolérance à la douleur au-delà de certaines limites. Même lorsque le corps dit : «c’est assez», l’athlète doit la plupart du temps maintenir l’effort et apprendre à en tolérer la douleur.

Dans la mesure où le niveau d’effort (et de souffrance) augmente graduellement à l’entraînement, c’est-à-dire sans brûler les étapes, les différentes structures du corps s’adaptent et se renforcent pour finalement devenir plus résistantes à la douleur. Tout est une question de mesure et de progression.

Par ailleurs, la prévention des blessures repose sur un diagnostic précoce. Il est donc important que les boxeurs portent attention aux blessures mineures avant qu’elles ne s’aggravent. Dans cette optique, les entraîneurs et les spécialistes de la santé travaillent de concert pour prévenir les cas de surentraînement ainsi que les blessures de surutilisation occasionnées par les charges de travail répétitifs. Grâce à une bonne gestion de la récupération, on peut affirmer que l’entourage des boxeurs parvient de nos jours à limiter considérablement les risques de blessure.

Mais il y a un type de blessure dont le contrôle des risques s’avère particulièrement difficile, sinon impossible. C’est donc avec préoccupation que j’en aborde la question.

Les commotions cérébrales

Contrairement aux autres blessures sportives, les commotions cérébrales ne peuvent pas à proprement parler faire l’objet d’un processus régulier de prévention des blessures. D’ailleurs, le protocole du ministère de l’Éducation et de l’enseignement supérieur du gouvernement du Québec concernant la gestion des commotions cérébrales, a pour point de départ les symptômes post-commotionnels. Par conséquent, je m’étonne d’y lire cette recommandation à l’effet que les intervenants «…doivent adopter une approche préventive avant que ne survienne un incident.»

En fait, c’est là tout le problème posé par les commotions cérébrales. C’est qu’elles sont imprédictibles! À titre d’entraîneurs, lorsque nous avons à intervenir auprès d’un athlète, déjà nous sommes devant le fait accompli. Pour pouvoir parler de prévention des blessures, il faudrait être en mesure d’agir en amont et non seulement réagir.

D’ailleurs, la plupart des commotions cérébrales sont indétectables médicalement. Dans la littérature sur le sujet, on dit qu’elles sont des «blessures invisibles».

Une piste de solution se trouve peut-être du côté de l’entraînement des capacités cognitives. Des recherches portant sur le basket-ball ont montré qu’il est possible d’entraîner (virtuellement) le cerveau d’un athlète en vue d’améliorer ses performances sur le terrain. Comme ce type d’entraînement parvient à développer les capacités cognitives et cérébrales des athlètes (prise de décision, vitesse de réaction, attention, etc…), pourrait-on en suivre l’évolution sur une base quasi-quotidienne et intervenir au moindre ralentissement ou stagnation?

L’objectif serait alors de détecter des indices permettant de prédire les commotions cérébrales, du moins celles qui ne se produisent pas soudainement. Je réfère ici aux commotions qui évoluent sur une certaine période de temps à la suite d’une accumulation de coups. D’ailleurs, cette sorte de commotion cérébrale serait la plus courante.

Pour la plupart des observateurs et des experts, c’est au cours des séances de sparring (combats d’entraînement) que se développent en tout premier lieu de légers traumatismes non détectés. Les casques et les gants de sparring (bien rembourrés) peuvent donner l’impression d’une excellente protection. Dans les faits, on soupçonne fortement que les échanges de coups lors de ces nombreuses séances préparatoires seraient à l’origine de la majorité des commotions cérébrales qui se produisent au moment du combat.

Ce qui rend les choses compliquées, c’est que ce ne sont pas tous les pugilistes qui sont vulnérables aux commotions cérébrales; certains boxeurs terminent leur carrière sans aucune séquelle après avoir été impliqués dans des guerres de tranchées alors que d’autres ayant livré des affrontements moins éprouvants doivent apprendre à vivre avec les symptômes associés aux commotions cérébrales.

J’ose espérer que des percées intéressantes pourront être réalisées en ce qui concerne la prévention des commotions cérébrales. En attendant, il ne faut cependant pas perdre de vue l’importance des protocoles destinés à la gestion de celles-ci. Ces protocoles ont notamment pour objectif de déterminer le bon moment pour l’athlète de revenir à l’entraînement après une commotion cérébrale. Ce questionnement demeure essentiel. Je me propose donc d’y consacrer un prochain article.

Je profiterai alors de l’occasion pour suggérer à propos de l’entraînement des boxeurs certaines mesures (concrètes) visant à prendre en considération les risques les plus courants de commotions cérébrales. Quoique modestes, trop modestes pour faire partie d’un quelconque protocole, je crois malgré tout que ces mesures peuvent nous inciter à redoubler de vigilance.

Conclusion

De nos jours, qu’en est-il du «guerrier» en ce qui concerne les risques de blessure? Peut-il vraiment envisager sa carrière professionnelle de la même façon que le pugiliste d’antan? Comme on sait, le boxeur d’élite bénéficie maintenant d’un entourage spécialisé qui lui permet de prolonger la durée de sa carrière et d’en améliorer la qualité. Comment pourrait-on lui reprocher de tenir compte de l’influence de ces spécialistes concernant la prévention des blessures et ce, même s’il lui faut sacrifier quelques aspects du spectacle!

Or, parmi les boxeurs qui n’appartiennent pas à l’élite, vous verrez encore de ces guerriers, au sens ancien du terme, braver tous les dangers que comportent les blessures, incluant les plus sévères d’entre elles. Certains de ces boxeurs veulent réaliser un rêve et sont prêts à tout risquer, y compris leur santé; pour d’autres, c’est simplement une manière de vivre intensément. Dans ces cas, quelle attitude doit adopter l’entraîneur de ces boxeurs? Voilà encore un sujet d’article que je dois réserver pour plus tard. Admettez qu’il y a là matière à réflexion!

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