Les défis du « matchmaking »

Par Jean-Luc Autret

Comme vous le savez, la boxe est bien plus complexe que simplement deux gars qui se frappent dessus dans un ring. Après vous avoir présenté un article sur la Régie des sports de combats il y a trois semaines, voici un article traitant d’un autre aspect méconnu du noble art, mais qui est essentiel à l’organisation de chaque gala.

Le «matchmaking», que l’on pourrait traduire par la planification et l’organisation de combats de boxe, est très souvent effectué par des gens qui en ont fait une spécialité avec le temps. Le plus important «matchmaker» québécois, Stéphane Loyer, a bien voulu répondre à nos questions et démystifier ce rôle de l’ombre.

La référence québécoise en matière de «matchmaking»

Comme bien des gens dans le milieu de la boxe, Stéphane n’est pas allé à l’école du matchmaking pour devenir le matchmaker attitré des Groupe Yvon Michel, InterBox et Eye of the Tiger Management. Il y a maintenant 10 ans, il a débuté dans ce milieu pour aider un ami, Stéphane «Brutus» Tessier, qui souhaitait boxer le plus souvent possible. Bien des années plus tard, il est devenu un incontournable qui fait affaire avec tout le monde.

En plus de travailler avec les trois plus importantes organisations québécoises, il a aussi aidé à organiser de nombreux autres galas au Québec en plus de permettre à de nombreux boxeurs d’ici d’obtenir des opportunités à l’étranger. À titre d’exemple, c’est lui qui a permis à Sylvera Louis de se battre en Espagne puis en Belgique dans les derniers mois.

Aujourd’hui, Stéphane travaille sur du matchmaking quelques heures par jour, et ce, sept jours sur sept, 365 jours à l’année. Même pendant le temps des fêtes ou lors de voyages dans le sud pour décrocher, il consulte ses courriels et répond à ses interlocuteurs qui sont éparpillés à travers la planète. «Puisque je travaille souvent sur plusieurs galas en même temps, je me lève souvent le matin et j’ai une cinquantaine de courriels qui sont rentrés dans les dernières heures. Lorsque je prends des vacances, je dois quand même prendre quelques minutes pour régler des dossiers en attente pour ne pas accumuler du retard», nous explique-t-il. De plus, le matchmaker a permis à de nombreux boxeurs de participer à des camps d’entraînement à l’étranger, notamment Éric Martel-Bahoéli qui s’est entraîné avec David Price en Angleterre et Sébastien Demers qui a fait deux séjours au gymnase d’Hassan N’dam en France.

Pourquoi y a-t-il autant d’étrangers sur les cartes de boxe d’ici?

C’est bien connu, au Québec, les amateurs sont friands de combats locaux, mais comme nous vous en avions parlé il y a près d’un mois, les occasions de duels entre Québécois se font rares depuis quelque temps. Stéphane Loyer explique ce fait par plusieurs raisons.

Tout d’abord, il faut savoir que les promoteurs souhaitent avant tout l’avancement de la carrière de leurs protégés, de sorte que les combats locaux représentent un boni, et non une priorité. Par ailleurs, il est malheureusement beaucoup plus facile de trouver des adversaires étrangers que d’essayer d’opposer deux Québécois ayant des fiches positives. «Les étrangers, ça ne les dérange pas d’affronter n’importe quel Québécois, alors que les boxeurs d’ici ne veulent pas mal paraître devant leurs propres supporteurs», explique Loyer. De plus, lorsqu’un boxeur d’ici est ouvert à affronter un autre Québécois, les négociations sont fréquemment difficiles, donnant souvent lieu à des demandes exagérées. Il n’est pas rare qu’un combat local coûte 50% plus cher au promoteur que si son protégé se frottait à un adversaire de l’extérieur.

Bref, pour être en mesure de trouver des adversaires, Stéphane a développé un large réseau avec des matchmakers, des gérants et des promoteurs de partout sur la planète. Il y a plusieurs raisons faisant qu’on voit régulièrement des Mexicains, des Polonais ou des Hongrois sur nos galas. «Les Mexicains sont selon moi le meilleur rapport qualité/prix: ils sont résistants, ils offrent une bonne opposition, et après avoir obtenu un visa pour un premier combat, il n’est pas rare de les voir revenir pour d’autres combats au Québec, comme dans le reste du Canada», souligne celui qui est aussi directeur des opérations chez Cogeco. En ce qui concerne les Polonais et les Hongrois, leurs bourses abordables, des billets d’avions peu dispendieux et le fait qu’ils fournissent facilement leur médicaux en font également des adversaires intéressants. De plus, il est fréquent de voir plusieurs boxeurs de ces pays sur une même carte, tous accompagnés par un seul et même entraîneur. Du coup, il s’agit d’une économie d’importance.

Lorsque Stéphane Loyer entame le matchmaking d’un gala à venir, il informe ses nombreux contacts de ses besoins et il reçoit un grand nombre de propositions dans les jours qui suivent. Après avoir analysé chacune des offres, il limitera à quelques noms la liste des adversaires potentiels. Il doit souvent éliminer plus de la moitié des offres qu’il a reçues. Par la suite, c’est le promoteur et/ou l’entraîneur du boxeur qui précisera sa ou ses préférences.

Peu importe qui est le promoteur de la soirée, Stéphane travaille toujours comme si c’était lui qui investissait de sa poche. Certains promoteurs lui donnent un budget prédéterminé pour chaque combat, d’autres lui donnent carte blanche. Bref, le matchmaker se garde toujours une marge de manœuvre lorsqu’il fait une proposition à un boxeur ou aux membres de son équipe. Selon le fonctionnement de chaque promoteur, il tente de trouver un terrain d’entente qui convient à toutes les parties.

Plusieurs amateurs l’ont remarqué avec le temps et Stéphane Loyer le reconnaît sans hésitation: «Camille Estephan est le promoteur qui carbure le plus aux défis pour ses boxeurs. Tout comme l’ensemble des promoteurs, il démontre de la confiance envers ses boxeurs et il souhaite que leur opposition soit de la meilleure qualité possible». Évidemment, on se souvient tous des combats récents de David Lemieux et de Dierry Jean, mais rappelons-nous aussi les défis présentés à Steven Butler le 20 juin, à Ghislain Maduma à Londres puis à New York, ou encore la visite de Mick Gadbois à Toronto en avril dernier. Ses boxeurs ne conservent pas tous une fiche immaculée, mais ils accumulent de l’expérience qui pourrait bien faire la différence lors d’un championnat du monde.

Comment avoir plus de combats locaux?

Régulièrement, différents intervenants du monde de la boxe réclament des affrontements locaux, qu’il s’agisse de duels d’envergure, tel que Pascal VS Stevenson, ou de duels de moindre importance, mais ayant le potentiel d’attirer des foules intéressantes.

L’expérience de Stéphane Loyer lui permet de faire quelques propositions qui pourraient faciliter la réalisation des souhaits de nombreux gérants d’estrades. «En plus de proposer une bourse alléchante, le promoteur pourrait offrir un pourcentage sur les billets vendus par le boxeur qui accepte d’affronter l’un de ses hommes. Une autre solution pourrait être de mettre en place un boni à la victoire. Par exemple, si tu bats mon boxeur, ta bourse augmente de 50%. Et dans le même sens, il pourrait offrir un deuxième, voire un troisième combat face à d’autres de ses protégés lorsque les divisions de poids le permettent», imagine le matchmaker de Ste-Julie.

Peut-être bien que de telles innovations faciliteraient la présentation de combats dans certaines divisions, par exemple entre 140 et 154 livres. Ainsi, il est de notoriété publique que les Steven Butler et Sébastien Bouchard se sont mutuellement défiés il y a plus ou moins un an. Plus récemment, Bouchard nous a révélé cibler les Butler, Théroux et Clagett à 147 livres. Par contre, il a refusé d’affronter Ayaz Hussain au même poids à l’occasion du gala du 30 janvier.

L’importance des médicaux

Le travail du matchmaker ne se limite pas à négocier les bourses des boxeurs: il doit aussi s’assurer de la validité des documents médicaux des pugilistes comme de leur capacité à entrer au Canada. Il s’agit d’un travail de longue haleine. Ne pas vérifier chaque détail forcerait l’annulation de bien des combats.

Par exemple, les boxeurs en provenance de l’Europe fournissent très facilement toute l’information médicale nécessaire parce que les médicaux sont obligatoires là-bas. Il s’agit ensuite de s’assurer qu’ils ont un visa et leur passeport, et tout est réglé. Autre facteur qui facilite la vie: un billet d’avion en provenance de la Pologne coûte bien moins cher qu’un Calgary-Montréal.

Pour ce qui est des autres endroits, particulièrement l’Amérique, le problème des médicaux en est un de taille. D’abord, dans bien des pays d’Amérique latine ou d’Amérique du Sud, les documents arriveront au Québec en espagnol et il faut donc prévoir quelques jours additionnels pour les faire traduire. De plus, il est arrivé à quelques reprises que la crédibilité des documents présentés soulève des doutes.

Du côté de nos voisins américains, il est souvent bien compliqué de les faire venir pour autre chose que le combat final d’un gala. Pour une raison que Stéphane Loyer ne peut s’expliquer, les Américains sont souvent très gourmands pour participer à une sous-carte. Ils demandent des sommes bien supérieures à ce qu’ils reçoivent lors de combats de niveau semblable aux États-Unis. De plus, ils n’ont pas souvent un passeport et certains demandent de passer les médicaux au Québec. Bref, ils posent des risques d’annulation de combat inutiles que notre matchmaker d’expérience préfère éviter.

4 Comments

  1. Didier

    6 janvier 2016 at 18 h 16 min

    «Camille Estephan est le promoteur qui… il souhaite que leur opposition soit de la meilleure qualité possible»

    Ce n’était clairement pas le cas lors des 2 derniers galas de EOTTM, l’opposition était très faible.

  2. Didier

    6 janvier 2016 at 18 h 31 min

    Par contre lors du dernier gala des frères Grant et de Rixa Promotions, l’opposition était forte et les combats étaient chaudement disputés.

    Est ce dû à une difference de budget pour trouver les opposants? Ou à un souhait des promoteurs/entraîneurs pour que le matchmaking soit si faible?

  3. Jacques Asselin

    13 janvier 2016 at 15 h 47 min

    D’accord avec Didier pour le gala des frères Grant.

  4. Pingback: 2016, une année de transition

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