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Mon entraîneur m’a-t-il trahi ?

Par Rénald Boisvert et Mario Lortie

Le coup le plus dur à encaisser par un boxeur est certainement le sentiment d’avoir été trahi par son entraîneur. Même un doute sur ce point pourrait suffire à ébranler la confiance de l’athlète pour toujours. Ceci soulève, abruptement dira-t-on, la question de l’éthique dans la relation boxeur/entraîneur.

Si notre façon d’aborder ce sujet a de quoi surprendre, c’est que nous voulons, d’entrée de jeu, sonner l’alarme à propos de certaines idées rétrogrades qui affublent les rapports entre boxeurs et entraîneurs. À l’ère de la communication par Internet, les boxeurs ne peuvent plus être tenus à l’écart de la «connaissance» autrefois réservée aux seuls entraîneurs. Non seulement cela signifie qu’il doit y avoir entre eux partage de l’information, mais aussi une participation active et grandissante des athlètes à un bon nombre de décisions touchant leur développement.

Comme on peut s’en douter, il y a un certain nombre d’entraîneurs qui résiste à ces changements. Mais pour ceux-ci, c’est perdu d’avance. En voulant s’attribuer le monopole de la vérité, ils perdront tôt ou tard la confiance de l’athlète. Les temps ont changé : les boxeurs ont désormais leur mot à dire en ce qui concerne leur développement.

«L’ON FAIT PLUS SOUVENT DES TRAHISONS PAR FAIBLESSE QUE PAR UN DESSEIN DE TRAHIR» – LA ROCHEFOUCAULD

Cette citation de François de La Rochefoucauld trouve une profonde résonance dans notre propos. En effet, ce n’est généralement pas à la suite d’une machination ou d’une quelconque intrigue que naîtra le sentiment de trahison. Bien au contraire. Dans la majorité des cas, on ne saurait guère reprocher à l’entraîneur d’avoir voulu trahir l’athlète. C’est davantage par faiblesse ou ignorance que l’entraîneur aura provoqué un tel sentiment.

En fait, notre mise en garde vise les entraîneurs peu enclins à développer l’esprit critique chez leur athlète. Ces entraîneurs ne se remettent généralement pas eux-mêmes en question. En début de carrière, l’athlète ne se rend pas compte de cette situation. Il n’a pas encore la maturité pour en comprendre l’importance. Alors cet athlète tardera à développer sa capacité de remise en question, n’ayant pas pour modèle un entraîneur lui-même capable de se renouveler. C’est donc plus tard, soit au moment où il prendra conscience de ses lacunes, qu’il éprouvera ce sentiment d’avoir été trahi par son entraîneur.

Précisons que l’époque «old school» accordait peu de place au développement de l’autonomie des boxeurs. C’était l’ère du temps. De nos jours, il convient dès l’enfance de développer l’initiative et le libre arbitre. Au plan sportif, il n’en résulte que de meilleurs athlètes. Au bout du compte, pour l’entraîneur conscient de cette dimension, il y aura le sentiment d’avoir contribué à la réalisation de l’athlète en tant qu’être humain, ainsi qu’à l’accomplissement de celui-ci en tant que boxeur. Par contre, pour l’entraîneur qui refuse de se réformer, ce sera la déception qui l’attendra à la croisée des chemins…

Pourtant, soulignons-le, les entraîneurs ont eux-mêmes tout à gagner de ces changements. En effet, une plus grande autonomie des athlètes n’est pas étrangère à l’amélioration de leurs performances.

UN ESPRIT CRITIQUE DANS UN CORPS SAIN

Même si en début de carrière il est naturel que l’athlète s’en remette aux décisions de l’entraîneur, il convient, malgré tout, que la relation entre eux soit basée sur une forte complicité dès les tout premiers instants. Dans cette optique, l’entraîneur s’accordera alors un rôle de moins en moins autoritaire, reconnaissant à l’athlète l’autonomie qui lui est nécessaire pour saisir graduellement tous les enjeux liés à sa carrière.

Or, ce rendez-vous avec l’autonomie n’est pas chose aussi évidente qu’on serait porté à le croire. C’est que le jeune athlète aura tendance à rechercher par dessus tout l’acceptation et l’estime de l’entraîneur, et ce parfois au point de se fondre en celui-ci. Pour cet athlète, devenir autonome requiert au préalable de développer son esprit critique et sa capacité de remise en question. Chose importante, un tel apprentissage peut et doit s’accomplir au gymnase. Les outils indispensables à ce développement sont les aspects stratégiques et tactiques que le boxeur doit éventuellement maîtriser par lui-même lors d’un combat. Mais pour y parvenir, le jeune athlète a besoin du concours de l’entraîneur.

Rappelons qu’à une époque pas si lointaine, on considérait les aspects stratégiques d’un combat comme étant l’affaire des entraîneurs. Sur ce sujet, les boxeurs n’avaient généralement pas droit au chapitre. Heureusement, les choses ont évolué depuis ce temps. Il faut dire que tout le domaine sportif a connu de profondes transformations avec l’introduction des méthodes d’entraînement modernes.

Par exemple, on sait maintenant que la capacité d’analyse ainsi que la prise de décision par l’athlète peuvent être développées, spécifiquement, dans le but de donner une «plus-value» à la performance sportive. Au plan stratégique, il faut comprendre que l’athlète doit constamment sélectionner un type d’action en particulier parmi plusieurs alternatives qui se présentent à lui. Aussi, l’entraîneur doit laisser à l’athlète une marge de manœuvre suffisante lui permettant de développer ce type d’habileté.

Au cœur de la «sweet science», la capacité de réfléchir et d’analyser – y compris remettre en question les choix tactiques et stratégiques – est indissociable de l’autonomie dont l’athlète doit faire preuve pour atteindre les plus hauts sommets. Ainsi, l’esprit critique fait partie des habiletés que l’athlète «moderne» doit développer au même titre que tout autre habileté.

Enfin, il importe de préciser que les manquements entourant l’autonomie et l’esprit critique du boxeur ne sont pas seuls à pouvoir éventuellement discréditer l’entraîneur. Il faut y ajouter les cas d’incompétence et plus particulièrement ceux prévalant au niveau pédagogique. En effet, de nos jours, motiver, planifier et entraîner semblent suffire pour accéder au rang d’entraîneur de boxe. La pédagogie vient-elle donc au second plan?

BERNARD HOPKINS S’ENFLAMME

Dans une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, Bernard Hopkins fustige les entraîneurs. Selon son point de vue, les entraîneurs ont délaissé leur rôle de pédagogue auprès des boxeurs. À notre époque, les entraîneurs se contenteraient-ils de prioriser la condition physique dans le but de favoriser le côté excitant de la boxe? Or, toujours selon Hopkins, le tout premier rôle du coach est celui d’enseigner les principes de la «sweet science».

Comment ne pas tomber d’accord avec Bernard Hopkins? Aussi, l’apprentissage du «toucher sans être touché» affirme-t-il avec conviction, suppose que l’entraîneur maîtrise son art. Ce n’est absolument pas une simple question de condition physique. Il y a beaucoup plus que cela. Notamment, les grands coachs de boxe ont élaboré un savoir-faire qui a permis de bâtir de grands champions. Ce faisant, ils ont tracé un chemin que l’ensemble des entraîneurs devraient emprunter pour le bénéfice de leurs athlètes.

En conséquence, il y a un examen de conscience à faire pour chacun de nous en tant qu’entraîneur. Sommes-nous les pédagogues dont nos athlètes ont besoin pour les aider à réaliser les objectifs qu’ils se sont fixés? L’éthique commande que nous nous posions cette question. Si nous répondons par l’affirmative, alors cela suppose que nous prenions tous les moyens pour nous mettre à jour et nous renouveler par la suite. De cette façon, nous éviterons d’être éventuellement l’objet de reproches et d’en porter l’odieux.

L’APPROCHE «OLD SCHOOL» : DU BON ET DU MAUVAIS

L’école traditionnelle, aussi appelée «vieille école», fait l’objet de critiques sévères, parfois trop sévères. Il ne faudrait quand même pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Au plan technique, quoiqu’on en dise, la méthode traditionnelle a passablement évolué au fil du temps. Comme beaucoup d’autres disciplines, elle a grandi à partir d’observations et d’expérimentations. C’est pourquoi l’approche «old school» a accumulé après plus d’un siècle un immense bagage d’informations et de connaissances qui justifient son existence. Il serait donc insensé de vouloir faire table rase.

De plus, la transmission de cette approche s’étant effectuée surtout oralement, il a fallu une longue et solide tradition pour maintenir tant de stabilité et de cohérence au niveau de l’enseignement de la boxe. On ne peut imaginer le nombre incalculable d’entraîneurs qui sont intervenus, partout au monde, y compris dans les milieux les plus reculés et isolés, loin des centres universitaires et académiques. L’approche «old school» n’a donc pas vécu dans la ouate. C’est peut-être pour cela qu’elle s’est endurcie au point où elle regarde avec suspicion ceux qui s’intéressent maintenant à elle.

Néanmoins, l’ère dite «old school» ne peut plus continuer à exister en vase clos. La boxe a déjà commencé à se transformer en profondeur. On aurait donc tord de se comporter comme si rien n’était. Par conséquent, la solution n’est-elle pas d’adopter une approche intégrée regroupant les mérites de l’enseignement «old school» et ceux des méthodes d’entraînement modernes?

Or, une telle approche dite «intégrée» ne consiste pas à faire une simple addition des deux écoles de pensée. En fait, c’est plutôt le meilleur des deux mondes qui doit ressortir ici. Pour y arriver, il est nécessaire que les deux écoles démontrent une ouverture à ce que tout soit sur la table. Cela implique notamment qu’elles soient toutes deux disposées à faire de profondes concessions.

Dans le cas de la «nouvelle école», elle doit en tout premier lieu reconnaître une certaine valeur à l’intuition. Même si les grands entraîneurs ont sur ce point laissé un héritage intangible, il n’en demeure pas moins que l’intuition a joué et continuera de jouer un rôle déterminant dans l’évolution de la boxe. Nul ne peut ignorer une telle contribution. En second lieu, pour les tenants de la «new school», la condition physique doit cesser d’être une obsession. Quoique importante, la condition physique est loin de faire foi de tout. En somme, n’est-elle pas qu’un aspect parmi d’autres du développement d’un boxeur?

Quant à la «vieille école», elle gagnerait à tenir compte des principes scientifiques s’appliquant à tout le domaine sportif. Elle s’assurerait alors bien davantage de la pérennité de ses traditions. Au siècle dernier, l’approche «old school» a pu se suffire à elle-même. Ce n’est plus possible. Pour éviter l’éclatement de son savoir-faire, l’école traditionnelle doit passer au tamis de la connaissance scientifique. Une fois épuré, ce savoir-faire s’en trouverait fortement consolidé. L’approche «old school» pourrait ainsi survivre à cette époque largement dominée par les progrès scientifiques.

CONCLUSION

Il n’y a pas à dire, le rôle d’entraîneur n’est pas de tout repos. En réalité, le temps est révolu où ce rôle consistait à diriger sommairement les athlètes. Disons-le autrement, il ne suffit plus d’être un père pour ses boxeurs. Ce rôle fait maintenant appel à une expertise bien concrète. Et il est fort à parier qu’on parlera bientôt de performance pour en fixer les attentes.

Dans ces conditions, l’entraîneur fait face à une double menace. D’une part, on pourrait lui reprocher ses croyances «old school» parce qu’il ne s’est pas mis à jour en regard des récentes méthodes d’entraînement. D’autre part, on pourrait lui reprocher d’appartenir à la «nouvelle école» parce qu’il a négligé certains enseignements qui ont traversé le temps. En définitive, les occasions de reproche guettent l’entraîneur de tous côtés.

La solution à ce problème réside en grande partie dans la responsabilisation de l’athlète. En d’autres mots, il s’agit de le mettre dans le coup. L’objectif n’étant pas pour l’entraîneur de se décharger de ses responsabilités, mais simplement d’amener l’athlète à prendre part aux décisions qui le concernent.

Il est donc grand temps pour l’entraîneur de considérer l’athlète comme un partenaire en devenir plutôt qu’un éternel protégé. Pendant trop longtemps on a infantilisé le boxeur. Ainsi donc, en renonçant à une partie de son autorité, l’entraîneur fera grandir l’athlète et, de ce fait, lui-même grandira. Mais aussi, il s’en fera un allié avec qui traverser les moments difficiles.

Enfin, parce que les temps changent, soulignons-le, on assiste présentement avec Internet à une véritable démocratisation de la connaissance. Pour le jeune boxeur, cela signifie qu’on ne peut plus le tenir captif d’une seule influence, laquelle était autrefois exercée par son entraîneur. Il s’agit maintenant que tous deux discutent ouvertement et échangent leurs points de vue, notamment à propos de ce qui circule sur Internet.

En effet, on trouve sur Internet une multitude de segments portant sur l’entraînement de la boxe. Alors que certains d’entre eux se distinguent par leur pertinence, d’autres ne sont que l’oeuvre de charlatans. Or le jeune boxeur n’est pas toujours en mesure de distinguer ce qui est à retenir par rapport à ce qui ne l’est pas. Par conséquent, l’entraîneur ne doit-il pas s’intéresser à ce matériel abondant que l’on trouve sur Internet? Il s’agit là d’une immense sphère d’influence, de sorte que le rôle de l’entraîneur par rapport à cette sphère consiste à intervenir auprès de l’athlète en tant que «pédagogue». Voilà un défi que celui-ci doit cependant relever avec humilité et circonspection.

 

One Comment

  1. Richard L'Ecuyer

    9 octobre 2015 at 0 h 00 min

    Excellent texte, merci .

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