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Songe d’une nuit d’été

Par Benoît Dussault

Je remonte l’Avenue des Amériques le plus rapidement possible, je ne veux surtout pas être en retard à ce point de presse d’après combat. J’ai quitté ma chambre lamentable de l’East Village depuis un bon moment déjà et je tire mon immense valise derrière moi, sacrant de ne toujours pas savoir voyager léger. J’ai l’impression de marcher depuis des heures et que jamais je n’arriverai au Sheraton Four Points sur la 40e rue près du Madison Square Garden. Le rendez-vous est pour 11h, je serai probablement trop tard. Difficile de marcher rapidement avec tous ces gens. Il fait chaud pour un 18 octobre. Je sauterais bien dans un taxi, mais mon budget ne me le permet pas.

J’arrive enfin au chic restaurant du Sheraton Four Points avec une dizaine de minutes de retard. Le restaurant est occupé avec son populaire brunch du dimanche, mais je ne reconnais personne. Aucun autre représentant des médias n’est présent. On dirait qu’il ne s’est rien passé de magique hier soir. La rencontre est peut-être déjà terminée ou a été annulée. L’hôtesse s’approche et je lui demande où est le point de presse. Elle n’en a pas la moindre idée. Ne sait pas qui est David Lemieux et semble s’en foutre royalement. Je suis découragé et je me sens un peu ridicule dans mon T-shirt à l’effigie de 12rounds.ca dégoulinant de sueur. Elle m’assigne une table près des toilettes, je m’assoie et consulte le menu. Le brunch du dimanche est à 49,99$, une aubaine dans la Grosse Pomme semble-t-il. Je récupère le New York Times sur la table voisine, la une de la section Sports titre «Lemieux New Monarch of the Ring». Je n’ai pas rêvé.

Je m’apprête à quitter lorsque j’aperçois Camille Estephan et Marc Ramsay à la porte du restaurant. Je leur fais signe de la main. Ils viennent se joindre à moi. Je les félicite pour la superbe victoire de David, hier soir. Ils me décochent un sourire d’immense satisfaction. Camille se dit très surpris que la rencontre n’ait attiré aucun autre média. Encore une exclusivité 12rounds.ca. Il m’explique que David ne viendra pas, qu’il le laisse dormir puisqu’il s’est couché très tard après être demeuré sous observation plusieurs heures à l’hôpital du Mount Sinaï et que dès lundi il a plusieurs entrevues radio et télé. La serveuse nous invite à nous rendre au buffet. Avec un peu de chance, Camille ramassera la facture.

Marc, plus volubile qu’à l’habitude, n’a envie que de parler du combat. Il m’explique que David a toujours cru en sa victoire et que tout au long du camp d’entraînement il n’a jamais douté, pas même un instant. Contrairement aux autres adversaires de Golovkin, Lemieux ne voulait pas se contenter de faire des rounds et de bien paraître. Lemieux s’était préparé pour gagner ce combat. Il voulait la victoire à tout prix, quitte à crever sur le ring. Pendant des semaines, Marc et son équipe ont passé à la loupe tous les combats de GGG pour déceler ses vulnérabilités. Le coup de poing qui a mis fin au combat a été pratiqué en gymnase des centaines et des centaines de fois.

«Lorsque David s’est retrouvé au plancher à la fin du premier round sur un jab, personne n’a paniqué», me confie Marc. «David s’attendait à ce que GGG frappe fort. Il s’est ressaisi, a levé sa garde et a laissé passer la tempête. Dès le 2e round, David a enfin réussi à toucher GGG d’un crochet de gauche qui a fait mal, mais plus encore qui a fait réfléchir Golovkin. Puis la catastrophe est arrivée, David s’est retrouvé de nouveau au plancher au 3e round sur un jab. Au quatrième, la foule était debout prête à couronner GGG quand David a visité le tapis à deux reprises. D’abord sur un jab, encore une fois, puis avec 45 secondes à faire au round une combinaison jab-direct-crochet qui aurait pu coucher un cheval. David s’est relevé péniblement, puis un coup bas lancé par GGG a forcé l’arbitre Tony Weeks à donner le temps nécessaire à David pour récupérer. C’est à ce moment-là que David nous a regardés dans le coin et que nous avons compris qu’il avait récupéré. Un instant auparavant, nous pensions que l’aventure était terminée. C’était mal connaître David. Dire que j’avais la serviette dans les mains, prêt à tout arrêter pour le bien de mon boxeur».

J’écoute passionnément Marc raconter la suite du combat que je repasse en images dans ma tête. «Entre le 4e et le 5e round, j’ai demandé à David ce qu’il voulait faire. Il m’a répondu que Golovkin se sentait trop confiant et qu’il baisserait sa garde. J’ai compris alors que David y croyait encore, qu’il avait un plan et qu’il voulait retourner à la guerre. Lorsqu’il s’est levé au début du 5e , la foule s’est aussi levée pour reconnaître son immense courage. Avec quelques secondes à faire dans le round, David a appliqué un foudroyant crochet à la tempe de GGG et cette fois c’est Golovkin qui s’est retrouvé au plancher laissant la foule du Madison Square Garden sans mot. GGG a rapidement signalé à l’arbitre qu’il s’agissait d’une glissade. David savait très bien qu’il n’en était rien et qu’il avait fait du dommage. Dès la reprise du 6e, on a senti GGG plus craintif, il boxait sur les talons, portant sa main droite très haute pour contrer le crochet dévastateur de Lemieux. C’est à ce moment que David lui passa le crochet de gauche au corps qui allait mettre fin au combat. Nous avions répété cette séquence des centaines de fois au gymnase. Camille me regarde et je sais que tout comme moi, il revoit la scène qui fera tous les bulletins de sports de fin de soirée, GGG plié en deux par la douleur, les genoux au tapis, signifiant de la main à l’arbitre Tony Weeks qu’il abandonne, qu’il n’en peut plus.

Les centaines de Québécois venus par autobus sont en liesse. Lemieux, le fleurdelisé sur les épaules, salue ses supporteurs. Les fans de Golovkin ne peuvent s’empêcher de l’acclamer aussi. À la télévision américaine, Lemieux promet d’offrir un combat revanche à Golovkin, mais cette fois, ce sera chez lui à Montréal devant ses partisans. GGG, bon joueur, reconnaît la ténacité et la force de frappe de Lemieux, mais jure que le prochain affrontement sera bien différent. L’entraîneur Abel Sanchez y va de commentaires déplacés en parlant de la performance du Québécois et parle de “lucky punch”».

Camille, le sourire tatoué d’une oreille à l’autre, écoute attentivement Coach Ramsay nous faire revivre le combat. Il me confie avoir toujours cru en David. Il avoue aussi que dès la fin du combat, son cellulaire s’est mis à sonner. Déjà, on parle de Cotto, d’Alvarez et même de Ward. On parle de plusieurs gros combats, de plusieurs dizaines de millions de dollars. David sera dans le top five des meilleurs boxeurs livre pour livre. Du jamais vu!

Je me lève la tête juste assez longtemps pour apercevoir David Lemieux qui se dirige vers nous. Malgré les verres fumés, on devine l’enflure autour des yeux, toute la violence du combat de la veille se lit sur son visage. Tout sourire, il me sert la main et s’assoit à côté de Marc. C’est maintenant au tour du gars de RDS et de celui de TVA de s’approcher et de se joindre à notre groupe. Aussitôt assis, les journalistes télé félicitent David et lui demandent ce qu’il pense de la performance de Carey Price dans la défaite du CH à Long Island hier soir.

  • Benoît! Benoît! Réveille-toi, tu es tout en sueur. – Je te connais, tu as encore fait un de tes rêves «spéciaux» pour avoir ce grand sourire étampé dans la face? Avoue espèce de vieux cochon …
  • Non, ce n’est pas ce que tu penses chérie, je te jure, pas ça cette fois! ……….C’était pas ça du tout, c’était un rêve ….. encore meilleur!

Crédit photo: PhotoZone

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