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Êtes-vous nostalgiques de la boxe d’antan ?

Par Rénald Boisvert

«La boxe n’est plus ce qu’elle était» répète-t-on avec amertume. Il n’y a pas à dire, la boxe d’aujourd’hui est fortement malmenée par un grand nombre de partisans. D’ordinaire, j’éprouve beaucoup de méfiance face aux élans de nostalgie. Mais comme ce sentiment à l’égard de la boxe est partagé par plusieurs entraîneurs, je me sens particulièrement concerné. Puis, il y a aussi que la nostalgie est principalement l’affaire des vieux et voyez-vous… je suis vieux!

Melo Marcotte signatureSi je veux vraiment être sérieux, je dois cependant m’en tenir à une conception de la nostalgie qui soit objective. Ainsi, je ne dois pas céder à la tentation d’embellir le passé. Le cas échéant, on m’accuserait à juste titre d’inadapté ou de réactionnaire. À l’inverse, je ne dois pas supposer que tous les sentiments éprouvant de la nostalgie sont nécessairement mauvais parce que contraires au modernisme.

À vrai dire, la question n’est pas simple. Car il y a plusieurs choses qui causent de la nostalgie chez les partisans. Pour aujourd’hui, je vais limiter ma réflexion à une seule. Voici comment je me permets de la formuler.

«Pour être le meilleur, il faut battre le meilleur»

Les boxeurs d’aujourd’hui ont-ils perdu le sens de l’honneur? Se mesurer au meilleur de la catégorie ne semble plus constituer l’objectif premier. De nos jours, les boxeurs d’élite se comportent comme des entrepreneurs plus soucieux de gérer leur carrière que d’affronter l’adversaire le plus redoutable.

Autrefois, tout était mis en œuvre pour couronner un seul champion. Les boxeurs se sentaient alors liés par une sorte d’engagement moral : détrôner le champion sans détour, ni évitement. On est très loin aujourd’hui d’un tel impératif. Mais que s’est-il passé pour qu’un changement aussi radical se soit produit?

Une affaire de rentabilité

Ce qui vient à l’esprit en premier pour expliquer ce renversement de valeur, c’est la multiplication des associations de boxe et des ceintures en tous genres. Mais ce phénomène, quoique réel, s’explique lui-même à partir d’une perspective beaucoup plus large : la rentabilité.

De nos jours, non seulement les promoteurs, mais aussi tous ceux qui ont affaire à la boxe souhaitent tirer plus de bénéfices. À commencer par les boxeurs. Or il ne suffit pas de vouloir gagner plus. Pour bien comprendre ce qui se passe, il faut référer au concept d’optimisation. Dans cette optique, le boxeur se perçoit lui-même comme un objet d’investissement, un capital susceptible de procurer plus de revenus dans la mesure où il choisit la bonne stratégie de mise en marché.

C’est pourquoi vous verrez des boxeurs manifester l’intention ferme d’affronter un opposant, mais par la suite revenir sur cette décision dans le but de préférer un adversaire différent. Ces boxeurs craignaient-ils l’adversaire du départ? Pas du tout. C’est seulement qu’à la suite de discussions avec leur équipe, gérant et promoteur, la décision initiale est apparue comme n’étant pas la bonne.

La rentabilité signifie que le boxeur et son équipe (souvent élargie) choisissent d’emprunter le chemin le plus «efficient». Ainsi, parfois c’est à court terme qu’on attend la réalisation de bénéfices appréciables; mais le plus souvent, l’optimisation suppose tout au moins que l’évaluation de la situation s’effectue sur un horizon plus long.

Pour l’athlète d’élite, la boxe est devenue bien plus que cette carrière fugace et éphémère. Il faut plutôt la considérer comme un type d’investissement particulier dans lequel le boxeur est à la fois l’objet et le sujet de cet investissement. Autrement dit, il est ce capital humain en même temps qu’il en est le décideur (ou l’un de ceux qui ont à décider). Par conséquent, l’intérêt du boxeur peut diverger profondément de celui de la boxe elle-même. Il faut s’y faire. On ne peut pas reprocher au boxeur de vouloir optimiser son investissement.

Adonis Stevenson-eleider alvarezPar ailleurs, le mécontentement de la part des partisans pourrait-il amener éventuellement certains changements? Pourrait-on alors durcir les règles, par exemple celle-là censée obliger le champion à combattre le premier aspirant? Et de façon générale, devrait-on s’en tenir au rang mondial occupé par un boxeur afin de déterminer son prochain adversaire? Quoiqu’intéressantes, ces solutions se buteraient à un obstacle de taille. En réalité, sous une autre forme, c’est encore la façon «toute économique» de concevoir la boxe qui prévaut ici.

Le sport-spectacle

La boxe professionnelle se fait toute petite face à ce qu’il est convenu d’appeler «l’industrie du spectacle». Soumise à l’omnipuissance des réseaux de télévision et des diverses associations, elle est vouée à faire les frais des guerres que ces derniers se livrent entre eux. Notamment, cet état de fait a conduit la boxe à l’anarchie pour ce qui est de l’utilisation de ses propres règles. N’ayant pas le contrôle de son agenda, la boxe professionnelle apparaît ni plus ni moins comme la servante de l’industrie du spectacle.

Mais sur ce sujet, y a-t-il vraiment lieu de parler encore de nostalgie? En ce qui concerne ses influences, la boxe n’a pas un passé glorieux. Pour sa petite histoire, je signale qu’elle a été sous le contrôle du monde interlope et de promoteurs véreux. En revanche, à la suite de l’intervention de commissions d’enquête, je dois admettre que la boxe est parvenue à se défaire dans une large mesure de ces emprises.

Or, je ne pourrais pas en espérer autant pour ce qui est du joug actuel. Car, il faut bien reconnaître que le contrôle exercé par l’industrie du spectacle paraît d’autant plus assuré qu’il n’a rien d’illégal. En réalité, ce contrôle n’est pas différent de ce qui se passe dans l’économie en général. Qui plus est, l’industrie du spectacle est parvenue à s’octroyer une certaine légitimité du fait qu’elle présente triomphalement des combats à grand déploiement. Mais cette réussite ne doit pas faire oublier que la boxe professionnelle a été dépouillée de son autonomie réelle. L’industrie du spectacle a rompu le peu d’unité que la boxe possédait. La confusion qui règne concernant le classement des boxeurs ainsi que l’écart faramineux qui existe entre les bourses versées à ceux-ci ne sont que quelques exemples de ce cafouillage.

Conclusion

À la suite de cette réflexion, je ne me sens pas particulièrement habité par la nostalgie. Mais je peux très bien comprendre que ce sentiment soit éprouvé par plusieurs partisans. Pour ma part, je n’ai fait qu’un simple et dur constat de la triste réalité dans laquelle se trouve la boxe professionnelle. Malheureusement, je n’entrevois dans les circonstances aucune solution. Il s’en trouve peut-être parmi vous pour en échafauder quelques-unes.

Dans un prochain article, je traiterai encore du sentiment de nostalgie. Cette fois, il sera question du guerrier, soit ce boxeur que l’on dit prêt à mourir dans le ring. Or, plusieurs amateurs prétendent que ce type de boxeur est en régression. Ce sujet mérite certainement qu’on s’y intéresse.

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