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Kovalev-Ward: Mystère et boule de gomme !!!

Par Rénald Boisvert

C’est avec une certaine fébrilité que j’attends le moment où s’affronteront ces deux titans de la boxe professionnelle. Ce combat m’apparaît d’autant plus intéressant que Kovalev et Ward possèdent des styles diamétralement opposés. Alors que Sergey Kovalev mise habituellement sur sa puissance de frappe, Andre Ward se concentre plutôt sur les opportunités qu’il parvient à créer à partir de sa défensive.

Mais cette différence entre eux sera-t-elle aussi déterminante qu’il y paraît? Je ne le crois pas. S’il est vrai que «ce sont les styles qui font les combats», alors je suis d’avis que c’est beaucoup plus au niveau du positionnement, de la distance – ce que chacun d’eux tentera d’imposer à l’autre – que se décidera l’issue du combat.

La distance de frappe

Pour ma part, ce qui distingue davantage ces boxeurs, c’est leur façon de contrôler la «distance» par rapport à l’adversaire. Tandis que Kovalev utilise ses déplacements de manière à tenir l’adversaire à moyenne distance, Ward recourt à son jeu de pieds afin de s’amener à courte portée et en ressortir selon la situation.

Dans ces conditions, il apparaît évident que Kovalev devra empêcher Ward d’entrer à l’intérieur pour ne pas être incommodé par la pression que ce dernier pourrait exercer sur lui. Par ailleurs, s’il parvient à garder Ward à moyenne distance, Kovalev sera très menaçant compte tenu de son habileté à combattre à partir de cette position. Il serait alors étonnant que Ward puisse rivaliser sur ce plan avec le boxeur d’origine russe.

Pour Andre Ward, l’objectif sera par conséquent d’éviter de se trouver là où Kovalev excelle. Ainsi, il est fort à parier que Ward espérera déjouer Kovalev, tantôt en se tenant hors de portée, tantôt en s’immisçant à l’intérieur de sa garde. Or, c’est à courte portée que le boxeur de la Californie devra surtout se trouver s’il veut infliger des dommages à son adversaire. On sait que Kovalev n’est pas très à l’aise dans un combat de type rapproché.

Kovalev parviendra-t-il à garder Ward à moyenne distance? Ward réussira-t-il à entrer à l’intérieur? C’est ce genre de questionnement qui m’est venu spontanément à l’esprit au moment où la date de ce combat a été dévoilée. Mais il y a quelque jours, en lisant un article écrit par Martin Achard, intitulé : «Quelques faits sur Sergey Kovalev», j’ai compris que le sort de ce combat ne se jouerait peut-être pas seulement au niveau de leur différence de style, mais aussi au niveau d’une qualité qu’ils ont en commun. Cette qualité s’appelle «timing» et ce ne sont pas tous les pugilistes qui en sont aussi bien pourvus que Kovalev et Ward.

Le «timing»

Dans son article, Martin Achard cite les propos à première vue étonnants que l’un des entraîneurs de Kovalev, Don Turner, a tenus lors d’une entrevue qu’il a donnée au Ring Magazine en 2013 : «Kovalev ne frappe pas si fort, mais il frappe au bon moment… Quand on frappe un gars exactement au bon moment, c’est comme si on le frappait deux fois plus fort qu’en temps normal».

Ces propos de Don Turner décrivent plutôt bien ce qu’est le «timing» pour un boxeur. Pour appuyer cette description, j’ajouterais que le «timing» est un mélange de précision et de momentum. Ce n’est donc pas que précision. Plus complexe, l’idée de momentum suppose que la cible n’est pas statique. Tel un computer, le cerveau humain doit alors évaluer et enregistrer la vitesse et l’orientation de la cible au fur et à mesure qu’elle se déplace. Pour l’atteindre au bon endroit et au bon moment, le cerveau du boxeur doit donc faire ces calculs de façon instantané. Aussi, l’absence de timing chez un combattant se traduira souvent par l’hésitation et un mauvais synchronisme.

Le «timing» bat la vitesse

Peut-être avez-vous déjà entendu un entraîneur affirmer que : «le timing bat la vitesse». Pour soutenir cette affirmation, prenons l’exemple du combat Mayweather-Judah. Ainsi, tout en concédant à son adversaire un avantage en ce qui concerne la rapidité, Floyd Mayweather Junior a fait preuve d’un timing nettement supérieur à celui de Zab Judah, tant au niveau de la défensive que de l’attaque. Mayweather n’a fait qu’une bouchée de Judah. Par ailleurs, si on en juge par les propos de Don Turner, il n’y a pas que la vitesse que le timing détrône au niveau de l’efficacité. En se basant sur ce qu’il a déclaré à propos de Kovalev, ne faudrait-il pas ajouter l’affirmation suivante : «le timing bat aussi la puissance…»? Regardons cela de plus près.

À titre d’entraîneur, j’ai eu l’occasion d’utiliser les mitaines d’entraînement avec un grand nombre de boxeurs dont certains cognaient extrêmement dur. Or, de ce nombre de cogneurs, seulement une petite proportion parvenaient à transférer leur pleine puissance dans un combat. C’est qu’un adversaire n’est pas une cible immobile. Il suffit d’un écart de quelques centimètres pour frapper au mauvais endroit et d’une fraction de seconde pour que ce soit au mauvais moment. Ainsi, il n’y a qu’un petit nombre de cogneurs qui parviennent à développer pleinement leur timing. À titre d’exemple, vous avez certainement observé que Steven Butler a grandement amélioré cette aptitude au cours de la dernière année.

Par ailleurs, il existe des boxeurs dont la puissance de frappe n’est pas celle des cogneurs, mais dont l’efficacité leur est comparable au moment où ils se retrouvent dans un ring de boxe. C’est le cas, par exemple, de Yves Junior Ulysse, pour reprendre les mots de Don Turner, «c’est comme s’il frappait deux fois plus fort qu’en temps normal». Ceci est tellement vrai pour Ulysse qu’un bon nombre de «sparring partners» (dont certains avaient jusqu’à vingt livres de plus que lui) ont avoué avoir été surpris par l’impact de ses coups de poing. Le timing est par conséquent une aptitude fondamentale en boxe. D’autres boxeurs que je connais particulièrement bien pour avoir travaillé avec eux, tels Ghislain Maduma et Mathieu Germain, lesquels ne disposent pas d’une force de frappe exceptionnelle, se sont également imposés grâce à cette aptitude et très souvent au dépens d’adversaires plus puissants qu’eux.

En résumé, le timing occupe probablement la place la plus importante au niveau des aptitudes qu’un boxeur doit développer tout au long de sa carrière. Kovalev et Ward sont certainement parvenus à leur summum quant à la maîtrise de cette aptitude. Leur affrontement pourrait donc devenir l’un des meilleurs combats de la décennie. Par contre, il pourrait également décevoir!

Possibilité d’anti-boxe

J’ose croire que le combat entre Sergey Kovalev et Andre Ward sera un combat mémorable au plan technique. Par ailleurs, je suis loin d’être certain qu’il sera enlevant. Ces deux boxeurs pourraient très bien opter pour la prudence compte tenu que chacun d’eux représente pour l’autre une sorte de boite à surprise.

Dans cette optique, pour ne pas laisser Ward s’introduire à l’intérieur, Kovalev pourrait choisir d’accrocher et de le retenir et ainsi l’empêcher de faire ce qu’il fait de mieux. De son coté, pour ne pas entrer dans les coups puissants de Kovalev, Ward pourrait choisir d’espacer ses tentatives de s’engager à l’intérieur, attendre le moment opportun et ainsi prendre moins de risques. Vous voyez cela! Mais espérons plutôt que la stratégie de chacun sera, tout au contraire, de forcer l’autre à combattre et à déployer tout ce qu’il a dans le ventre.

Conclusion 

Pour ce qui est du domaine des prédictions, tous ceux qui me connaissent bien savent que je préfère m’abstenir. Je me limite donc le plus souvent à décrire ce que je vois… et comme je ne sais ni voir, ni lire dans une boule de cristal pas plus que dans une boule de gomme, alors je continue de penser que l’issue du combat entre Kovalev et Ward restera pour moi un mystère jusqu’à la toute fin de leur affrontement.

5 Comments

  1. Pingback: Ward-Kovalev 2, l'analyse de Rénald Boisvert et François Duguay

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