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L’effet pernicieux des « Sports-Études »

Steven Butler à l'écoute de rénald Boisvert

Par Rénald Boisvert

Bien que les divers programmes de Sport-Études se soient donnés pour objectif de favoriser l’intégration aux études par le sport, il faut quand même admettre, paradoxalement, que ces programmes ont aussi comme conséquence de créer une forme d’exclusion sociale. Et c’est probablement la boxe qui offre l’exemple le plus percutant de ce paradoxe.

Faisons une mise au point. Le présent texte ne se veut aucunement exhaustif. Plus modestement, il propose une réflexion en quelque sorte exploratoire sur un sujet assez délicat. Aussi, ce que nous entendons par «programmes de Sport-Études» n’est pas limitatif – nous ne nous restreignons pas ici à la définition du Ministère (MELS); notre propos s’adresse donc à tous les types de programmes liant le sport aux études, peu importe que ce soit au niveau secondaire, collégial ou universitaire.

Soyons d’abord positifs

En subordonnant l’obtention de bourses et/ou autres avantages à la fréquentation scolaire, ces programmes parviennent à inciter un grand nombre de jeunes sportifs à adopter une discipline de travail ainsi que des habitudes de vie qui s’avèrent essentielles à leur intégration. Ces mesures sont donc bénéfiques pour un très grand nombre de jeunes personnes déjà motivées, mais qui ont besoin de ce coup de pouce pour atteindre leurs objectifs autant scolaires que sportifs. En cela, ces programmes paraissent tout à fait «irréprochables». Mais est-ce vraiment le cas? Ce serait sans considérer que l’un des effets de ces programmes est pernicieux.

Attention! Il ne s’agit pas ici de nier l’efficacité des programmes de Sport-Études, du moins auprès de la majorité de la clientèle visée. Bien au contraire, selon une  perspective d’économie d’échelle, ces programmes sont véritablement profitables et bienfaisants dans la mesure où ils rejoignent un grand nombre de personnes, y compris chez les décrocheurs. Mais hélas! Étant donné leur rigidité, il y a une mise à l’écart d’une autre partie des décrocheurs, c’est-à-dire ceux-là mêmes qui sont déjà parmi les plus marginalisés socialement. Voyons voir…

N’entre pas qui veut

Pour bien saisir la portée de cet impact causé par les programmes de Sport-Études, il faut d’abord s’attarder sur le phénomène de décrochage autant scolaire que social. En l’occurrence, ces deux aspects sont inséparables. Or, lesdites mesures d’intégration scolaire tiennent-elles suffisamment compte de l’aspect social? Généralise-t-on? C’est souvent le lot des politiques gouvernementales, c’est-à-dire classer les individus en des catégories stéréotypées. Dans le cas présent, cette politique présume qu’il suffit d’instaurer des mesures avantageuses et obligatoires rattachées au sport pour que toutes les personnes visées intègrent les études. N’est-ce pas le raisonnement qui est ici présupposé? Un raisonnement erroné et aberrant!

En fait, ce qui est pernicieux, c’est qu’en instaurant une politique d’intégration sportive fondée sur une norme obligatoire (soit la fréquentation et/ou la réussite scolaire), ceci a pour effet de «marginaliser» ces personnes qui, dans les faits, n’ont pas les «acquis nécessaires» pour en remplir les conditions. Une telle politique ignore les cas où l’historique familial et social est composé de violence, de dévalorisation, de stigmatisation etc… Les jeunes gens ne sont pas tous «à armes égales». Certains d’entre eux ne sont même pas suffisamment alphabétisés pour intégrer ces programmes. Supposer que tous les jeunes sportifs peuvent accéder à ces mesures de Sport-Études en répétant bêtement ceci : «il suffit de le vouloir», alors c’est très mal connaître les fondements de la pauvreté et du décrochage. C’est aussi manquer de compassion. Enfin, cela équivaut peut-être, dans certains cas, à vouloir pousser les décrocheurs les plus vulnérables dans leur dernier retranchement : la criminalité.

Mais allons-nous trop loin en suggérant que les programmes de Sport-Études pourraient conduire à une telle radicalisation? Certainement pas, d’autant si nous acceptons cette proposition généralement véhiculé : «le sport est un moyen pour se sortir de la rue». Aussi, ne va-t-il pas de soi que les sports représentent des exutoires naturels et encore davantage en ce qui concerne les sports organisés? Ne sous-estimons donc pas l’impact que ces entraves peuvent entraîner auprès de ces jeunes personnes potentiellement ou déjà au prise avec la violence et la criminalité. A-t-on réfléchi à l’énorme frustration qui peut en résulter?

On n’a qu’à demander aux entraîneurs qui agissent auprès des personnes défavorisées. Ils connaissent tous des exemples d’athlètes exceptionnels qui n’auront jamais pu accéder à l’élite de leur sport alors qu’ils étaient parmi les plus doués, simplement parce qu’ils n’avaient pas franchi toutes les étapes imposées par le système scolaire. C’est malheureux de voir ces jeunes prodiges du sport déserter l’objet de leur passion et encore plus triste de les voir tomber dans la criminalité. Ne croyez surtout pas que ces surdoués du sport ne soient pas intelligents. Tout au contraire, ils sont généralement bien au dessus de la moyenne (cela n’a rien à voir avec l’échec scolaire) et en plus, leur témérité font d’eux des leaders de choix pour les gangs de rue et autres organisations criminelles.

Le sport collégial et universitaire

Parmi les différents types de Sport-Études, c’est au niveau collégial et universitaire que se dressent les barrières les plus hautes à l’égard des jeunes sportifs. À ce stade, il règne un ensemble de critères de sélection et règles d’exclusivité tels que plusieurs jeunes sportifs talentueux se trouvent éliminés sur la seule base de leurs difficultés scolaires. C’est que l’accessibilité aux sports de niveau collégial et universitaire suppose en tout premier lieu que ceux-ci auront pu développer dès l’enfance certaines facultés de base au niveau scolaire.

Sur cette question, on n’insistera jamais assez sur le fait que ce développement est intimement lié à l’environnement social et aussi familial. Chez les enfants les plus défavorisée, il arrive fréquemment que les parents entretiennent une sorte d’irrespect et de mépris (quand ce n’est pas la haine) à l’endroit du système de scolarité. D’ailleurs, c’est parfois le seul héritage que ces enfants recevront comme support et encadrement scolaire.

En ce moment, les divers programmes de Sport-Études ne constituent pas encore une barrière infranchissable pour tous ces jeunes plus vulnérables. Sauf pour certaines disciplines de niveau collégial et universitaire, il leur est toujours possible d’accéder au sommet de leur sport sans devoir intégrer le système scolaire. Mais ces programmes représentent une tendance qui peu à peu s’installe dans des sports jadis considérés comme étant ceux des jeunes de la rue, par exemple le soccer et plus près de nous, la boxe.

La boxe face à un dilemme !

Les programmes de Sport-Études connaissent une progression plutôt lente, mais tellement avantageuse qu’il est difficile de penser que la boxe pourra échapper encore longtemps à leur emprise. Perçue comme l’enfant pauvre du sport, la boxe amateur au Québec et au Canada éprouve néanmoins un réel besoin d’améliorer ses structures de développement. Ainsi, en bénéficiant d’enveloppes budgétaires substantielles, elle pourrait certainement élever le niveau de ses performances et ainsi rivaliser au plan international. On peut imaginer le stade d’excellence que la boxe amateur pourrait atteindre si elle profitait des mêmes avantages dont disposent les sports de niveau collégial et universitaire (bourses et frais de subsistance, physiothérapie, préparation physique, médecine sportive, compétitions à l’étranger etc…). Mais à quel prix?

Le cas échéant, il est à se demander ce que deviendraient ces jeunes plus vulnérables en regard de leur accessibilité à la boxe, laquelle est l’un des derniers bastions leur procurant la possibilité de s’épanouir et rêver. En tant qu’entraîneurs, devrons-nous résister à l’invasion éventuelle de ces programmes? À moins que! À moins qu’il y ait une alternative à ce choix déchirant entre deux solutions contradictoires dont chacune est aussi insatisfaisante que l’autre.

Conclusion

Il ne serait pas très réaliste de croire que l’orientation poursuivie par les divers programmes de Sport-Études pourrait être abandonnée, considérant les résultats obtenus auprès de la clientèle ciblée. Grâce à ces programmes, le sport apparaît manifestement comme un outil d’intégration scolaire efficace. Néanmoins, pour compenser l’effet pernicieux causé par ces programmes, il suffirait d’établir des programmes parallèles et complémentaires qui n’exigeraient pas de l’athlète qu’il soit aux études – ou tout au moins, qui ne seraient pas fonction de la réussite scolaire. Dans cette optique, ce dernier serait admis sur la base de ses mérites sportifs et non scolaires.

Bien évidemment, de tels programmes parallèles devraient comporter certaines restrictions pour ne pas rendre par ailleurs les programmes de Sport-Études inintéressants et désincitatifs. Sur ce point, plusieurs pistes de solution pourraient être explorées, par exemple: instituer sous certaines conditions une forme de «discrimination positive», créer une structure particulière et limitée dans laquelle la motivation et la discipline seraient requises, mais sans égard pour la fréquentation et/ou la réussite scolaire, etc…

À ce propos, il faudrait peut-être prendre exemple sur certaines initiatives communautaires dont l’intervention auprès des jeunes en difficulté scolaire se veut davantage incitative que coercitive. Nous profitons ici de l’occasion pour saluer la détermination de ces organismes, comme le Club de boxe La Capitale ainsi que les Princes de la rue d’Ali Nestor Charles (voir pages 10 et suivantes du magazine La Zone de boxe volume 37).

Malheureusement, la contribution de ces organismes communautaires comparée aux besoins en cause s’avère plutôt modeste, sinon minime, quand ce n’est pas l’existence de ces organismes eux-mêmes qui est menacée. Par conséquent, il revient en tout premier lieu à l’État d’instaurer des mesures appropriées pour contrer le décrochage. Tout en admettant que le concept «Sport-Études» apparaît comme étant un modèle efficace d’intégration sociale et scolaire, il n’en reste pas moins, selon nous, que ce concept devrait être repensé de manière à éviter toute marginalisation.

Ce qui importe au bout du compte, c’est l’assurance que les programmes de Sport-Études ne soient pas un modèle d’intervention unique et intransigeant à l’égard du sport organisé. Ainsi, on parlerait alors d’équité et d’intervention «inclusive» plutôt que de discrimination et d’exclusion sociale.

One Comment

  1. Richard Caisse

    23 janvier 2015 at 6 h 45 min

    Papier très intéressant de M. Boisvert qui sait de quoi il parle. Il pose un regard critique constructif sur les programmes études qui méritent qu’on s’y attarde et qu’une analyse d’un modèle plus inclusif soit mit de l’avant et ainsi donner l’opportunité à plusieurs talents naturels de se développer! J’ai moi-même monter un projet de boxe en milieu scolaire à secondaire St-Roch de l’Achigan , toujours actif depuis trois/ ans et le défi de le garder actif, vivant et sain est extrêmement difficile, considérant plusieurs enjeux et notamment le côté monétaire pour en assurer la pérennité. Ce programme actuellement vit pratiquement du bénévolat et tient debout par des passionnées ( Jade Charest,éducatrice spécialisée/ Kim Klavel boxeuse amateure) qui font le maximum pour le garder en vie. Prendre en considération le papier de M. Rénald Boisvert et en faire une étude sérieuse pourrait être un geste significatif pour faire grandir cette belle idée! Merci Rénald d’être la voix de tout ces jeunes talents qui ne demandent qu’à éclore et faire du rayonnement! Richard Caisse TES soutien persévérance scolaire au secondaire.

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