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Boxe : réduire les risques du métier

Par Rénald Boisvert

On se rappellera du knock-out percutant subi par Manny Pacquiao lors de son combat contre Juan Manuel Marquez en 2012. À ce moment, je croyais que la carrière du boxeur des Philippines était terminée. 

Vidéo: https://youtu.be/pkku9yeXEkw

Or, non seulement Manny Pacquiao n’a pas cessé de boxer, mais il est toujours considéré parmi l’élite mondiale. Ainsi, en battant Keith Thurman le 20 juillet dernier, Pacquiao remportait le titre WBA des mi-moyens. Compte tenu de ce succès, âgé de 40 ans, il sera certainement tenté de poursuivre sa carrière au cours des prochaines années. Disons-le, Pacquiao ne semble pas affecté par les multiples commotions cérébrales dont il a été victime jusqu’à aujourd’hui (3 knock-out et quelques knock-down).

Au moment où Pacquiao remportait son combat contre Thurman, Maxim Dadashev, âgé seulement de 28 ans, reposait à l’hôpital dans un état grave à la suite d’une opération pour une hémorragie cérébrale. Il est mort quelques jours plus tard. À noter que ce boxeur n’avait subi aucun knock-out chez les professionnels jusqu’à ce moment. Il était invaincu.

Les cas de Pacquiao et Dadashev donnent à réfléchir. Qu’en est-il des commotions cérébrales? Échappent-elles à la logique? Frappent-elles les athlètes à l’aveugle? Une chose est sûre : c’est qu’un cas de commotion cérébrale ne se réduit pas à un knock-out. Sur le plan médical, on sait que les commotions cérébrales sont à toutes fins pratiques imprédictibles. Mais ceci ne doit pas nous dispenser de nous interroger sur les possibilités d’en réduire les risques. Aujourd’hui, ma réflexion portera sur les mesures qu’un entraîneur est susceptible de prendre auprès des boxeurs.

Quoi faire?

En tant qu’entraîneur, je suis constamment aux aguets dans le but de discerner le moindre indice de commotion cérébrale. J’aimerais tellement en faire davantage. Mais ce type de blessure ne se prête pas tellement à la rationalisation. Car, tout en accablant certains athlètes, les commotions cérébrales en épargnent beaucoup d’autres sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. Et plus encore, il arrive assez souvent que des boxeurs lourdement commotionnés reviennent rapidement à la boxe comme si de rien n’était. Sans aucune séquelle? Cela semble le cas de Paquiao et ce l’était assurément pour Jake LaMotta. Ce dernier est décédé à l’âge de 95 ans.

Pourtant, celui qu’on surnomme «Raging Bull» a sans doute été l’un des boxeurs ayant encaissé le plus de coups de poing au cours de sa carrière (106 combats professionnels). Et si vous doutez du fait qu’un tel boxeur ait pu terminer sa carrière sans avoir rien perdu de sa lucidité, vous n’avez qu’à regarder les entrevues qu’il a données à l’aube de la soixantaine.

Vidéo : https://youtu.be/lJ2M_gJB4so

À l’inverse, certains boxeurs se retrouvent en début de carrière avec des difficultés d’élocution, pertes de mémoire, problèmes de coordination, etc… En tant qu’entraîneurs, nous éprouvons un profond sentiment d’impuissance à chaque fois que nous sommes confrontés à ces situations.

Pas de panique! Le devoir d’un entraîneur est de faire de son mieux. Il ne peut pas garantir qu’une commotion cérébrale ne frappera pas un athlète. L’important, c’est qu’il ait pris toutes les précautions qui étaient en son contrôle pour en réduire les risques. Je vais donc dès maintenant discuter des cas où l’entraîneur dispose d’une grande marge de manœuvre pour appliquer les mesures qu’il croit les plus appropriées.

Les débuts à la boxe amateur

Dès les premiers jours où un enfant commence à s’entraîner à la boxe, il arrive qu’il soit tellement doué que l’entraîneur le voit déjà comme un champion du monde. Dans ces cas, ce qui enthousiaste tellement l’entraîneur, ce sont les habiletés athlétiques de cet enfant, lesquelles dépassent celles de tous les boxeurs qu’il avait entraînés jusqu’à ce moment. Mais cet enfant sera-t-il vraiment le champion qu’il attendait?

Ces cas sont fréquents. Le jeune boxeur et son entraîneur vivent au départ un rêve. Mais voilà que l’enthousiasme se transforme en déception. Dès les premiers sparrings (combats d’entraînement), l’enfant éprouve des maux de tête. Au début, le jeune athlète refuse de reconnaître le problème. L’entraîneur lui dit que ça va sûrement passer.

Il se peut que ça passe. Mais dans la majorité des cas, les maux de tête persistent. Nous reviendrons plus loin sur les cas des enfants dont les maux de tête se sont dissipés avec le temps. Pour les autres, une remise en question débute habituellement assez tôt. Ils perdent peu à peu de leur assurance et de leur motivation. «La boxe n’est peut-être pas faite pour moi,» se disent-ils.

Sur ce sujet, plusieurs observateurs ont souligné qu’il y avait moins de commotions cérébrales en boxe amateur qu’au hockey et au football. Selon moi, c’est précisément parce qu’à la boxe, les athlètes plus vulnérables aux maux de tête vont abandonner très tôt, alors qu’au hockey et au football, ils vont pratiquer ce sport pendant des mois, voire des années avant d’éprouver cette sorte de vulnérabilité. Comme ces jeunes hockeyeurs et footballeurs se sont alors déjà tellement investis dans leur sport, ils ne voudront pas abandonner malgré l’apparition de commotions cérébrales même répétées.

À la boxe, comme plusieurs abandonnent dès les premiers mois en raison de ces maux de tête, il s’opère comme une sorte de sélection naturelle qui élimine au départ un bon nombre de jeunes athlètes qui étaient sujets aux commotions cérébrales. Bien évidemment, il n’y a pas que les maux de tête qui dissuadent les jeunes adeptes de continuer la pratique de la boxe. Il y a certainement aussi le fait que beaucoup de jeunes boxeurs ont eu une très mauvaise expérience de la compétition.

En effet, pour avoir discuté de ce sujet avec plusieurs entraîneurs, je dois convenir que je ne suis pas le seul à penser que l’enseignement de la boxe présente à sa base de graves lacunes. Lors de l’apprentissage de la boxe, l’accent est généralement mis sur l’attaque. Tristement, la défensive de nos boxeurs amateurs apparaît tellement déficiente lors des compétitions entre débutants qu’il est à se demander si l’enseignement des divers moyens de défense n’a pas été carrément évacué de leur apprentissage. Pour cette raison, il y a énormément de jeunes boxeurs qui interrompent la compétition de façon précoce. Que se passe-t-il donc?

L’importance de la «progression» dans l’apprentissage de la défensive

Chez les débutants, l’apprentissage de l’attaque se fait rapidement. En quelques mois seulement, ceux-ci peuvent maîtriser la plupart des combinaisons de coups avec une certaine efficacité. Ce n’est malheureusement pas le cas de la défensive. Contrairement à l’attaque, elle ne se résume pas à l’application de techniques simples et peu équivoques.

Ainsi, pour le boxeur débutant, ce qui est particulièrement difficile, c’est de bien lire ce que l’adversaire lui réserve en attaque. Même lorsqu’il maîtrise la plupart des techniques défensives, le jeune boxeur n’a pas pour autant acquis la capacité de réagir instantanément face à la variété des combinaisons de coups de l’adversaire ainsi qu’à l’égard des différentes trajectoires que ce dernier peut utiliser. Ce n’est donc pas seulement une question de technique. C’est aussi, et peut-être en premier lieu, une question d’adaptation cognitive.

Pour le débutant, ce qui est le plus urgent à entraîner en défensive, c’est donc le cerveau. C’est lui qui, une fois entraîné, permet à l’athlète de réagir avec rapidité et précision. Par exemple, le timing si essentiel en défense est principalement une question d’adaptation mentale et cérébrale. Or, pour être efficace, l’entraînement du cerveau, à la boxe comme à l’égard de toute discipline, doit suivre une démarche résolument progressive.

En pratique, ceci signifie qu’au tout début de l’enseignement de la boxe, le jeune boxeur a intérêt à faire l’apprentissage des divers moyens de défense, un seul à la fois – en commençant par le plus simple et facile à appliquer : le blocage de base. Il est le plus sécurisant pour le boxeur qui est à ses débuts. Ce qui importe alors, c’est qu’à partir de l’apprentissage de ce moyen de défense, il développe graduellement l’habileté à rouler les coups.

Pour bien saisir ce point de vue, il faut savoir qu’au moment où un boxeur encaisse un coup à la tête alors que celle-ci reste immobile, ce qui est le cas de presque tous les débutants, le choc a alors pour effet de projeter violemment le cerveau contre les parois du crâne. Même lorsque ce boxeur tient sa garde haute, l’impact reste important étant donné que la secousse est directement transférée de la garde à la tête.

Or, lors d’un roulement bien exécuté, la tête n’est pas secouée puisqu’elle se déplace afin d’amortir l’impact. D’ailleurs, dans la vidéo ci-dessus, Jake LaMota compare cette manœuvre à la façon d’attraper (mains nues) une balle de baseball. Les mains doivent alors reculer légèrement afin d’atténuer l’impact de la balle. LaMota attribue notamment sa longévité à cette habileté consistant à rouler les coups.

Je connais plusieurs boxeurs pouvant témoigner de l’efficacité de cette manœuvre défensive. Ils admettent notamment ressentir moins de maux de tête depuis qu’ils sont parvenus à rouler les coups avec efficacité.

C’est pourquoi il importe autant pour le jeune boxeur d’en faire l’apprentissage dès le départ. J’insiste cependant sur la nécessité que le boxeur inexpérimenté accomplit d’abord le roulement en exécutant un simple blocage à l’aide des avant-bras (souvent à la hauteur des poignets), alors qu’il déplace légèrement son centre de gravité (c’est ce qui fait bouger sa tête et ses avant-bras) afin de diminuer l’impact du coup de poing.

Blocage (roulement avec les bras et l’épaule)

À partir de ce moment, le roulement viendra graduellement à faire partie des habilités de base du jeune boxeur. Ainsi, grâce à une progression mesurée, l’habileté à rouler les coups (non seulement à l’aide des avant-bras, mais aussi sous toutes ses formes) sera au nombre de ses acquis, de ses automatismes.

Comme entraîneurs, pouvons-nous vraiment passer à côté de ce type d’enseignement à l’égard de nos jeunes boxeurs? Je crois que non. D’autant que cette mesure pourrait amener une réduction des risques de commotions cérébrales. D’ailleurs, si vous effectuez une simple analyse des boxeurs professionnels qui n’ont subi aucun ou très peu de knock-out, vous constaterez que la plupart d’entre eux maîtrisent l’art de rouler les coups.

À titre d’exemple, je vous recommande d’observer Salvador Sanchez. Dans la vidéo ci-après, David Christian (The Modern Martial Artist) fait état des innombrables habiletés de Sanchez dont celle consistant à bloquer les coups, d’abord en exécutant des roulements à l’aide des avant-bras (à partir de 1 min 25 s de la vidéo), puis aussi avec l’épaule (3 min 43 s).

De mon point de vue, le recours au roulement explique en grande partie pourquoi de jeunes boxeurs aux prises avec des maux de tête finissent par ne plus en éprouver (ou beaucoup moins). D’ailleurs, c’est aussi pour cette raison que lors des stages d’entraîneurs de boxe, en tant que formateur pour Boxe-Québec, je me permets d’insister autant sur l’apprentissage de cette manœuvre défensive.

Comme autres mesures visant à réduire les risques de commotions cérébrales, nous pouvons également inciter le boxeur à diminuer le nombre de sparrings «ouverts» au profit de sparrings dirigés – un sparring ouvert se déroule comme un combat alors qu’un sparring dirigé comporte certaines limitations.

Même s’il est nécessaire à certains moments que le boxeur ressente en sparring toutes les facettes d’un combat réel, il demeure que ce sont davantage les séances de sparring dirigé qui s’avèrent les plus efficaces sur le plan du développement. Ces séances peuvent notamment être orientées de manière à corriger la plupart des carences en défensives, ce qu’un sparring ouvert n’arrive pas toujours à solutionner.

Par exemple, c’est le cas des boxeurs qui encaissent constamment des coups derrière la tête. Les dommages cérébraux qui en résultent sont parmi les plus sévères. Or, ces boxeurs sont souvent responsables de leur propre malheur. Ils inclinent leur corps vers l’avant exposant le derrière et le sommet de leur crâne. Au cours des séances de sparring dirigé, étant donné que la tâche se limite à un ou deux objectifs particuliers, ces boxeurs peuvent alors se concentrer davantage sur les corrections à apporter. 

Conclusion

Le sujet que je viens d’aborder reste complexe. Aussi, je suis bien conscient de ne pas l’avoir épuisé. D’autres que moi ajouteront sûrement leurs réflexions aux miennes. Néanmoins, j’ose espérer que cet article provoquera une certaine mobilisation chez les entraîneurs à propos du type d’enseignement à prodiguer auprès de nos jeunes boxeurs amateurs. Je crois profondément que la façon de les initier à la boxe n’est pas sans incidence sur leur santé.

Du coup, je tenais à sensibiliser les fans de boxe à l’importance pour les boxeurs de posséder une bonne défensive. En outre, je suis tout à fait convaincu que les plus perspicaces parmi les fans savent déjà reconnaître et apprécier l’habileté à rouler les coups. Il faut bien admettre que cette manœuvre est parfois spectaculaire. Mais par-dessus tout, elle est de nature à réduire considérablement les risques du métier.

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