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Le guerrier en mutation, l’empreinte de la science

Par Rénald Boisvert

Je ne peux pas mentionner le terme «guerrier» sans penser à Arturo Gatti. Bien sûr, il n’y a pas ici de mal au fait d’éprouver un brin de nostalgie pour autant que ce sentiment soit heureux. Arturo était d’abord une personne agréable. Il aimait laisser une bonne impression aux gens qu’il rencontrait.

D’autre part, le souvenir d’Arturo Gatti me laisse perplexe en ce qui concerne sa carrière de boxeur professionnel. Je ne suis peut-être pas le seul pour qui sur ce point le sentiment de nostalgie est ressenti comme vibrant et amer à la fois. Mais pourquoi donc une telle ambivalence? En réalité, Arturo Gatti a été ce guerrier romanesque dont les ultimes rebondissements avaient de quoi émouvoir quiconque. Par ailleurs, sa carrière de boxeur professionnel aurait pu se dérouler tout autrement.

Arturo Gatti était beaucoup plus qu’un boxeur unidimensionnel. En fait, ne s’était-il pas lui-même enfermé dans le rôle de bagarreur? Pourtant, celui que l’on surnomme «Thunder» possédait les habiletés de base qui lui auraient permis d’appartenir à la classe des stylistes (slick boxers). Alors, que s’est-il passé pour qu’il adopte aussi inexorablement le style de bagarreur?

Un boxeur indiscipliné 

Arturo Gatti avait une forte propension à combattre coup pour coup. De l’avis de plusieurs de ses proches, ceci s’expliquait notamment par son indiscipline tant à l’entraînement qu’à l’extérieur des gyms de boxe. D’ailleurs, lorsque l’énergie commençait à lui manquer au cours d’un combat, plutôt que de se positionner en défensive, il adoptait au contraire un comportement risque-tout.

Face à sa propension à la bagarre, Arturo Gatti aurait lui-même exprimé certains regrets. Dans une excellente biographie, Jacques Pothier rapporte à ce sujet ces propos que Gatti aurait tenus à l’un de ses proches : «… je me suis perdu avec les filles, les bars de danseuses, le pot, la coke, l’alcool, les limos, les bijoux, le gambling, l’argent, et ça, c’est juste à l’extérieur du ring. À l’intérieur ce ne fut pas mieux, j’ai pris des coups terribles, je ne sais pas pourquoi, peut-être par désœuvrement, avec les mains basses, sans défense…» POTHIER, Jacques, Arturo Gatti : Le dernier Round, Les Éditions La Presse, 486 pages, p.10.

D’un autre côté, l’auteur convient que Gatti était également «accro à cette image de guerrier qui galvanisait les foules» (p. 27). Bien évidemment, certains entraîneurs, comme Buddy McGirt, ont tenté de l’amener à utiliser davantage ses jambes. Cela fonctionnait momentanément. Mais comme Arturo se servait très peu de ses mains pour bloquer les coups, il finissait par être débordé et se trouvait alors forcé de réagir avec ses poings.

Lors de son premier combat contre Micky Ward, Gatti a dû mettre un genou au sol à la suite d’un coup au corps. Après s’être relevé, grimaçant de douleur, il a essuyé un barrage de coups pendant de longues secondes, à telle enseigne que Ward a fini par s’épuiser à force de frapper. Alors, cela a été au tour de Gatti d’effectuer un barrage de coups tant et aussi longtemps qu’il ne s’est pas lui-même vidé d’énergie; puis essuyant un nouveau barrage de coups tout en reprenant son souffle, Arturo est parvenu finalement à terminer le round avec force. Tout ceci au cours du 9e round que voici :

Pour un entraîneur même chevronné, ce type de boxeur n’est jamais facile à diriger. Ce n’est pas le fait que Gatti ait adopté un style bagarreur qui pose problème, mais plutôt la manière dont il gérait l’énergie. Même dans les combats où il paraissait dans une excellente condition physique, rien à faire, celui que l’on compare à «Raging Bull» se retrouvait systématiquement à court de souffle. On me rétorquera sans doute que c’est justement cette façon de combattre avec l’énergie du désespoir qui a bâti sa renommée. C’est vrai. Mais ceci n’était pas pour autant souhaitable sur le plan de sa santé; et ce ne l’était pas davantage eu égard à l’optimisation de ses performances.

Dans le but de développer ce point de vue, il me faut maintenant poursuivre ma réflexion sous l’éclairage des méthodes modernes d’entraînement et des principes scientifiques qui les sous-tendent. Je reprendrai plus loin mon analyse des performances d’Arturo Gatti.

L’impact de la science

Vous avez certainement entendu parler des systèmes aérobie et anaérobie. Ce sont ces filières qui produisent pour l’essentiel l’énergie qui actionne nos muscles. Même si ces deux systèmes énergétiques sont théoriquement représentés de façon distincte, il appert dans les faits qu’ils ne fonctionnent pas tout à fait indépendamment l’un de l’autre. Voyons cela de plus près.

Lorsqu’il est question du processus aérobie, on sait que ce système intervient en présence d’oxygène. Compte tenu de sa très grande disponibilité, il n’est donc pas étonnant que la contribution d’oxygène permette aux sportifs de fournir des efforts sur une longue durée. En revanche, le système aérobie a ses limites. Il ne permet pas d’atteindre certains niveaux d’intensité.

C’est plutôt le processus anaérobie qui intervient dans le but de répondre aux exigences de très haute intensité. Cependant, cette filière énergétique n’agit que sur de très courtes durées. Pour le boxeur, les efforts en zone anaérobie peuvent donc lui jouer de mauvais tours s’il néglige de gérer adéquatement ses pics d’intensité. Au-delà d’un certain seuil, ce processus provoque prématurément une très grande fatigue musculaire (jambes lourdes, crampes, douleurs, etc.).

Par conséquent, il y va de l’intérêt du boxeur qu’un combat se déroule prioritairement sous la filière aérobie. Contrairement à ce que l’on croit, ce système génère beaucoup de puissance (PAM). Par contre, si la demande énergétique devient trop forte, alors c’est l’autre filière (anaérobie) qui contribue dans une plus large mesure. C’est là que les problèmes commencent.

Même si règle générale, ces deux processus participent en même temps à la production d’énergie, il demeure que la contribution du système anaérobie par rapport à l’autre filière augmente drastiquement lorsque de très hauts niveaux de puissance sont atteints. C’est pourquoi une certaine gestion visant l’interrelation entre ces deux systèmes doit être recherchée par l’athlète au cours d’un combat, mais aussi et d’abord lors d’entraînements adaptés à cette fin.

Les diverses méthodes d’entraînement

Je dois préciser en premier lieu que l’entraînement du boxeur doit viser à développer les deux filières énergétiques (aérobie et anaérobie). Comme chacune de ces filières énergétiques obéit à un fonctionnement qui lui est propre, leur amélioration suppose des conditions d’entraînement qui divergent énormément. En bref, il est bien établi que les méthodes les plus efficaces pour développer et repousser les limites de ces filières passent par l’élaboration de programmes adaptés à chacune d’elles.

En revanche, il y a lieu qu’un athlète consacre également une certaine portion de ses entraînements à un tout autre objectif, basé cette fois sur un type d’entraînement dit «spécifique à la compétition». Dans le cas d’un boxeur, cela signifie que ce training consiste à recréer sur le plan énergétique les mêmes conditions que lors d’un réel affrontement. L’entraînement se compose alors d’intervalles d’effort dont la durée et l’intensité sont comparables à celles d’un combat.

Par conséquent, l’entraînement par intervalles intensifs est ici approprié puisqu’il correspond à ce qu’il devrait se passer dans un combat. Ainsi, comme dans un combat, les intervalles d’effort pourront varier (entre 5 et 30 secondes) entrecoupées de courtes durées de récupération active (5 secondes et plus – efforts légers, par exemple des déplacements).

Au cours des séances d’entraînement de type «spécifique à la compétition», la gestion de l’énergie est forcément au programme. Ce type d’entraînement amène généralement l’athlète à réaliser que les récupérations actives en cours d’exercice vont lui permettre d’entreprendre avec plus d’énergie les intervalles d’efforts intenses. En un mot, il prédispose l’athlète à doser ses pics d’intensité dans le but d’être plus performant globalement.

Ce qui est souhaitable pour le boxeur, c’est qu’il s’approprie lui-même à l’entraînement l’idée de se rapprocher de plus en plus des conditions de combat. Ainsi, au sac lourd, dans les sparrings (combats d’entraînement), etc.., l’athlète en vient graduellement à augmenter la durée des intervalles d’effort et diminuer les temps de récupération active. Il intègre alors des changements de rythme, des variations de vitesse et de puissance, tout cela dans le but de ne pas perdre de vue la gestion de l’intensité dans son ensemble.

Par conséquent, non seulement ces entraînements vont amener l’athlète à développer son rendement sur le plan énergétique, mais également lui permettre d’apprivoiser les niveaux de vitesse et de puissance appropriés. Aussi, pour être pleinement efficace, le boxeur aura intérêt à se situer dans une certaine zone d’intensité.

Le seuil énergétique approprié

Sans entrer dans les détails techniques, je peux mentionner qu’il existe une zone d’intensité où la contribution énergétique des systèmes aérobie et anaérobie se trouve en équilibre. En d’autres mots, ceci signifie que l’apport de chacun de ces systèmes s’effectue dans une proportion optimale. Ainsi, au cours d’un combat, un boxeur a manifestement intérêt à se maintenir dans cette zone cible au-delà de laquelle la douleur et la fatigue apparaissent prématurément.

Concrètement, Vasyl Lomachenko me semble le parfait exemple de ce boxeur dont l’efficacité sur le plan énergétique est pleinement optimisée au cours d’un combat. Tout en étant d’une intensité peu commune, il sait manifestement en appréhender les limites.

Contrairement à Arturo Gatti, Lomachenko ne semble en aucun moment éprouver un quelconque déficit énergétique et ce peu importe la manière dont se déroule le combat. La comparaison entre ces boxeurs peut donner à penser que l’un d’eux en donne plus que l’autre. En réalité, s’il y en a un qui est plus performant sur le plan énergétique, ce n’est assurément pas Arturo Gatti.

Malgré les apparences, Gatti ne parvenait pas à maintenir l’équilibre énergétique souhaitable au cours de ses combats. Sans une gestion adéquate (impliquant une récupération active telle que des replis stratégiques, des variations de vitesse et de puissance, des mouvements ou déplacements défensifs, etc.), tout boxeur risque fort de se retrouver alors à devoir combattre plus ou moins en situation de carence d’oxygène et de fatigue musculaire. C’était manifestement le cas d’Arturo Gatti.

Lors d’un entraînement, dans le but de demeurer dans la zone cible, la détermination de la fréquence cardiaque s’avère très utile. Mais en prévision d’un combat, l’athlète doit également apprendre à se guider sur son ressenti à l’effort. Son corps est susceptible de mémoriser le seuil à ne pas franchir.

Comme autre paramètre, il convient lors de certaines séances d’entraînement de comptabiliser le nombre de coups (notamment de puissance) exécutés pour chacun des rounds, mais aussi sur de courtes séquences intermittentes aux fins que le boxeur évite non seulement de transgresser la zone cible, mais aussi, à l’opposé, qu’il ne se retrouve pas à certains moments en sous-régime.

Il est important ici de préciser que l’entraînement des boxeurs s’est considérablement raffiné avec la contribution des préparateurs physiques. Compte tenu des connaissances scientifiques qui supportent l’évolution des méthodes d’entraînement, n’est-il pas logique que nous assistions de nos jours à des changements fondamentaux concernant les types de performance des boxeurs?

Le guerrier en devenir

Nous savons tous que le sport fait l’objet de recherches scientifiques visant à repousser les limites des capacités des athlètes. Aussi, jamais n’a-t-on assisté à autant de records battus. En ce qui concerne la boxe, le dépassement de soi est également une finalité. Sous l’œil attentif de ses entraîneurs (notamment du préparateur physique), le boxeur doit fournir des efforts «quasi surhumains». Mais ceci se passe à l’entraînement!

Au moment de livrer un combat, le but n’est pas le même. À cette étape, le boxeur a plutôt intérêt à abdiquer quelque peu de son impétuosité. Il ne s’agit plus uniquement de pousser la machine, mais bien de gérer la machine. Attention! Il ne faut pas penser que l’athlète s’économise au cours d’un combat. Bien au contraire! C’est seulement que l’objectif est alors de faire primer l’efficacité sur la fougue et les débordements.

Par contre, force est d’admettre que nous verrons de moins en moins les boxeurs tenter le tout pour le tout, notamment chez les boxeurs dominants. Toute prise de risque doit en valoir la peine (risque calculé) dans le but de ne pas être contre-productive. Dans cette perspective, ce boxeur ne se laissera pas emporter par les émotions. À tout moment, il doit au contraire garder la tête froide. Était-ce une mission impossible pour Arturo Gatti?

Conclusion

La carrière professionnelle d’Arturo Gatti nous a offert de nombreux moments de sensations fortes. Par ailleurs, malgré toute la nostalgie que provoque le souvenir de cet authentique combattant, il devient de plus en plus évident que le type de guerrier qu’il représente n’occupe plus vraiment la même place dans la boxe actuelle.

Même si la gestion de combat a toujours fait partie de la stratégie des boxeurs, il faut bien admettre qu’elle n’a jamais été aussi bien structurée que maintenant. Comme conséquence, le guerrier d’aujourd’hui a perdu quelque chose de cette liberté d’action (notamment son côté casse-cou).

Mais il y a autre chose que je dois ajouter! Il existe encore une raison pour laquelle les personnes nostalgiques pourraient bien se voir confirmées dans leur appréhension. En effet, la santé des boxeurs (pensons au danger des commotions cérébrales, mais non exclusivement!) est devenue un déterminant dont il faille maintenant tenir compte pour comprendre que le guerrier s’est sensiblement transformé. En effet, je crois bien que la santé est dorénavant une préoccupation essentielle, notamment pour les boxeurs d’élite. Au cours du prochain article, ce sera l’objet de ma réflexion.   

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