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Deontay Wilder à la croisée des chemins

Par Simon Traversy

Un combat de championnat du monde dans la catégorie des poids lourds suscitant de l’intérêt est devenu, au fil des années, une denrée rare. À vrai dire, je crois personnellement davantage en mes chances de remporter la loterie que de tomber sur un combat d’envergure opposant deux poids lourds qui s’avérera également intéressant à regarder.

Pour l’une des rares fois en plusieurs années dans cette division qui bat de l’aile depuis la retraite de Mike Tyson en 2005, plus d’un champion se partagent désormais les quatre titres majeurs. Depuis que l’ère (Wladimir) Klitshcko a finalement pris fin il y a de cela presque 3 ans jour pour jour après une victoire aux points du Britannique Tyson Fury, il y a eu beaucoup de mouvements dans la catégorie des poids lourds, ce qui ravive enfin un peu d’intérêt pour cette catégorie de poids qui était jadis le pouls même de la boxe professionnelle.  

Wilder-Fury-banner

Un monopole absolu qui s’étire trop longtemps n’est jamais bon pour les affaires, surtout dans le monde du spectacle et la boxe professionnelle en fait partie, qu’on le veuille ou non. Le règne de Fury fut toutefois de courte durée après être tombé dans une déroute totale au plan personnel (fêtes, drogues et alcool). Fury s’est vu perdre tous ses titres et aujourd’hui, c’est son homologue britannique Anthony Joshua qui les détient. Joshua est d’ailleurs le seul champion unifié du lot possédant toutes les ceintures majeures (WBA, IBF, WBO) outre le titre le plus prestigieux de tous, soit le titre WBC, détenu par l’Américain Deontay Wilder. D’ailleurs, le «Bronze Bomber» tient le fort depuis près de 4 ans après avoir  vaincu Bermane Stiverne par décision unanime.

Dans cet article, nous ferons justement une analyse de la carrière de Deontay Wilder et du choix qu’il aura à faire s’il devait être vaincu par Tyson Fury qui, il ne faut pas se le cacher, joue gros également. Ce combat de championnat du monde est prévu ce samedi 1er décembre au Staples Centre, à Los Angeles. Bonne lecture !

Deontay Wilder en résumé

Deontay Wilder est l’actuel champion des poids lourds WBC. Il possède une bonne force de frappe, il a «d’ la gueule» et sa technique de boxe est respectable tant et aussi longtemps qu’il ne s’emporte pas durant le combat. Il commence d’ailleurs à boxer sur le tard, soit en 2005, après avoir mis les pieds pour la première fois au Skyy Boxing Gym situé à Northporth, en Alabama. Wilder a déjà presque 20 ans.

Il s’est désespérément tourné vers la boxe afin de financièrement subvenir aux besoins de sa fille Naieya, atteinte d’une malformation de la colonne vertébrale nommée Spina Bifida. Sous la tutelle de Jay Deas, qui est toujours son entraîneur en plus d’être son gérant, Wilder progresse à une rapidité vertigineuse.  Du haut de ses 6 pieds et 7 pouces et de ses 83 pouces de portée, Wilder possède le gabarit parfait pour exceller. En 2007, Wilder remporte notamment les gants dorés au niveau national après seulement 16 combats amateurs. Toujours en 2007, Wilder remporte également les championnats nationaux américains dans la catégorie des 91kg (moins de 201lbs). À son vingt-et-unième combat, Wilder réussit à se tailler une place sur l’équipe olympique américaine et s’envole vers la Chine où il remportera une médaille de bronze aux Jeux olympiques de Beijing. Il est d’ailleurs le seul boxeur américain à retourner au pays avec une médaille autour du cou.

Par la suite, Wilder entame sa carrière professionnelle plus tard durant la même année. J’ai ainsi beaucoup d’admiration pour son cheminement, pour la raison qui l’a motivé à ne jamais abandonner (sa fille), ainsi que pour le succès qu’il a connu au cours des dernières années, soit depuis qu’il a été sacré champion. Depuis qu’il a remporté le titre WBC, Wilder a réussi à défendre sa couronne sans trop de difficulté. Le plus gros nom sur sa fiche? Luis Ortiz. Ce même Ortiz qui fêtera son quarantième anniversaire d’ici quelques mois.

Les dénigreurs de Wilder iront même jusqu’à dire que dans l’ensemble, la vaste majorité des adversaires qu’il a affrontés étaient plutôt médiocres, pour ne pas les qualifier carrément de «vrais jambons». La faible opposition que le champion WBC des poids lourds a connue ressemble drôlement au parcours que notre fameux Adonis Stevenson a lui-même connu depuis qu’il fut sacré champion WBC des mi-lourds en juin 2013. À la décharge de Wilder, le calibre est nettement inférieur dans sa catégorie.

Les choix de Wilder

deontay-wilder-vs-tyson-furyIl va s’en dire que Wilder n’a donc pas de temps à perdre. À vrai dire, à la suite de son combat contre Tyson Fury samedi prochain, il devra faire le point sur son avenir et commencer à se demander comment il aimerait qu’on se souvienne de lui lorsqu’il accrochera ses gants pour de bon. Je dis cela, car lorsqu’on regarde sa feuille de route, il n’y a vraiment pas de quoi se «garrocher sur les murs». Outre un Luis Ortiz vieillissant, il n’y a pas grand-chose de convaincant. Deux choix importants s’imposent donc pour l’Américain: s’il devait l’emporter difficilement contre Tyson Fury samedi prochain, Wilder pourrait préserver le statu quo et continuer d’affronter des adversaires de piètre qualité tout en engraissant son fond de pension comme il l’a fait depuis le début de sa carrière professionnelle. Il ne ferait jamais sauter la banque à l’instar de Floyd Mayweather, mais il n’aurait jamais à se soucier non plus de ses vieux jours.

D’une autre, le champion surnommé «The Bronze Bomber» pourrait prendre un risque calculé et jouer ainsi le tout pour le tout en affrontant l’autre champion de sa division, soit l’Anglais Anthony Joshua (IBF-WBA-WBO-IBO). S’il choisit la plus facile et la moins risquée des deux options, c’est-à-dire la première, Wilder tirerait sa révérence avec toute sa tête, la santé, ainsi que les poches pleines.

Toutefois, ses plus grands détracteurs remettraient constamment sa crédibilité en question, ce qui fut le cas de Wladimir Klitschko, ce même Klitschko que Wilder aurait pu affronter, mais n’a jamais fait. Toutefois, contrairement à Klitschko qui n’avait aucune réelle opposition pour le mettre au défi. D’ailleurs, ses deux plus grands adversaires lors des 10 dernières années furent Tyson Fury et Anthony Joshua, qu’il a affrontés alors qu’il avait largement dépassé son apogée. Wilder, quant à lui, à la chance de se mettre réellement au défi samedi prochain et de continuer dans cette même veine (en supposant qu’il devait en ressortir victorieux) alors qu’il lui reste amplement d’encre dans son stylo.

Le dernier des Mohicans

Il n’y a pas si longtemps, la loi non écrite dans le monde de la boxe professionnelle était d’affronter les meilleurs des meilleurs à leur meilleur. Les champions d’antan n’hésitaient pas à mettre au défi les autres champions de leurs divisions respectives, ou du moins, d’affronter leurs aspirants numéro un sans hésitation. La boxe était alors un sport où le respect et l’honneur avaient préséance sur tout, même l’argent. Aujourd’hui, c’est le contraire: les boxeurs sont devenus davantage des hommes d’affaires que des pugilistes, surtout lorsque le fric commence sérieusement à être intéressant («Money talks, bullsh*t walks»).

Les champions d’aujourd’hui sont tous très braves sur les divers réseaux sociaux, devant un microphone, ou devant les caméras, mais lorsque vient le temps de signer le contrat en vue d’affronter un adversaire potentiel de taille, c’est une tout autre histoire. Les boxeurs d’aujourd’hui faisant partie de l’élite et ayant atteint le statut de superstar ont tendance à tourner les coins ronds et à prendre ainsi le plus de raccourcis possibles afin de demeurer champions et de faire sauter la banque. Le risque a malheureusement été supplanté à la fois par l’appât du gain et la sécurité dans tous les sens du terme.

Ça fait d’ailleurs déjà un bail que les prima donna de la boxe nous font dormir au gaz en prétextant qu’une fiche parfaite est automatiquement synonyme de carrière grandiose. C’est pourquoi j’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour Bernard Hopkins. «B-Hop» n’a jamais eu un style de boxe qui me plaisait personnellement. Toutefois, son cran ainsi que son désir de vouloir se mesurer coûte que coûte aux meilleurs, surtout à des années-lumière de son apogée physique, m’ont convaincu malgré tout de suivre ses combats. Hopkins, à cet égard, pourrait bien être le «dernier des Mohicans». Gagne ou perd, si Wilder devait continuer de se mettre au défi samedi prochain, il devrait le faire sine qua non en affrontant Anthony Joshua ainsi que tous les tops 5 de sa division. Bien entendu, si Wilder devait choisir cette avenue, il aura tout à gagner et certes, tout à perdre. Ceci est néanmoins censé faire partie de la «game», même si la boxe est loin d’être un jeu.

En conclusion

Wilder a donc un choix à la fois intéressant et important à faire: ou bien il choisit les payes faciles, le fonds de pension assuré, et les combats pratiquement sans risques (ni intérêt) en affrontant des adversaires médiocres, ou bien il choisit de prendre un risque calculé en défiant l’autre champion de sa division ainsi que tous ses aspirants obligatoires. S’il choisit la première option, il finirait sa carrière avec toute sa tête, son titre en main et les poches pleines, mais il n’aurait jamais le respect des fans, du moins pas à l’unanimité (voire même la majorité des votes). Si toutefois Wilder choisit la seconde option, il aura l’opportunité de laisser sa marque dans la catégorie des poids lourds et de prouver ainsi qu’il est bel et bien un fier compétiteur. Wilder n’est toutefois pas invincible. Il a des lacunes apparentes au niveau de sa technique de boxe. Sa défensive ainsi que sa mâchoire ne sont pas infaillibles non plus, ce qu’Evgeny Romanov a prouvé dans le passé au niveau amateur.

Il y a cependant de l’espoir dans la catégorie des lourds alors que Wilder s’apprête à affronter le Britannique Tyson Fury; une grosse commande malgré un parcours difficile pour l’Anglais au plan personnel lors des trois dernières années. D’ailleurs, Fury revient de très loin et à constater sa transformation physique extraordinaire lors de la dernière année, il est la preuve ambulante que lorsqu’on veut, on peut. Ceci dit, le style de vie qu’il a emprunté à la suite de sa victoire contre Wladimir Klitschko en novembre 2015 laisse sans aucun doute des séquelles au plan physique. Malgré son retour impressionnant, Fury n’a toutefois jamais été réellement mis à l’épreuve dans le ring. À quel point a-t-il physiquement été affecté par sa débandade en dehors du ring? Nul ne le sait jusqu’ici. De surcroît, le «Gypsy King» joue tout aussi gros que son adversaire américain. S’il devait être battu à plate couture samedi prochain, il perdrait toute crédibilité du jour au lendemain.

Quant à Anthony Joshua, il doit sans doute espérer une guerre d’usure entre ces deux géants où il irait, par la suite, mettre au défi le vainqueur affaibli. Si le vainqueur devait accepter le défi, Joshua aurait l’avantage au point de vue physique. Il est le plus jeune des trois et n’a pratiquement aucune usure ni aucune rouille. Dans le cas contraire, l’Anglais pourrait continuer de terrasser des adversaires de série B ainsi que des «has-beens» de 40 ans (Povetkin, Klitschko) sur le point d’être commandités par Cialis, Rogaine et Viagra la conscience tranquille. Après tout, un champion qui lance un défi à un autre champion sans se désister ne perd jamais la face. Dans tous les cas, «AJ» aurait beau jeu. La table est donc mise et malgré un avenir incertain dans la division des poids lourds, on ne peut qu’espérer que les meilleurs d’entre eux continueront de s’affronter. Ceci dit, comme toute autre chose, seul l’avenir nous le dira.  

Bonne boxe!

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