Boxe québécoise pour tous les amateurs francophones – 12rounds.ca

Pour une défensive méthodique : une marche à la fois

Par Rénald Boisvert

Dans un premier article intitulé «La défensive, faut-il la valoriser?», j’ai voulu montrer qu’une bonne défensive pouvait dynamiser l’attaque. Sur ce point, Roberto Duran m’est apparu l’exemple le plus éloquent en raison de sa défensive que j’ai qualifié de «complète» et de «multifonctionnelle».

L’objectif premier était alors de mettre en valeur la maîtrise par les jeunes boxeurs d’une plus grande variété de moyens de défense. Car c’est précisément cette diversité d’apprentissage qui permet le mieux d’outiller les jeunes boxeurs en vue de soutenir l’attaque tout en préservant l’importance d’une boxe à la fois sécuritaire et spectaculaire.

Par ailleurs, étant donné la quantité des moyens de défense, les jeunes boxeurs ne risquent-ils pas de se retrouver face à une sorte de méli-mélo? Comment simplifier leur initiation? Comment s’assurer de leur progression tout en évitant la confusion? Enfin, quelle sorte d’approche l’entraîneur doit-il alors utiliser? Pour répondre à ces questions, il n’y a pas de meilleur guide que la «pédagogie». Par conséquent, c’est à partir de cette approche que je me propose maintenant d’examiner la défensive. En terminant, je traiterai brièvement de deux cas particuliers : ceux de Mike Tyson et de Muhammad Ali.

La pédagogie

Il s’agit de l’art d’enseigner. Appliqué à la boxe, ceci suppose que l’apprentissage d’un jeune athlète est guidé par un enseignement éclairé et méthodique. «Éclairé» dans la mesure où les éléments techniques sont tous présents. «Méthodique» au sens où l’entraîneur respecte un ordre d’enseignement. C’est ce dernier point qui est la portion la plus compliquée pour l’entraîneur qui veut agir en tant que pédagogue. Ainsi, respecter un ordre d’enseignement signifie premièrement que l’apprentissage doit se faire «par étapes» et deuxièmement, que cet apprentissage soit soumis à une progression logique et systématique. L’entraîneur ne doit donc pas inverser l’ordre des étapes. Voilà une mise en garde que je me permets de faire à l’égard des entraîneurs soucieux de pédagogie. Je m’explique.

D’abord, ma toute première tâche est de convaincre les lecteurs – et notamment les entraîneurs – qu’il faille d’abord prioriser un moyen de défense en particulier lors de l’initiation du boxeur. Ainsi, parmi tous les types de défensive, ce sont les «blocages» qui méritent le plus d’être enseignés au départ. La raison est simple. Ils sont faciles à maîtriser et plus sécuritaires que tout autre moyen de défense. Bien évidemment, je ne réfère pas ici à la défensive «bouclier». Contrairement à ce dernier type de défensive, les blocages proprement dits sont effectués d’un seul bras à la fois et, chose essentielle, ils impliquent un transfert du centre de gravité afin de pouvoir générer une riposte efficace. Voyez avec quelle aisance le blocage est effectué dans la vidéo qui suit :

Je m’inscris donc en faux en ce qui concerne cette croyance enracinée chez beaucoup d’entraîneurs selon laquelle les blocages occasionneraient une grande dépense d’énergie. En fait, un blocage bien exécuté ne requiert pas plus d’énergie qu’une esquive. De plus, lorsque accompagné d’un «roulement» (comme dans la vidéo), le blocage devient tout à fait propice à la contre-attaque.

Mais il y a une raison encore plus fondamentale pour laquelle un pédagogue averti enseignera les blocages avant tout autre type de défensive. Je veux parler ici des «automatismes» qui auront été créés au départ chez le jeune athlète. Ainsi, ce sont les manœuvres défensives qu’il aura répétées longuement et en tout premier lieu qui agiront avant tout, comme par réflexe. Lorsque le jeune boxeur se retrouvera dans une situation où il est débordé par l’attaque de l’adversaire, même pour un très court moment, ce sont donc ces automatismes que le jeune boxeur aura programmés en défensive qui prévaudront sur les autres moyens de défense qu’il aura par la suite développés. Dans une telle situation, ni les parades, ni les esquives ne peuvent être considérées comme étant aussi sécuritaires que les blocages pour le jeune boxeur inexpérimenté.

Enfin, encore une raison milite en faveur de l’enseignement des blocages en tout premier lieu. Je réfère ici à la prédisposition que les blocages – dans la mesure où ils sont bien exécutés – vont créer chez le jeune athlète à l’égard de son apprentissage éventuel des esquives et des parades. En fait, la maîtrise des blocages va préparer, faciliter et simplifier l’apprentissage des autres moyens de défense.

Pour bien saisir ce point de vue, il s’agit de concevoir ce qui se passe au plan mécanique : ainsi, le blocage constitue une sorte de «patron-moteur de base» qui se retrouve dans les moyens de défense plus complexes que sont les esquives et les parades. Cela s’observe aisément en étant attentif. Je vous suggère d’en faire vous-même l’expérience comme le font les boxeurs, par exemple devant un miroir. Vous constaterez alors que l’apprentissage d’un blocage se fait lui-même par étapes. D’abord, dans sa forme simple, ce geste défensif finit par s’enrichir d’un roulement d’épaule et d’un transfert du poids du corps; ce sont précisément ces gestes (roulement et transfert) qui se retrouvent sous une forme à peine plus élaborée lors de l’esquive et de la parade. L’objectif pédagogique est ici de progresser du simple au complexe, et non l’inverse.

Les esquives et les parades (déviations)

Je vais peut-être en surprendre quelques-uns en affirmant ici que je suis un grand admirateur de ces artistes de l’esquive et de la parade. Eh oui! N’y voyez pas de contradiction! Bien au contraire, je sais par expérience que la maîtrise préalable des blocages amènera le jeune boxeur à posséder plus efficacement l’art d’esquiver, de rouler les coups et d’effectuer les parades. Plus encore, il aura appris à les maîtriser avec une meilleure technique et une plus grande fluidité.

Pour ma part, les esquives et les parades sont des moyens de défense nettement plus avancés que les blocages. Ils ont un énorme avantage sur ces derniers au niveau de l’effet de surprise. Par conséquent, je considère que les esquives et les parades sont au cœur de la stratégie et des tactiques défensives auxquelles doit recourir le boxeur. Mais qui dit stratégie, dit aussi choix parmi plusieurs options. À ce niveau, le boxeur inexpérimenté ne doit pas agir de façon mécanique en utilisant répétitivement le même moyen de défense. De surcroît, celui-ci doit être en mesure de reconnaître les situations où il a plutôt avantage à opter pour un moyen de défense plus sécuritaire.

En résumé, lorsqu’un jeune boxeur se trouve en difficulté et qu’il est contraint de réagir sous la pression, il devrait pouvoir compter sur les blocages (ils sont sécuritaires et efficaces). Par ailleurs, lorsque ce boxeur contrôle la situation et veut faire preuve d’habiles tactiques défensives, alors il aura avantage à opter principalement pour les esquives et les parades (celles-ci se démarquent en vue de tendre des pièges à l’adversaire). Bien évidemment, on aura compris que cette mise en garde concernant le recours aux blocages en tout premier lieu s’applique davantage aux boxeurs inexpérimentés. Mais il faut se souvenir que tous les boxeurs l’ont été…

Précision pédagogique

Pour fins de discussion, imaginez-vous, en tant qu’entraîneur, devant un jeune prodige qui débute la boxe. Vous savez que ce jeune athlète a tout ce qu’il faut pour devenir un boxeur d’élite. Vous savez aussi que les esquives et les parades sont ce qu’il doit maîtriser pour devenir un boxeur spectaculaire et efficace. Alors pourquoi pas les lui enseigner immédiatement? Là est le piège! Là est la tentation d’utiliser un raccourci! À mon avis, ce serait une fâcheuse erreur que de procéder ainsi.

Cependant, prioriser l’enseignement des blocages au tout début de l’apprentissage de l’athlète ne signifie pas que l’entraîneur doive attendre que leur exécution soit parfaite avant de procéder à l’enseignement des autres moyens de défense. Aussi, quelques semaines seulement suffisent à la plupart des athlètes pour atteindre une maîtrise raisonnable des blocages. L’important, c’est que le jeune boxeur associe la maîtrise des blocages à la base de son apprentissage et à la sécurité qu’elle lui procure.

Ainsi, il convient que l’entraîneur enseigne très tôt les esquives (même après trois ou quatre semaines seulement), dans la mesure où il a conscience que ce sont les blocages qui serviront d’ossature à l’enseignement de celles-ci (ci-avant, j’ai décrit les blocages comme des patrons-moteurs de base). Par conséquent, même s’il m’apparaît important que le débutant progresse une marche à la fois, il ne faut quand même pas trop tarder avant de passer d’une étape à l’autre.

D’ailleurs, je tiens à préciser que l’entraîneur qui s’attarderait trop longtemps sur l’enseignement des blocages ne rendrait pas justice à tout le potentiel d’adaptation des athlètes. Ainsi, en graduant les difficultés d’apprentissage selon un rythme diligent, mais mesuré, l’entraîneur se trouve à stimuler chez les athlètes leur capacité d’atteindre une compréhension non compartimentée de l’ensemble des moyens de défenses. Car c’est cette vue d’ensemble de la défensive qui permet aux athlètes de faire des liens efficaces entre les diverses opportunités de contre-attaque.

Les boxeurs expérimentés

Une fois que le boxeur est parvenu à maîtriser l’ensemble des moyens de défense, il se peut fort bien qu’il en vienne à prioriser un type de défensive en particulier. On dira qu’il se spécialise. Ce qui importe alors, c’est qu’au moment de sa spécialisation, cet athlète ait déjà assimilé tous les moyens de défense. Le cas échéant, il les aura tous gravés dans ce que l’on entend par «mémoire musculaire»; ceux-ci demeureront donc disponibles et en état d’alerte en cas de besoin.

Par ailleurs, en tant qu’entraîneur, je sais bien qu’il n’est pas toujours simple de convaincre nos boxeurs d’accorder plus d’importance aux aspects défensifs. Mais ce qui m’est particulièrement difficile à accepter, c’est lorsque les lacunes se situent à la base de la défensive, soit au niveau de la maîtrise des blocages. Or paradoxalement, cela a été manifestement le cas pour le boxeur le plus adulé de tous les temps.

La défensive de Muhammad Ali

Dès ses débuts, Cassius Clay est apparu comme le plus flamboyant des boxeurs, notamment pour son jeu de jambes et ses esquives dont les traits fantaisistes et non-orthodoxes avaient cependant de quoi inquiéter ses entraîneurs. Malgré tout, celui qui a changé son nom pour celui de Muhammad Ali a su tirer son épingle du jeu en raison de ses habiletés exceptionnelles, de son courage légendaire et aussi, disons-le, grâce à sa capacité d’encaisser les coups.

Mais Muhammad Ali aurait pu s’épargner un grand nombre de châtiments s’il avait développé une utilisation adéquate des blocages. Combien de crochets de gauche aurait-il pu bloquer lorsque Joe Frazier s’avançait vers lui? Et notamment en fin de carrière, était-il nécessaire qu’il encaisse autant de droites de Earnie Shavers? Alors pourquoi? Je ne vois ici aucune autre explication plausible que le refus ou la négligence du principal intéressé de faire l’apprentissage des blocages. Dans ses combats, Ali se limitait à utiliser tout au plus et en dernier ressort la défensive bouclier. Pourtant, compte tenu de son immense talent, il aurait pu maîtriser mieux que quiconque l’art de bloquer les coups.

De nos jours, plusieurs jeunes boxeurs, même talentueux, négligent de faire un apprentissage adéquat des blocages. Peut-être que cela s’explique par le fait qu’ils ont choisi pour modèles certains de ces boxeurs particulièrement doués pour les esquives. Notamment, l’un de ces modèles mérite que je m’y arrête.

La défensive de Mike Tyson

On sait que Mike Tyson a fait l’apprentissage des esquives dès ses débuts. Au moment de son initiation, ce n’était manifestement pas les blocages qui comptaient le plus. Pourtant, en ce qui concerne la défensive, il serait difficile d’imaginer une meilleure progression pour un boxeur. Il est vrai que l’entraîneur Cus D’Amato avait conçu pour son protégé un type d’entraînement qui était parfaitement adapté à ses habiletés. En revanche, ce type d’entraînement convient-il vraiment à l’ensemble des jeunes boxeurs? Je ne le crois pas. À mon avis, Mike Tyson fait partie d’une poignée de boxeurs auxquels il faut appliquer l’adage suivant : «c’est l’exception qui confirme la règle».

Sans rien enlever au génie de Cus D’Amato, je ne crois pas que l’ordre d’enseignement qu’il a conçu à propos de la défensive soit approprié en vue d’initier la plupart des jeunes athlètes. En fait, Mike Tyson était le candidat idéal, le prototype parfait aux fins de valider le point de vue de D’Amato. Hélas, en ce qui concerne la défensive, cette méthode, parfaitement adaptée aux qualités athlétiques de Mike Tyson, ne saurait à mon humble avis produire les mêmes résultats chez la majorité des jeunes boxeurs.

Sur cette question, il faut bien me comprendre! Je n’ai aucunement la prétention que mon point de vue concernant l’enseignement de la défensive est le seul à pouvoir s’appliquer à de jeunes boxeurs. D’ailleurs, il y aura toujours de ces génies, comme Cus D’Amato, qui élaboreront des méthodes d’apprentissage qui ressortiront du lot. En revanche, la question qui demeure est de savoir si ces méthodes sont d’application générale, ou encore, si celles-ci s’avèrent plutôt d’application plus ou moins restreinte. Pour ma part, j’ai choisi d’emprunter à la pédagogie en raison de sa portée large et étendue. Mais la réponse à cette question revient finalement à chacun de vous ainsi qu’à chacun des entraîneurs. Mon tout premier objectif était ici de nourrir la réflexion sur ce sujet.

Conclusion

Parmi les divers moyens de défense, j’ai omis volontairement de traiter de l’un deux : le jeu de jambes. En fait, je veux réserver ce sujet pour plus tard. Compte tenu notamment que le jeu de jambes m’apparaît davantage hybride en raison de ses caractéristiques autant offensives que défensives, je crois que ce sujet mérite un traitement particulier.

En revanche, comme pour le blocage, le jeu de jambes gagne à être enseigné au tout début de l’apprentissage de l’athlète. De même, pour que son développement soit optimal, cet apprentissage doit être soumis à une progression qui soit bien mesurée et structurée. Enfin, à l’instar des blocages, le jeu de jambes nécessite d’être «valorisé» pour atteindre son plein potentiel auprès des jeunes boxeurs. Par ailleurs, le point de vue que je proposerai à propos de l’enseignement du jeu de jambes risque peut-être bien de bouleverser certaines façons de faire. Qu’à cela ne tienne!

One Comment

  1. Kevin DiPatria

    22 septembre 2017 at 13 h 51 min

    Bravo. Toujours aussi intéressant.

Laissez un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *