Quelques observations sur l’actualité récente: à propos de Francis Lafrenière, du Canadian Professional Boxing Council et de Mikaël Zewski
Par Martin Achard
Une victoire doublement satisfaisante pour Francis Lafrenière
En défaisant par décision unanime Paul Bzdel samedi soir à Lachine, Francis Lafrenière a non seulement mis la main sur le titre du Canadian Professional Boxing Council (CPBC) des poids moyens, mais il a également, pour la première fois de sa carrière chez les professionnels, hissé sa fiche à plus de .500., en la portant à 6-5-2, 3 K.-O. Il y a fort à parier que cette réalisation constitue elle aussi une grande source de satisfaction pour le résident de Coteau-du-Lac, qui a vu plusieurs décisions lui échapper de 2011 à 2013 lors de combats extrêmement serrés livrés à l’extérieur du Québec. Même s’il aura fallu plus de quatre ans avant que cette fiche victorieuse ne se concrétise, elle constitue, à n’en pas douter, un reflet beaucoup plus fidèle des habiletés et de la véritable valeur comme boxeur du «People’s Champion».
Parlant du CPBC, qui a sanctionné le duel Lafrenière-Bzdel, son président, Don Collette, a eu l’amabilité de commenter mon article de la semaine dernière sur les organisations qui décernent des ceintures de champion au pays, pour faire valoir que le CPBC, fondé en 1976, était en réalité la plus ancienne des quatre organisations actuellement en activité au Canada. J’apprécie énormément que M. Collette ait pris le temps de réagir par écrit à mon article, et je ne nie pas qu’il ait, en un sens nominal du moins, raison. Mais il est également vrai, comme je l’ai expliqué, que le National Championships Committee (NCC) est la continuation naturelle du Canadian Boxing Federation (CBF), dont les origines remontent à 1925. Tout dépend donc ici du point de vue qu’on choisit d’adopter pour déterminer quelle organisation a, dans le temps, les racines les plus profondes.
Cette question ne revêt toutefois pas une grande importance à mes yeux, car l’ancienneté d’une organisation n’est souvent qu’un critère bien imparfait pour juger de sa qualité. Par ailleurs, j’en profite pour préciser que mon article ne cherchait pas à établir une hiérarchie entre les organisations au pays. 12rounds.ca a toujours traité le titre du CPBC comme un titre digne de mention, autant dans sa couverture du combat Lafrenière-Bzdel que lorsqu’il était question, en 2013, de la victoire d’Éric Martel-Bahoéli sur Raymond Olubowale, victoire qui a valu au colosse de Québec le titre des lourds de l’organisation basée au Nouveau-Brunswick. Nous allons continuer à décrire comme une réalisation notable la conquête du titre du CPBC par un boxeur, même si on peut bien entendu trouver regrettable, à certains égards, l’existence de plusieurs organisations qui se font concurrence au niveau national.
Mikaël Zewski: en mode patience, mais quels sont les risques?
Il n’y a pas qu’au niveau canadien que les titres prolifèrent. C’est également vrai au niveau international, et au niveau nord-américain. Mikaël Zewski (24-0-0, 19 K.-O.) s’est ainsi approprié le titre vacant des mi-moyens du North American Boxing Federation (NABF) samedi au Nebraska en se débarrassant facilement de Prince Doku Jr (18-6-0, 12 K.-O.) par K.-O. au 4e round, lors de la sous-carte du gala opposant Terence Crawford à Yuriorkis Gamboa. Le NABF étant affilié au World Boxing Council (WBC), cette victoire devrait valoir au populaire Trifluvien un classement dans le top 15 du WBC.
Même si le combat était pour un championnat, Zewski n’a pas eu à faire face à plus forte opposition qu’à ses sorties précédentes. Doku s’était en effet qualifié pour une chance au titre en récoltant deux défaites à ses deux derniers combats, incluant un T.K.-O. au premier round. Qui plus est, ses 18 victoires en carrière ont toutes été obtenues au Ghana, face à des boxeurs qui – même si plusieurs combats disputés en Afrique ne sont pas répertoriés dans Boxrec – revendiquaient une fiche combinée de 7-78-2. Contre Zewski, il a fait preuve d’une inefficacité totale en attaque. Tout le langage corporel du Québécois dans le ring laissait d’ailleurs voir son manque de crainte et de respect pour les capacités offensives de son adversaire.
Rien donc de surprenant à ce que de plus en plus de voix s’élèvent, dans les médias sociaux, pour dénoncer la faiblesse des adversaires récents du protégé de Top Rank, âgé de 25 ans. À mon avis, la stratégie toute en prudence et surtout toute en patience de son clan repose sur un constat bien simple, qui est le suivant: la catégorie dans laquelle évolue Zewski, les mi-moyens, est clairement à l’heure actuelle l’une des deux catégories les plus fortes de la boxe (avec les poids mouches), mais elle pourrait cesser de l’être dans un avenir rapproché, étant donné l’âge des nombreuses vedettes qui y évoluent, à savoir: Floyd Mayweather (37 ans; champion linéaire, The Ring, WBC et WBA), Manny Pacquiao (35 ans; champion WBO), Juan Manuel Marquez (40 ans), et même dans une certaine mesure Timothy Bradley (30 ans), qui pourrait être tenté de changer bientôt de catégorie de poids.
Les intentions du clan Zewski semblent donc être de patienter pendant deux ou trois ans avant d’amener leur boxeur à la porte d’un titre mondial, le temps que les champions changent ou faiblissent, et qu’au moins l’une des ceintures devienne donc plus facilement accessible. Même la ceinture de l’IBF pourrait le devenir tout en demeurant détenue par le solide Shawn Porter, car l’Américain, bien qu’il ne soit âgé que de 26 ans, pratique un style de boxe particulièrement physique, susceptible de causer une usure prématurée.
Il s’agit, dans l’ensemble, d’une stratégie censée, mais qui n’en demeure pas moins risqué à au moins un égard. Je m’explique. On constate en effet souvent, en boxe professionnelle, le fait suivant: lorsqu’un combattant invaincu passe le cap des 20-0, et que son promoteur ou son gérant continuent à le faire affronter pendant plusieurs combats d’affilée des adversaires qui ne peuvent sérieusement le menacer, le boxeur développe souvent un «travers mental» assez néfaste, celui de croire qu’il est intouchable et que rien d’éprouvant ne saurait lui arriver dans le ring. Il en résulte un faux sentiment de confiance et de sécurité, et donc un boxeur qui sera pris de surprise et réagira mal lorsqu’il se retrouvera finalement en difficulté contre un adversaire plus coriace, ce qui arrivera nécessairement un jour ou l’autre.
Il est indéniable que Mikaël Zewski est un jeune homme extrêmement intelligent et complètement dédié à son sport. Mais la sagesse est différente des capacités intellectuelles et de la discipline. Quelles raisons avons-nous de croire que Zewski est moins susceptible que d’autres boxeurs dans la vingtaine de tomber dans ce piège?