Jean Pascal va mettre K.O. Lucian Bute

12rounds.ca vous propose cette semaine deux analyses et prédictions opposées sur l’issue du combat du 18 janvier, impliquant Jean Pascal et Lucian Bute. Voici la première de ces prédictions, en faveur du protégé de GYM. L’analyste de TVA, Michel Mike Bilodeau, défendra la contrepartie, en faveur du boxeur d’InterBox, dans quelques jours.

Jean Pascal va mettre K.O. Lucian Bute

Par Martin Achard

Les preneurs aux livres ont établi Jean Pascal comme étant légèrement favori contre Lucian Bute. Ce pronostic paraît raisonnable si l’on procède à une analyse classique de l’affrontement, basée sur une comparaison point par point des deux boxeurs en fonction des catégories habituelles (offensive, défensive, jeu de jambes, force de frappe, qualité du menton, vitesse, et endurance), et prenant par ailleurs en compte des données comme les mensurations, de même que l’expérience respective des deux combattants dans des combats d’envergure.

Je crois toutefois que ce type d’analyse, proposant une comparaison point par point des deux boxeurs, n’est pas le plus approprié dans le cas du combat Pascal-Bute, dont le déroulement risque en fait d’être déterminé par deux facteurs : 1) les particularités techniques et stratégiques d’un affrontement entre droitier (Pascal) et gaucher (Bute) ; et 2) l’interaction entre les styles, très contrastés, des deux boxeurs (facteur résumé en anglais par l’adage « styles make fights »). À la lumière de ces deux paramètres, il existe à mon sens des raisons fortes de croire que Jean Pascal possède en fait un avantage très net sur Lucian Bute. Voici mes explications.

Particularités d’un affrontement entre droitier et gaucher

Il est courant d’entendre dire que les boxeurs gauchers possèdent un avantage en boxe, car les gauchers ont l’habitude d’affronter des droitiers, alors que les droitiers n’ont pas celle d’affronter des gauchers. Cette explication tient évidemment la route et se vérifie à tous les niveaux, sauf … au niveau de l’élite ! Il est en effet frappant de constater que, dans l’histoire du noble art, très peu de grands boxeurs étaient gauchers (les quatre plus illustres sont probablement Tiger Flowers, Marvelous Marvin Hagler, Pernell Whitaker et Manny Pacquiao).

L’explication de ce fait réside dans le principe suivant : l’une des façons pour un boxeur droitier de neutraliser un gaucher est de placer son pied avant (le gauche) à l’extérieur du pied avant de son adversaire (le droit). Lorsqu’un droitier réussit à établir cette position contre un gaucher, il peut alors facilement atteindre son adversaire des deux mains, tout en étant pour sa part extrêmement difficile à frapper. Or, pour des raisons que je pourrais expliquer ailleurs, les boxeurs droitiers les plus talentueux sont souvent capables d’exécuter cette stratégie avec succès contre les gauchers.

L’une des habiletés les plus sous-estimées de Jean Pascal est son très bon jeu de jambes, et particulièrement sa capacité à se déplacer latéralement et en cercle, qui est supérieure à celle de Bute. Pour cette raison, Pascal devrait pouvoir manœuvrer de façon à maintenir la plupart du temps son pied avant à l’extérieur de celui de son adversaire. Rappelons d’ailleurs que le protégé du Groupe GYM a déjà offert, lors de sa victoire contre Chad Dawson, une éclatante démonstration de sa capacité à utiliser efficacement cette stratégie contre un boxeur gaucher. Il s’agissait bien entendu, contre « Bad Chad », d’un plan de match parfaitement conscient et délibéré : on peut clairement entendre, entre les rounds du combat, l’entraîneur Marc Ramsay rappeler à Pascal de boxer « simplement » et de « suivre son plan », à savoir ne pas « demeurer immobile » devant le jab de Dawson (autrement dit, effectuer de petits déplacements latéraux), et surtout (je cite ici mot à mot Marc Ramsay) « terminer ses combinaisons avec le crochet de la gauche pour sortir à l’extérieur du pied ».

Selon beaucoup des observateurs qui se sont exprimés jusqu’ici sur le combat, Lucian Bute aurait, en attaque, une technique de boxe supérieure à celle de Jean Pascal, notamment quant aux aspects suivants : la qualité de son jab, la diversité de ses combinaisons, la précision et le caractère compact de ses coups, et sa capacité à contre-attaquer. Sans nier la véracité de la plupart de ces points, il m’apparaît qu’une telle analyse sous-estime en fait un certain nombre d’autres aspects techniques, liés à l’offensive, que Jean Pascal maîtrise aussi bien, ou même mieux, que Lucian Bute. Mais un tel débat ne me semble avoir, au fond, que peu d’utilité, car même si on reconnaît au protégé d’Interbox tous les avantages offensifs énumérés plus haut, il suffira à Pascal de positionner son pied avant à l’extérieur pour les neutraliser, et pour demeurer hors de portée de l’uppercut de la gauche de « Mister KO », qui constitue, et de loin, son meilleur coup de puissance. La boxe est un sport où une seule capacité permet quelquefois de contrecarrer plusieurs des avantages d’un adversaire. Or si Jean Pascal s’est montré capable de positionner, la plupart du temps, son pied gauche à l’extérieur contre un aussi fin boxeur que Chad Dawson, il n’existe à mon sens aucune raison de croire qu’il sera incapable de le faire contre Lucian Bute.

Quand un boxeur droitier affronte un boxeur gaucher, une autre stratégie classique pour le droitier consiste à utiliser abondamment la main arrière, étant donné l’alignement souvent idéal qui existe entre la tête du boxeur gaucher et la main droite du boxeur droitier. Dans le cas du combat Pascal-Bute, l’efficacité potentielle de cette autre stratégie que pourra utiliser le Québécois d’origine haïtienne s’évalue mieux lorsqu’on considère le style des deux boxeurs.

Style des deux boxeurs

Lucian Bute aime pratiquer un style de boxe basé sur un contrôle strict de la distance. Grâce à des petits pas, et en boxant à un rythme constant, il cherche à s’approcher tout juste suffisamment de son adversaire (qui idéalement tente de jouer le même jeu) pour toucher avec son jab et ses combinaisons plus rapides, et, lorsque l’occasion se présente, pour placer son puissant uppercut de la gauche. L’essentiel de sa défensive reflète ce style : il bouge constamment le tronc et la tête pour présenter une cible mobile à son adversaire, et s’assurer ainsi que, lorsque son adversaire et lui sont suffisamment proches pour s’atteindre, il touche plus souvent la cible et remporte l’échange, avant de se remettre hors de portée grâce à d’autres petits pas, pour ensuite recommencer à s’approcher, encore une fois grâce à des petits pas…

Comment contrer un tel style ? Carl Froch l’a bien démontré à Nottingham en mai 2012 : il s’agit, tout simplement, d’empêcher Bute de pratiquer son style ! « The Cobra » a réussi à le faire de manière on ne peut plus simple : plutôt que de jouer le jeu du Roumain, il alternait au cours du combat entre des phases où il demeurait hors de portée et ne cherchait même pas à s’approcher – ce qui rendait inutile le balancement du tronc continu de Bute et lui donnait dans les circonstances des airs d’amateur – et des phases où il chargeait subitement et rapidement vers l’avant, afin de bousculer les habitudes du « tombeur » de trois façons : 1) en le privant du temps de réaction nécessaire pour contrôler la distance ; 2) en lui présentant un changement brusque et très marqué de rythme (ce que déteste Bute, qui a alors tendance à figer) ; et 3) en neutralisant sa capacité à se protéger efficacement à l’aide de petits mouvements de la tête et du tronc (ce type de défensive, en effet, fonctionne mieux à longue distance). En outre, lors de ses charges, Froch entamait quasi systématiquement ses combinaisons avec la droite, appliquant ainsi la stratégie classique contre un gaucher à laquelle je faisais allusion dans la section précédente. Il est inutile de rappeler ici tout le succès obtenu, lors de son combat contre Bute, par « le shérif de Nottingham ».

De par son style et ses habiletés physiques, Jean Pascal possède toutes les armes requises pour reproduire l’approche utilisée par l’Anglais contre Bute. L’ancien champion des mi-lourds est même un boxeur plus explosif que Froch, qui excelle dans l’art d’effectuer des changements de rythme inattendus et surprenants, d’où les comparaisons occasionnelles entre son style et celui de Roy Jones Jr. Le natif de Port-au-Prince possède également une très bonne droite, qu’il est au besoin capable de décocher sans la faire précéder d’un jab. L’efficacité de sa main arrière contre un boxeur gaucher ressort encore une fois clairement de son combat contre Chad Dawson, et particulièrement des septième et huitième round de cet affrontement, au cours desquels Pascal a réussi à ébranler « Bad Chad » et à stopper son momentum, alors que l’Américain pouvait sembler en voie de renverser la vapeur et de prendre l’ascendant.

Prédiction

Plusieurs impondérables peuvent évidemment influencer le résultat d’un combat de boxe. On sait ainsi que Jean Pascal a subi une blessure à l’épaule gauche lors de son avant-dernier combat contre Aleksy Kuziemski, qui l’a forcé à se battre avec une seule main pendant la majeure partie de l’affrontement, et, depuis quelques années, les blessures paraissent récurrentes chez lui. Contre un boxeur du calibre de Lucian Bute, une blessure en début de combat pourrait s’avérer fatale pour le boxeur de GYM.

Je crois toutefois que Pascal, motivé par ce combat contre Bute qu’il attend et réclame depuis plusieurs années, est en train de connaître l’un des meilleurs camps d’entraînement de sa carrière, ce qui lui permettra d’éviter les blessures graves et de respecter sans difficulté la limite de poids de 175 livres. Le soir du 18 janvier, aidé par sa plus grande expérience contre des boxeurs d’élite (il compte, en effet, quarante-sept rounds au total contre Carl Froch, Chad Dawson et Bernard Hopkins), il saura mettre calmement en application son plan de match, à savoir demeurer à l’extérieur du pied avant de Bute, et le surprendre grâce à des charges inopinées où il lancera sa droite.

Étant défavorisé sur les plans de la force physique et de la capacité à encaisser (rappelons que Pascal n’a jamais visité le plancher en trente combats professionnels), Bute se retrouvera rapidement débordé et ne pourra offrir une grande résistance. Ma prédiction : Pascal par K.O. dans les cinq premiers rounds.    

5 Comments

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    Mathieu Normand janvier 08, 2014

    Excellente analyse Martin!

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    Patrice Martel janvier 09, 2014

    Analyse complète, et super détaillée!

    Grâce à votre brillante analyse,

    je vais être en mesure de mieux analyser la boxe et les boxeurs.

    P.S. on a entendu dire que Dawson n’était pas un boxeur gaucher naturel,
    je crois que c’est Adonis Stevenson, qui a mentionné cela!

    Est-ce vrai?

    Merci!

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    François Bouchard janvier 13, 2014

    Effectivement Patrice, Dawson est un « faux gaucher ».

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