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Andre Ward serait-il un bon adversaire pour Adonis Stevenson? Une analyse des qualités pugilistiques de «S.O.G.»

Par Martin Achard

Ceux qui ont regardé il y a quelques jours, samedi le 16 novembre, la magnifique performance d’Andre Ward contre Edwin Rodriguez ont eu la chance de voir à l’œuvre un maître de presque tous les aspects techniques et stratégiques de la boxe. Il est assez frappant de constater que – alors que le nombre d’excellents entraîneurs seraient, à en croire plusieurs observateurs, en baisse – on trouve à l’heure actuelle pas moins de trois boxeurs qui pourraient rivaliser en finesse et en subtilités avec les plus grands stylistes du passé, à savoir Floyd Mayweather, Bernard Hopkins, et Ward lui-même. Il semble d’ailleurs assez évident que ces trois boxeurs s’observent mutuellement et s’entre-inspirent, car leurs styles et leurs approches du combat présentent des similarités très fortes, qui ne peuvent être le résultat du hasard.

Ward étant actuellement à court d’adversaires de valeur chez les super moyens, il est question de l’opposer à des boxeurs d’autres catégories afin de créer un duel intéressant. Les noms de Gennady Golovkin chez les moyens, et d’Adonis Stevenson et de Sergey Kovalev chez les mi-lourds, sont souvent mentionnés. Comme on sait, ces deux derniers participeront aux deux combats principaux de la carte du 30 novembre à Québec. Il sera donc intéressant d’observer les performances de Stevenson et de Kovalev dans leurs combats respectifs, en soupesant leurs chances éventuelles contre celui qui mérite pleinement d’être considéré comme le meilleur boxeur «livre pour livre» de la planète avec Floyd Mayweather.

Pour faciliter cette évaluation, et pour célébrer la performance extraordinaire de «S.O.G.» contre Rodriguez (un «chef d’œuvre», comme l’a qualifiée son entraîneur Virgil Hunter), nous proposons ici une liste de quelques-unes des principales qualités de Ward comme boxeur. Cette liste ne prétend pas être exhaustive et pourra être utilement bonifiée par les observations de nos lecteurs:

1) Ward garde toujours une base solide et ne se retrouve pratiquement jamais en déséquilibre. On a d’ailleurs pu clairement entendre, contre Rodriguez, Virgil Hunter lui rappeler l’importance de ce point entre les rounds, ce qui démontre que l’excellence de Ward repose en bonne partie sur un souci constant (de sa part et de la part de son entraîneur) d’atteindre la perfection dans les «fondamentaux» de la boxe.

2) Son jeu de jambes est d’une grande efficacité, tout en étant sobre et économique. Aucun mouvement inutile ou trop prononcé chez lui! De cette façon, ses jambes ne se fatiguent pas rapidement et ses déplacements demeurent tout aussi efficaces au 12e round qu’au 1er. On notera en passant qu’on trouve exactement la même économie dans le jeu de jambes de Bernard Hopkins, ce qui explique en partie pourquoi «B-Hop» – en dépit de l’âge, qui tend généralement à ralentir les jambes – continue à avoir dans le ring des déplacements presque aussi efficaces qu’il y a 10 ou 15 ans.

3) Ses mains sont toujours hautes et sa tête toujours penchée de façon à protéger son menton. Élémentaire direz-vous? Peut-être, mais le fait est que quantité de boxeurs négligent de suffisamment se protéger. Ce n’est pas le cas de «S.O.G.», qui utilise en défensive chaque outil à sa disposition, à commencer par les deux plus simples: ses bras et la position de sa tête.

4) Son évaluation de la distance dans le ring ne fait jamais défaut. Il s’agit d’une habileté qui, contrairement à une force de frappe exceptionnelle par exemple, ne saute pas aux yeux des spectateurs, mais qui n’en constitue pas moins l’une des plus importantes qualités qu’un boxeur puisse posséder. À elle seule, cette habileté peut permettre de contrecarrer des avantages naturels considérables et souvent déterminants, comme un avantage de vitesse marqué pour l’adversaire. Lorsque vous observez un combat où l’un des deux boxeurs domine facilement, sans qu’apparaissent à première vue les raisons de sa domination (aucun avantage net de portée, de puissance, de vitesse, etc.), regardez du côté de la capacité des deux boxeurs à bien évaluer la distance: on y trouve souvent le facteur qui explique la différence.

5) Il feinte abondamment et il lance des jabs au corps. Le jab au corps est un coup relativement peu utilisé, mais qui a l’avantage de toucher presque toujours la cible quand il est bien exécuté. Sans être habituellement un coup très puissant, il pousse inconsciemment l’adversaire à baisser sa garde (ou à la garder basse) et il introduit un élément d’imprévisibilité dans la direction du jab, ce qui permet d’atteindre plus facilement la cible avec des jabs à la tête. Les très nombreux «power jabs» placés de plein fouet par Ward à la tête de Rodriguez illustrent parfaitement ce fait.

6) Il fait constamment varier son tempo et son rythme, de façon à pouvoir frapper son adversaire lorsque ce dernier ne s’attend pas à être attaqué. Cette capacité permet de grandement déstabiliser la plupart des boxeurs, qui tendent à se battre à un rythme constant ou, du moins, prévisible. Floyd Mayweather a expliqué lors d’entrevues l’importance de ce point, qui constitue pour lui, comme pour Ward, une stratégie de base, appliquée lors de chaque combat.

7) Chacune de ses charges intègre un élément défensif. Il semble assez clair que Ward conçoit une attaque bien exécutée en boxe comme composée des trois éléments suivants: 1) pas vif vers l’avant; 2) frappes; 3) manœuvre défensive immédiate, qui n’est pas exécutée en réaction directe à la contre-attaque de l’adversaire, mais plutôt de manière préventive, idéalement avant même que l’adversaire ait eu le réflexe de contre-attaquer. Chez lui, cette manœuvre défensive immédiate prend différentes formes (ce qui la rend impossible à prévoir), par exemple reculer pour se mettre hors de portée, se coller sur l’adversaire, pivoter vers la droite ou la gauche, ou pencher considérablement son tronc vers la droite (une technique très «old school», qu’on a vu être utilisée encore au cours des dernières décennies par certains maîtres de la défensive comme Roberto Duran, James Toney et, bien sûr, Bernard Hopkins).

8) Même s’il est un pur boxeur, qui peut dominer le combat à distance, Ward maîtrise chaque subtilité de l’«infighting» (incluant bien entendu des coups très compacts comme des uppercuts et des mi-uppercuts/mi-crochets, mais aussi des techniques pour rudoyer l’adversaire), et il choisit souvent de se battre à courte ou à très courte distance, afin d’introduire une variation supplémentaire dans sa boxe et de profiter du fait que la plupart des boxeurs maîtrisent moins bien que lui l’art des coups courts et compacts. Il vaut la peine de rappeler ici l’aveu de Carl Froch, qui avait déclaré après son combat contre Ward: «J’avais de la difficulté à l’atteindre. Il était toujours soit trop loin, soit TROP PROCHE!». Cette déclaration n’est pas anodine et démontre les bonnes capacités d’analyse de Carl Froch, car elle résume parfaitement, et en quelques mots à peine, un point essentiel de la stratégie défensive utilisée par «S.O.G.» contre lui.

On peut donc se demander, au vu de ces faits, quelles seraient les chances d’Adonis Stevenson contre Ward, au-delà de celle que lui confèrera toujours son incroyable force de frappe. Nous laisserons à chacun le soin de se former une opinion sur ce point. Mais en ce qui nous concerne, il nous semble clair que, advenant une victoire de Stevenson contre Tony Bellew le 30 à Québec, GYM et «Superman» ne devraient accepter un combat à court terme contre Ward que si on leur offrait un véritable pont d’or, et sans doute aussi une option pour un combat revanche.

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