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Hopkins VS Jones Jr, qui a été le plus prodigieux?

Par Rénald Boisvert

La tentation de répondre catégoriquement à une telle question vient spontanément à l’esprit. Roy Jones Jr, avancera-t-on tout bonnement! C’est trop simple! Ne flaire-t-on pas ici le piège? Si l’on se donne la peine de creuser un peu afin de trouver un enjeu véritable et sous-jacent à cette question, on découvre que ces boxeurs ont été aussi prodigieux l’un que l’autre, mais chacun à sa manière. Qu’en est-il?

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Dans ses bonnes années, Roy Jones Jr a certainement été le boxeur le plus spectaculaire de sa catégorie de poids et peut-être même de toute son époque. Ce n’est pas rien. À son apogée, Roy Jones Jr a réduit ses adversaires en pièces. Observons-le dans toute sa magnificence:

Loin d’être aussi spectaculaire que Roy Jones Jr, Bernard Hopkins s’est plutôt distingué par sa durabilité. Il a traversé trois décennies tout en demeurant parmi les meilleurs. Cela peut sembler abstrait, mais ce long parcours dans le temps signifie beaucoup plus que ce qu’il paraît. Et pour bien saisir ce qu’il y a là dedans de si prodigieux, de si phénoménal, il est nécessaire de tenir compte de l’immense potentiel d’adaptation de Bernard Hopkins tant au niveau de ses capacités (physiques) que des qualités (techniques) dont il a dû faire preuve pour se maintenir si longtemps à un tel niveau de performance.

La capacité physique d’adaptation 

Lorsqu’on compare deux boxeurs au plan de leur longévité, on propose habituellement l’explication suivante: celui dont les habiletés reposent sur la vitesse se trouvera désavantagé au fur et à mesure que ses belles années s’écouleront. C’est que la vitesse (ceci comprend la vitesse de réaction) diminue plus rapidement avec l’âge que les autres qualités et attributs d’un boxeur. On comprend de cela que l’élément vitesse est d’une extrême importance, par exemple, pour le boxeur dont les mains sont tenues très basses. C’est aussi le cas pour celui dont la défensive s’appuie essentiellement sur son jeu de pieds et sur des mouvements d’esquive. Par conséquent, pour ces types de boxeur, il y aura généralement une descente aux enfers à partir du moment où l’élément vitesse commencera à faire défaut. Cela semble avoir été le cas pour Roy Jones Jr.

Par ailleurs, cela pourra être différent pour le boxeur qui adopte une garde haute et dont le style consiste à s’imposer physiquement tantôt en exerçant une pression sur l’adversaire, tantôt en déstabilisant celui-ci par des accrochages et des bousculades imprévisibles, mais structurés. Dans ce cas, ce sont plutôt le «timing», les éléments «techniques» et beaucoup moins la vitesse qui se trouvent généralement au centre des attributs de ce boxeur. Au plan défensif, ce dernier utilise systématiquement les blocages et les parades (déviations) et très peu les esquives. On a sans doute reconnu ici Bernard Hopkins.

Quoique la façon dont nous venons de décrire Jones et Hopkins correspond assez bien à la réalité, il n’est pas certain que cette description suffise à tout expliquer. Il existe d’autres facteurs ayant pu intervenir, par exemple, au plan neurologique. En fait, nous ne connaissons pas grand chose de la vie des neurones. Évidemment, on sait qu’ils peuvent être altérés à la suite de coups reçus à la tête. Mais attention! En revanche, leur altération (ou même leur dysfonctionnement) n’est pas toujours attribuable à la boxe. Cela peut être aussi le résultat d’une certaine forme de vieillissement.

Par exemple, prenons un sport dans lequel il n’y a aucune sorte d’impact, on s’aperçoit que certains athlètes, avec l’âge, répondent de moins en moins vite aux stimulations nerveuses, alors qu’au contraire, d’autres athlètes vont demeurer aussi vifs que les plus jeunes. En tant qu’entraîneurs, nous avons tous observé cette disparité d’ordre neurologique entre les individus. Les premiers signes de ce vieillissement d’ordre neurologique (à l’âge de trente ans pour certains, à l’âge de cinquante ans pour d’autres) s’exprime par un certain retard au niveau du temps de réaction de l’athlète – la fraction de seconde, comme on dit dans le milieu de la boxe – et les hésitations qui s’en suivent conséquemment.

Ainsi, pourrait-on également poser comme hypothèse que Roy Jones Jr aurait vieilli neurologiquement plus tôt que Bernard Hopkins et qu’il aurait dû mettre fin à sa carrière au moment où on pouvait déceler un ralentissement significatif au niveau de sa vitesse de réaction. Mais une telle option n’est pas toujours acceptable (ou acceptée) du point de vue de l’athlète, ni même parfois de son entourage.

Évidemment, ce n’est pas du tout pareil pour Bernard Hopkins. Une chose est certaine, c’est qu’on peut affirmer de ce boxeur vétéran qu’il possède une génétique hors du commun. Songeons à ces multiples adaptations d’ordre physique qu’il lui a fallu subir au cours de trois décennies compte tenu de ce qu’est la boxe professionnelle. Or, ce n’est pas assez! Il faut encore ajouter un autre aspect à ce portrait déjà éloquent de Bernard Hopkins.

Les qualités techniques d’adaptation

Cela ne suffit probablement pas pour bien comprendre le phénomène Bernard Hopkins de le réduire à une question de «génétique», pas plus d’ailleurs qu’au seul fait que son style de boxe ne soit pas basé sur la «vitesse». Sans nier l’intervention de ces facteurs, il faut ajouter à ceux-ci un autre élément, lequel apparaît tout aussi déterminant dans la carrière de Hopkins: il s’agit de son aptitude à s’adapter techniquement selon l’âge. Peut-être n’a-t-on pas l’habitude de considérer un tel facteur; dans ce cas-ci, il mérite assurément d’être examiné.

Pour bien saisir les qualités (techniques) d’adaptation de Bernard Hopkins, il convient d’analyser ses performances en les comparant d’une décennie à l’autre. On constate alors qu’il était au départ plutôt rapide et particulièrement doué pour les déplacements. De plus, Hopkins utilisait grandement les esquives autant dans le but de contre-attaquer que pour entrer à l’intérieur de la portée de l’adversaire.

À cette époque, au corps à corps, déjà il jouait dur, mais n’accrochait pratiquement pas. Au cours de la deuxième décennie, on peut voir un Hopkins de plus en plus conscient de l’élément distance (portée). C’est cette habileté alors grandissante qui lui permet le plus souvent d’endiguer, de paralyser les mouvements et déplacements de ses adversaires. Hopkins se révèle alors un maître dans l’art de piéger l’opposant. Au moment où on peut s’attendre à une attaque à longue portée, Hopkins en profite pour s’introduire à l’intérieur… et inversement. Il s’emploie ainsi à déjouer les expectatives de ses adversaires. C’est d’ailleurs le recours à de telles ruses qui va contribuer principalement à faire plus tard de Hopkins un boxeur capable de mieux gérer que quiconque ses énergies dans un combat.

C’est donc à partir de la toisième décennie que Bernard Hopkins s’impose comme une sorte de «gestionnaire» du ring. Tout semble calculé! Il limite non seulement le nombre de ses déplacements, mais chacun d’eux s’avère plus court et parfaitement mesuré de manière à n’utiliser aucune dépense d’énergie qui ne soit pas efficace. Visiblement, Bernard Hopkins comprend qu’il doit lui-même s’économiser à certains moments pour éventuellement exploser et surprendre l’adversaire. Au plan défensif, il augmente la quantité de ses blocages et parades alors qu’il diminue sensiblement le nombre de ses esquives. Accrocher l’adversaire devient également plus systématique qu’auparavant. En somme, au cours de la dernière décennie, Bernard Hopkins apparaît pleinement conscient de ses limitations, mais parvient à compenser, à s’adapter en ayant recours à d’autres habiletés autant techniques que stratégiques.

Pendant ce temps, Roy Jones Jr ne vieillit pas aussi bien. Malgré le fait qu’il avance en âge, Jones conserve l’attitude du jeune pugiliste qu’il a été une vingtaine d’années auparavant. Pourtant, comment peut-il croire qu’il lui est encore possible de braver l’adversaire en se tenant bien droit et immobile devant lui, attendre qu’on tente de le frapper avant de réagir? En somme, Roy Jones Jr n’a rien changé à sa façon de boxer. D’une certaine façon, il a joué le tout pour le tout en défiant les effets de l’âge. Il a perdu à ce jeu. C’est une triste fin de carrière! En revanche, il ne faut pas se laisser abattre; il s’agit plutôt de se souvenir de ses belles années. Quel formidable athlète a-t-il été!

Conclusion

Même si Roy Jones Jr est apparu le plus lumineux au firmament de la boxe professionnelle, nous ne pouvons pas résister à l’envie de considérer la longue trajectoire de Bernard Hopkins comme étant tout aussi prodigieuse (cette trajectoire a quelque chose d’intemporel). D’ailleurs, au sujet de cette comparaison au plan de leur longévité, n’y a-t-il pas pour nous (entraîneurs) des leçons à tirer? Comment ne pas voir là une manière de solutionner, du moins partiellement, les problèmes engendrés par l’âge et le vieillissement d’ordre neurologique chez nos boxeurs?

Ainsi, au fur et à mesure que les belles années s’écoulent, ce sont des habiletés techniques et orthodoxes plus pointues qui devraient progressivement remplacer les coups d’éclat qui ont fait les succès du jeune boxeur. Ici le terme «progressivement» prend toute son importance compte tenu que de tels changements ne peuvent pas s’opérer comme par magie. En fait, ce sont à la suite de longs et laborieux efforts dans le gym que ces transformations commenceront à paraître, puis à s’installer. On doit donc les planifier longtemps à l’avance.

Par ailleurs, il se peut malheureusement que ce soit trop tard pour effectuer des changements en profondeur. En d’autres mots, il se peut que ce boxeur soit arrivé à un âge critique au plan neurologique qui ne lui permette plus d’atteindre les objectifs qu’il s’était fixé. Pourquoi alors continuer? Il n’y a pas de réponse simple. Savoir s’arrêter à temps, voilà l’ultime challenge auquel le boxeur est confronté!

2 Comments

  1. Raynald Lavigne

    6 mai 2016 at 15 h 17 min

    Je lis toujours ce que tu écris et franchement, c’est toujours percutant !!! BRAVO !!! Et surtout continue !!! Mon Rénald je te salut! Raynald Lavigne

  2. Normand Grimard

    6 mai 2016 at 18 h 48 min

    Bonjour Rénald, j’ai vraiment apprécié ce texte, tu as une capacité exceptionnelle d’analyser ainsi qu’ une logique sans pareille! Merci de partager

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