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L’attaque et la défensive : un tout indissociable

Par Rénald Boisvert

Dans les sports d’équipe (hockey, soccer, etc.), nous avons appris très jeune à agir en défensive pendant que les adversaires se lançaient en attaque. Puis, à la suite d’un revirement de situation, c’était à nous de passer à l’attaque alors que les adversaires se limitaient à se défendre. Je retiens de ceci que chacune des deux équipes se retrouvait à l’attaque à tour de rôle.

C’est aussi le cas pour la plupart des sports individuels. L’athlète se trouve alors soit en attaque, soit en défense. À vrai dire, il en est ainsi pour tous les sports, sauf en ce qui concerne les sports de combat – la vidéo qui suit est révélatrice à ce sujet.

En tant qu’entraîneur, il nous faut reconnaître que dans les sports de combat, les pugilistes doivent simultanément prendre en compte l’attaque et la défensive. Sur ce sujet, observez bien ce qui se passe dans la vidéo qui suit :

 

Jacobs calls out Jermall Charlo

Daniel Jacobs calls out Jermall Charlo after taking care of business

Posted by Boxing Habit 2 on Saturday, April 28, 2018

Dans cette vidéo, les deux boxeurs se sont lancés en attaque au même instant. Sur cette question, certains diront que les pugilistes ont pris un risque et que cela fait partie de la boxe. Mais doit-on se satisfaire de cette explication? D’accord sur le principe, je reconnais que la prise de risque est une composante essentielle dans le déroulement d’un combat. Cependant, ce commentaire est loin de donner pleine satisfaction. Prenons donc la peine de nuancer quelque peu ce que signifie l’expression «prise de risque».

Éviter de boxer à l’aveugle

En observant avec attention la vidéo ci-devant, on constate que Daniel Jacob exécute un direct du droit tout en esquivant celui de l’adversaire, ce que ce dernier ne réussit manifestement pas à faire. Or, il n’est pas sans intérêt de bien distinguer les manœuvres de chacun d’eux. Même s’il est évident que les deux boxeurs prennent un risque dans leur exécution, il appert que Daniel Jacob conserve tout au long de l’action un certain niveau de conscience des intentions de l’adversaire. Quant à l’adversaire, il lance sa droite comme s’il ne pressentait aucune menace.

On a l’habitude de définir la prise de risque comme un «acte volontaire». Pour la plupart des auteurs, le risque encouru résulte donc d’un choix délibéré et jusqu’à un certain point, conscient. Ainsi, la prise de risque est délibérée au sens où l’action repose sur un comportement résolu, mais dont le niveau de conscience ne peut pas toujours donner lieu à une évaluation suffisante de la situation. D’ailleurs, n’est-ce pas la tâche de l’entraîneur, dans les moments où le boxeur prend un risque, de s’interroger sur le niveau de conscience de celui-ci?

Autrement, ce serait considérer la prise de risque comme si le boxeur jouait à la roulette russe. Par conséquent, l’entraîneur ne doit-il pas intervenir lorsque le boxeur se lance en attaque sans discernement? Il devient alors à la merci du hasard. C’est ce que l’on voit trop souvent lors d’échanges de combinaisons de coups. Alors, pourquoi ne pas amener notre athlète à faire l’apprentissage de cette habileté?

Développer l’aptitude à prendre des risques

Dans un sport comme la boxe, la prise de risque demeure un comportement essentiel malgré la menace que cela peut faire peser sur les pugilistes. En tant qu’entraîneurs, nous nous devons néanmoins de traiter cet aspect différemment selon la personnalité de l’athlète. Dans certains cas, il faut calmer les ardeurs du boxeur lorsque la prise de risque l’engage dans des échanges totalement irréfléchis; à l’inverse, il y a certains autres athlètes, trop prudents, que nous devons motiver à prendre davantage de risques.

En effet, au même titre que la folle témérité, l’extrême prudence est un comportement à proscrire dans la boxe. En fait, c’est la prise de risque (raisonnable) qui est au cœur du développement des boxeurs, alors que la prudence à outrance a pour effet d’entraver la capacité d’initiative et de réactivité. Par conséquent, il est impensable de vouloir l’épanouissement des athlètes sans passer par la prise de risque.

La question qui se pose ensuite est de savoir comment doit-on encadrer l’athlète dans le but qu’il parvienne à atteindre le niveau de conscience voulu dans les moments où il lui faut prendre des risques. La suggestion que je m’apprête à faire n’est pas nouvelle, elle n’a rien de révolutionnaire. Or, malgré le fait qu’elle a déjà fait ses preuves, cette façon de faire n’est pas très utilisée. C’est qu’elle entre en conflit avec un mythe très tenace.

Apprendre à la dure

Très souvent, j’entends les boxeurs dire ceci : « je n’aime pas mettre les gants avec des partenaires moins bons que moi; c’est avec les meilleurs que je vais apprendre… ». Ces boxeurs ne se rendent pas compte du tort qu’ils se font à eux-mêmes. Même s’il est primordial de croiser régulièrement le fer avec meilleur que soi, il demeure que ce sont les confrontations avec les «moins bons» qui vont le plus favoriser la prise de risque.

En effet, face à un partenaire qui lui est supérieur, un boxeur n’osera pas vraiment tenter sa chance; il se confinera le plus souvent dans des manœuvres conservatrices afin de limiter les dégâts ou encore, sauver les apparences. Dans ces cas, il n’y a que très peu de progrès pour ce boxeur. Au contraire, une séance de sparring avec un partenaire de moindre niveau lui donnera l’occasion de prendre énormément de risques et conséquemment, la possibilité de développer de nouveaux outils.

En réalité, c’est une simple question de progression. Mais pour bien comprendre ce point de vue, il faut cependant reconnaître que l’objectif des «sparrings» est non seulement de favoriser le développement physique de l’athlète, mais aussi sa progression sur le plan psychologique et stratégique (analyse de l’adversaire, prise de décision, etc.). D’ailleurs, quand il est question d’énergie et de puissance musculaire, tout le monde s’accorde pour reconnaître la nécessité pour l’athlète de suivre une méthode progressive et mesurée. «Petit à petit» dit-on! Alors pourquoi n’en serait-il pas ainsi quant aux habiletés mentales de l’athlète?

Je dirais donc que les habiletés mentales et stratégiques du boxeur, à l’instar de ses capacités physiques, doivent être soumises à un entraînement progressif lors des sparring afin que celles-ci puissent se développer efficacement et de façon sécuritaire. Pour s’en convaincre, voyons comment entrent en jeu les fonctions cérébrales d’un boxeur.

Un cerveau multitâche

L’évolution nous a pourvus d’un cerveau capable de focaliser notre attention sur plusieurs éléments en parallèle. Par contre, cette aptitude ne s’accomplit pas instantanément. Elle a besoin d’entraînement. Prenez l’exemple de la conduite automobile. Au départ, le niveau de concentration est très limité chez l’apprenti conducteur. Mais graduellement, celui-ci parvient à élargir son champ d’observation et à traiter un grand nombre d’informations de façon simultanée.

Il en est de même pour le boxeur. Sur le ring, il ne faut pas penser qu’il est facile pour lui de traiter plusieurs informations à la fois. D’ailleurs, relativement à cette aptitude, là où le boxeur éprouve le plus de difficulté, c’est lorsqu’il lui faut considérer l’attaque et la défensive simultanément. De prime abord, c’est comme si son cerveau était incapable de faire ces deux choses en même temps. Qu’en est-il dans les faits?

Une nuance s’impose ici. D’abord, il importe de bien distinguer «apprentissage» et «traitement». L’exemple du pianiste illustre bien la nécessité de faire cette distinction. Au début de son apprentissage, le pianiste doit faire beaucoup d’effort pour arriver à jouer une mélodie d’une main tout en maîtrisant une différente mélodie de l’autre main. Mais une fois l’apprentissage réalisé, le traitement de ces deux actions séparées devient relativement aisé. Dans un tel cas, le pianiste a accompli cet apprentissage par un entraînement physique, mais aussi «mental».

Comme le pianiste, le boxeur doit parvenir à la pleine maîtrise de deux fonctions cérébrales foncièrement séparées. Ainsi, maîtriser simultanément l’attaque et la défensive requiert un «apprentissage» approprié sur le plan physique et mental. Par conséquent, il importe alors que les conditions d’entraînement se bornent à une progression qui soit à la portée de l’athlète. Lors d’un combat d’entraînement, notamment lorsqu’il est demandé à l’athlète d’accomplir des manœuvres comportant des risques, une telle progression doit être d’autant plus méthodique et pondérée.

Ainsi, lorsque l’athlète n’arrive pas à maîtriser l’habileté à attaquer et se défendre simultanément, il ne faut pas abandonner. Le cerveau n’est pas un organe figé. Les recherches scientifiques réfèrent à la plasticité du cerveau pour décrire la capacité de ce dernier de se modifier. Tout ce qu’il faut, c’est un entraînement adapté à la condition et au stade du boxeur. Il y a un temps pour «sparrer» à la dure et un temps pour apprendre en «sparrant».

Conclusion

Il y a quelques années, à New York, j’ai assisté à une séance de sparring au cours de laquelle Daniel Jacobs mettait les gants avec un boxeur dont le niveau d’habileté était très loin du sien. Il aurait pu descendre ce partenaire d’entraînement dès le premier round. Mais en grand champion, Jacobs ne lui a fait mal à aucun moment. Son objectif était plutôt de mettre au point certaines manœuvres. Parmi celles-ci, j’ai pu observer qu’il accordait beaucoup d’importance à cette habileté consistant à attaquer et se défendre simultanément.

Il va de soi que Daniel Jacobs ne venait pas d’utiliser pour la première fois ce type de «sparring». Pourtant, sachez que ce boxeur est un guerrier. Si vous n’en êtes pas persuadé, vous n’avez qu’à regarder l’un de ses combats. Or, en «sparring», il ressort que Daniel Jacobs fait la part des choses. Tantôt il y emprunte le rôle de guerrier, tantôt celui de l’élève en plein apprentissage. Tout dépend de l’objectif qu’il poursuit au cours d’une séance de «sparring». Tout bien considéré, Daniel Jacobs m’apparaît comme un modèle à imiter pour nos jeunes boxeurs.

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