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L’entraînement aléatoire 101 (deuxième partie)

Par Rénald Boisvert

Dans mon article précédent, « L’entraînement aléatoire 101 (première partie) », l’objectif était de simplifier le plus possible la présentation de ce sujet. À cette fin, j’ai choisi de recourir à des exemples concrets où les entraîneurs utilisaient, dans un même exercice, la méthode traditionnelle et la méthode aléatoire. C’est ce qu’on appelle l’approche hybride.

En principe, il est facile de distinguer les deux méthodes d’entraînement. Alors que l’approche traditionnelle est fondée principalement à partir d’un grand nombre de répétitions constantes, la méthode aléatoire est, quant à elle, composée de facteurs variables et notamment incertains pour l’athlète. Toutefois, cette distinction n’est pas toujours aussi clairement définie. Par exemple, dans la vidéo qui suit, vous constaterez que Roger Mayweather, un entraîneur classique, utilise aux pads une technique de type aléatoire.

Dans cette vidéo, le jeune boxeur doit exécuter des blocages sans savoir à l’avance ce que fera l’entraîneur Roger Mayweather. En se servant de ses pads, l’entraîneur va-t-il lancer un crochet? Ou bien un jab? Dans l’entraînement aléatoire, ceci est appelé «élément d’incertitude». Le jeune boxeur développe alors son aptitude à lire les intentions de l’entraîneur, comme cela se passe à l’égard d’un adversaire dans un combat réel. Aussi, à force d’entraînement, le jeune boxeur aiguise au plan mental et physique sa capacité de réagir efficacement en défensive et éventuellement, en contre-attaque.

Pour ma part, c’est davantage ce genre d’exercice qui a contribué à former Floyd Mayweather Junior que le type de pads scénarisé et fantaisiste dont il a été question dans mon article « Pads à la Mayweather, spectacle ou réalité? ». En somme, il me paraît évident que la plupart des bons entraîneurs vont intégrer de ces composantes aléatoires à leurs techniques d’entraînement afin d’optimiser la progression des boxeurs.

Dans l’article précédent, en présentant de façon simple l’approche hybride, je croyais possible de convaincre un bon nombre d’entraîneurs qui étaient au départ réfractaires à l’entraînement de type aléatoire. Du coup, peut-être que cette présentation de l’approche hybride pourrait-elle ouvrir la voie à une conception plus large : « l’entraînement à la prise de décision ». Bien évidemment, pour faire place à une méthode aussi novatrice que celle-ci, il faut bien s’attendre à un débat. Hélas! Plusieurs adeptes des nouvelles méthodes tiennent un discours qui risque grandement de polariser le débat et braquer les partisans de l’entraînement traditionnel. Voyons les principaux points sur lesquels une telle polarisation pourrait être évitée.

Le pouvoir de la répétition

Du point de vue de l’approche traditionnelle, la répétition d’exercices spécifiques et constants a pour effet de créer des automatismes indispensables au développement des boxeurs. Or pour les tenants de la méthode aléatoire (plus largement l’entraînement à la prise de décision), ceci amène plutôt une forme de robotisation des athlètes.

Il y a ici un énorme malentendu! L’objection paraît remettre en question l’importance des répétitions. Mais ce n’est qu’en apparence. Aussi, précisons que peu importe l’allégeance (traditionnelle ou non), l’élément «répétition» demeure essentiel au développement des automatismes. Par conséquent, que ce soit en répétant les mêmes gestes, ou encore que ce soit en y intégrant des composantes variables et aléatoires, dans tous les cas, il faut répéter et encore répéter pour générer des automatismes.

Malencontreusement, plusieurs adeptes des nouvelles méthodes vont en remettre en affirmant qu’il ne faut pas tant miser sur la quantité des exercices, mais plutôt sur leur qualité. Une telle affirmation doit aussi être nuancée. Même si généralement, la qualité doit l’emporter sur la quantité, dans ce cas bien précis (en matière d’automatisme), autant la quantité que la qualité sont des facteurs déterminants dans le développement d’un boxeur.

D’abord, commençons par clarifier la question du développement des automatismes au point de vue de la qualité. En répétant un geste spécifique et de façon constante, le boxeur se trouve à développer un automatisme unique, en quelque sorte stéréotypé. Ainsi, dans une situation donnée, il aura alors tendance à utiliser le même automatisme. Ce boxeur sera donc plus prévisible que celui qui a été soumis à un entraînement comportant plusieurs variables (notamment aléatoires). Dans ce dernier cas, le boxeur développera pour chacune des situations plus d’un automatisme. Il est ici facile de conclure lequel d’entre ces deux types d’exercice s’avère davantage un entraînement de qualité.

Par contre, quant au développement des automatismes au point de vue «quantitatif», l’entraînement aléatoire (ou hybride) n’échappe pas à la règle. Peu importe la méthode d’entraînement utilisée, la répétition demeure le facteur principal de l’apprentissage. Cependant, ceci ne signifie pas que l’une des méthodes ne pourrait pas posséder un avantage quelconque sur l’autre, par exemple quant à son efficacité (compréhension, rétention, transfert, etc…); tout compte fait, ce qui les distingue, c’est la manière de contrôler (plus ou moins) les exercices visant l’établissement et l’amélioration d’automatismes.

Vislan a l'entrainementPour les fins de la discussion, imaginez un entraînement aléatoire (ou hybride) portant sur des gestes relativement complexes, mais que l’athlète ne répéterait que très peu. En principe, cet athlète n’aurait aucun avantage sur celui dont la pratique morcelée et invariable est compensée par une multitude de répétitions. En fait, je parierais sur le deuxième athlète.

En somme, il importe que les adeptes des nouvelles méthodes rectifient le tir en ce qui concerne l’importance des répétitions. Les nuances à apporter sont essentielles afin de faire de nouveaux adeptes. Or, ce besoin de nuancer ne se limite pas à la seule question des répétitions; il convient également d’étendre ce point de vue à un principe pédagogique fondamental.

Du simple au complexe

Selon les adeptes de l’entraînement à la prise de décision, l’approche traditionnelle fait erreur en se limitant au départ à des objectifs de performance simples pour ne s’attaquer que beaucoup plus tard à ceux plus complexes. Par exemple, on confine le jeune boxeur à la maîtrise quasi-parfaite de tous les coups et enchaînements de base avant de pouvoir passer à l’étape de la compréhension des diverses tactiques que ces enchaînements impliquent. En procédant de la sorte, l’athlète serait restreint à un comportement passif et démotivant qui le désengagerait de l’apprentissage recherché.

Cette objection paraît sous-entendre que l’application de ce principe pédagogique (du simple au complexe) devrait être abandonné. Or, il y a encore ici un malentendu. Il ne saurait être question d’abandonner le principe voulant que l’enseignement de la boxe suive une progression à partir de ce qui est simple pour ensuite aller vers le complexe. D’ailleurs, si on observe attentivement les tenants des méthodes nouvelles, force est de constater qu’ils procèdent eux-mêmes de cette manière. Leur programmation est loin d’être anarchique; bien au contraire, elle va définitivement du simple au complexe. En fait, ce principe s’applique à l’ensemble des habiletés physiques et cognitives de l’être humain. Par exemple, c’est le cas de l’enfant qui apprend à marcher puis à courir, du pianiste qui fait l’apprentissage de partitions simples au départ pour ensuite s’attaquer à des partitions plus complexes, et ainsi de suite…

Ce que conteste au fond les adeptes des méthodes nouvelles, ce n’est pas tant le principe voulant que l’enseignement d’une discipline sportive procède du simple au complexe, mais plutôt la rigidité dont fait preuve les approches étapistes. Notamment, il est reproché à celles-ci de ne pas laisser suffisamment de place au développement des capacités mentales et cognitives des athlètes. Ainsi, les vieilles méthodes se limiteraient à des drills où les athlètes sont confinés à une attitude passive et dépourvue d’imagination.

Ainsi, pour stimuler l’apprentissage au point de vue mental et cognitif, le cerveau de l’athlète doit être tenu actif au moment des drills. Il n’y a pas à attendre. Dès l’initiation de l’athlète, il y possibilité d’intégrer à son entraînement certains éléments aléatoires, notamment pour ce qui est de la défensive, ainsi que plusieurs aspects touchant la prise de décision (ex : simulation dans le choix de tactiques de base, anticipation des gestes de l’adversaire, recherche de solutions, etc…).

Ici encore, la méthode hybride est d’un grand secours. Elle permet d’ajouter aux drills classiques un bon nombre de ces éléments de nature psychologique qui reflètent la réalité d’un combat. L’athlète se trouve alors à pouvoir exercer ses facultés de gestion mentale, par exemple, en étant soumis par l’entraîneur à diverses mises en situation où il peut notamment faire preuve d’initiative.

Comme on peut s’en douter, en utilisant l’approche hybride, l’entraîneur est lui-même appelé à jouer un rôle différent de celui qui lui est dévolu selon la méthode traditionnelle. Or, sur ce point, les tenants des nouvelles méthodes tiennent un discours qui risque encore de polariser le débat.

Le feedback de l’entraîneur

Pour ce qui est de l’approche traditionnelle, le feedback est l’outil principal dont dispose l’entraîneur pour apporter des correctifs chez les athlètes. Toutefois, aux yeux des tenants des méthodes nouvelles, le nombre de feedback à l’entraînement doit être diminué de façon considérable. Bien évidemment, une telle affirmation a de quoi inquiéter les entraîneurs. Ceci n’équivaut-il pas à laisser l’athlète à lui-même?

L’expression « diminuer le nombre de feedback » est une expression malheureuse. En fait, ce n’est pas tant le nombre, mais plutôt la nature des feedback qui est ici en cause. Par exemple, au lieu de reprendre l’athlète à chacune de ses répétions, pourquoi pas l’interroger sur sa compréhension dans le but de l’amener à réfléchir par lui-même? Pourquoi pas le questionner à partir d’analyses vidéo? Mais ce n’est pas si simple.

Adonis Stevenson a l'entrainementSi l’effort de l’entraîneur pour inciter les athlètes à réfléchir par eux-mêmes se traduit par une soudaine diminution des feedback, alors cette situation pourrait conduire à une méprise. C’est que la plupart des athlètes s’attendent à recevoir de leur entraîneur un grand nombre de directives spécifiques. Ils n’accepteraient guère qu’on ne leur demande pas d’apporter des correctifs tout au long de leur apprentissage. Ces athlètes pourraient alors se sentir négligés. Le cas échéant, l’entraîneur pourrait lui-même avoir l’impression de ne pas être activement impliqué.

Amener les athlètes à réfléchir par eux-même n’est donc pas une tâche aussi simple qu’elle ne le paraît. Les entraîneurs n’ont pas nécessairement la maîtrise d’une telle habileté. D’ailleurs, en principe, ils n’ont reçu aucun enseignement à cette fin. En outre, des résultats de recherche montrent que l’entraînement à la prise de décision amènerait chez l’athlète une meilleure rétention et un meilleur transfert de ses habiletés à long terme, alors qu’à court terme, la méthode traditionnelle serait plus avantageuse. N’y a-t-il pas de quoi encore insécuriser les entraîneurs?

Pour toutes ces raisons, l’approche hybride paraît demeurer l’option la plus intéressante du fait qu’elle peut se satisfaire du meilleur que comportent ces deux méthodes. De plus, l’intérêt de cette formule pourrait être de favoriser au départ les aspects traditionnels de l’entraînement et, au fur et à mesure de la progression de l’athlète, mettre davantage l’accent sur les aspects aléatoires et de prise de décision.

Enfin, une telle formule permettrait à l’entraîneur lui-même de progresser à son rythme. Ainsi, il pourrait éventuellement diminuer le nombre de ses feedback en fonction des progrès réalisés par les athlètes. En revanche, l’entraîneur doit demeurer alerte. Il ne doit jamais hésiter de reprendre l’athlète lorsque la technique de ce dernier n’atteint pas un seuil acceptable. Le cas échéant, l’entraîneur pourrait devoir recourir à l’approche traditionnelle, notamment quant à la forme des feedback. Les méthodes nouvelles ne sont pas infaillibles. L’entraîneur doit donc demeurer lucide en les utilisant.

Par ailleurs, je n’ai aucun doute. La pratique aléatoire (la prise de décision) possède tout le potentiel pour apporter une plus-value aux conditions d’entraînement de la boxe. Déjà, ces méthodes d’entraînement sont bien établies au sein de plusieurs disciplines sportives en vue de développer les aspects mentaux et cognitifs si essentiels à la performance des athlètes. Il ne nous reste qu’à les apprivoiser.

Conclusion

Compte tenu des difficultés que pose l’utilisation des nouvelles méthodes d’entraînement, l’approche hybride m’apparaît comme étant la formule la plus appropriée pour les entraîneurs de boxe. Elle permet notamment une adaptation progressive des conditions d’entraînement lorsque l’objectif premier est de simuler les situations que les boxeurs vivent dans un combat.

En second lieu, l’approche hybride s’avère un excellent moyen pour les entraîneurs qui désirent sensibiliser les athlètes à une plus grande autonomie dans le ring. Cette approche a pour effet d’amener les boxeurs à développer leur capacité d’auto-analyse ainsi que de nouvelles habiletés sur le plan tactique.

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