Lucian Bute : L’agonie de la défaite

Par : Benoît Dussault

Hier, Eleider Alvarez et Lucian Bute se sont livrés un dur combat. Après un percutant KO au cinquième round, le Colombien a fièrement les bras levés au ciel. Il est assez facile d’imaginer la suite des choses pour lui, mais qu’en est-il pour le perdant, Lucian Bute? Même en cas de retraite, il aura un processus à compléter pour relever la tête avec la fierté qu’on lui connaît.

« …Moi je reste là et je regarde Belinda, et je me rends compte que quand un boxeur est battu, tous ceux qui croient en lui sont battus du même coup – sa famille, ses amis, ses enfants, les gens qui l’acclament, qui lui donnent leur amour, leur espoir, leur orgueil. Quant à moi, je sais qu’aucun boxeur ne peut survivre s’il les laisse aller à s’attendrir sur son sort après une défaite (…) il faut que je me relève et que je remette ça, quelque humiliante que soit la défaite – » Muhammad Ali après sa défaite contre Ken Norton en mars 1973               1

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été bizarrement fasciné par le sort réservé au boxeur vaincu. Celui qui reste assis dans son coin, anéanti et dévasté, alors que le vainqueur saute de joie au milieu du ring, soulevé par la foule. Je ne peux m’empêcher de me demander ce que lui réserveront les prochains jours, les prochains mois? Combien de temps durera sa traversée du désert? À quel point sera grande la tristesse du réveil? Combien de temps sera-t-il obsédé par l’image du coup de poing qui l’a envoyé au plancher? Combien de temps vivra-t-il avec le sentiment d’avoir laissé tomber ceux qui croient en lui?

Dans le sport comme dans toutes les sphères de notre vie, la griserie de la victoire et le poids de la défaite sont proportionnels à l’enjeu. Plus l’enjeu est important, plus les sensations engendrées par le succès ou par l’insuccès sont amplifiées. Autant la victoire est grisante et exaltante, autant la défaite peut être destructrice et parfois laisser des séquelles psychologiques irréversibles.

En boxe professionnelle de haut niveau, chaque combat revêt un enjeu considérable. Tandis que la victoire propulse l’athlète dans les classements et lui offre des occasions de combats de plus en plus intéressantes, la défaite affecte non seulement l’égo du boxeur, mais peut aussi avoir des répercussions catastrophiques sur la progression de sa carrière : recul dans les classements, bourses moins généreuses, occasions qui ne viennent pas, qui ne viennent plus, oubli.

Certains boxeurs réussissent à revenir plus fort après une défaite alors que d’autres ne s’en remettent vraiment jamais et en gardent des séquelles permanentes. Prenons le cas de Jean Pascal qui a démontré une force de caractère impressionnante en étant capable d’analyser sa défaite contre Froch et d’en tirer les leçons qui lui ont servi dans ses combats subséquents. Grâce à cette défaite, il est devenu un meilleur boxeur. Plusieurs diront même que cette défaite a été la meilleure chose qui pouvait lui arriver. À l’autre bout du spectre, souvenez-vous de Fernando « Ferocious » Vargas qui, à 23 ans et toujours invaincu après 21 combats, s’est fait passer le K.O. par Félix Trinidad. Vargas, n’a plus jamais été le même par la suite, les poings de Trinidad ayant laissé une marque indélébile dans sa mémoire. Il a pris sa retraite en 2007, à l’âge de 30 ans.

« Quand le knock-out vient d’un coup qu’on n’a pas vu arriver, on s’en remet vite (…) mais le coup que l’on voit venir, et qu’on ne peut esquiver, celui-là s’enregistre et on le rejoue aux moments les plus idiots. En rêve. Ou rien qu’en se baladant dans la rue. » – Jersey Joe Walcott (champion des lourds 1951-52)

Comment reviendra Bute qui a perdu par K.O. ? Réussira-t-il à accepter cette défaite et à y puiser du positif ou sera-t-il hanté par les images du K.-O. comme l’ont été Walcott et Vargas? Ou encore choisira-t-il d’accrocher ses gants ?

Des défaites qui assassinent et des défaites qui réveillent

Il y a des défaites dont on ne se remet jamais et d’autres qui deviennent des leviers. Entre ces deux réalités, il existe autant de défaites que de boxeurs. Chacun composera avec la défaite à sa façon selon sa force de caractère, mais aussi la manière dont elle est survenue, le moment de la carrière, la qualité de la préparation au combat, et de nombreux autres facteurs impondérables. Bien qu’on ne puisse pas se préparer à la défaite, un boxeur bien entouré aura plus de facilité à l’accepter rapidement et réussira à en tirer des leçons qui l’aideront à progresser.

Enfin, la défaite nous force aussi souvent à faire face à nos propres limites. On peut penser à Saul Alvarez qui est maintenant plus en mesure de se situer par rapport aux meilleurs du classement livre pour livre depuis sa défaite face au champion Mayweather. Il sait ce qui lui manque pour monter sur la plus haute marche. Il en est de même pour Dierry Jean qui avec deux défaites face à des champions du monde ne peut que constater que même avec tous les ajustements possibles, il ne pourra jamais détrôner les meilleurs de la division.

Surmonter la défaite

Tenter de saisir toute la portée d’une défaite chez un boxeur en pleine ascension représente une tâche quasi impossible tellement le désarroi et la détresse peuvent être profonds. Pour plusieurs psychologues sportifs, la période que doit traverser un boxeur après une défaite s’apparente à celle du deuil ou celle d’un revers personnel important comme un divorce, une faillite ou un congédiement.

Pour surmonter l’échec et arriver à en tirer profit, le boxeur vaincu doit franchir cinq phases psychologiques: le refus, le passage à vide, la réflexion, l’acceptation et finalement l’apprentissage. Chaque phase peut durer de quelques heures à plusieurs années. La durée impartie à chaque phase varie selon la force de caractère et le contexte de la défaite. Par exemple, David Lemieux a probablement mis beaucoup plus de temps à surmonter sa défaite face à Joachim Alcine, qu’il en a mis pour surmonter celle subie aux mains de Marco Antonio Rubio. Le boxeur est le même, le résultat est le même, mais le contexte des deux défaites est complètement différent.

Il a dû traverser les cinq mêmes phases psychologiques, mais la durée de chacune a été cependant beaucoup plus longue. Plus le boxeur s’approche de la cinquième phase, plus il peut affirmer avoir fait face à son échec et être prêt à aller de l’avant. Ce ne sont pas tous les boxeurs qui arrivent à traverser les cinq phases, comme ce ne sont pas tous les entrepreneurs qui tirent des leçons d’une faillite. Nombreux sont ceux qui se relancent en affaires rapidement et connaissent le même sort, parce qu’ils répètent les mêmes erreurs. Il faut arriver à reconnaître ses erreurs et à les corriger ou, à tout le moins, à ne pas les répéter. Il faut espérer qu’à son deuxième mariage on ne refasse plus les mêmes erreurs que lors du premier. On choisit une partenaire (une adversaire, c’est selon!) qui convient mieux à notre style.

1.    La phase du refus

Le boxeur refuse le verdict. Il est en colère. Il cherche une explication extérieure à lui-même, à rejeter la faute sur quelqu’un d’autre. « J’étais blessé lorsque j’ai accepté le combat » « C’est un coup illégal qui m’a ébranlé » « Les juges m’ont volé, j’ai été battu par une décision locale », « J’ai déjà battu des boxeurs bien meilleurs que lui », « Je n’ai pas eu le temps de me préparer adéquatement », « J’ai accepté le combat à la dernière minute », etc.

Pensons simplement à Éric Lucas qui avait invoqué une blessure aux côtes après sa défaite aux mains de Danny Green ou à Sébastien Demers qui s’est plaint d’avoir reçu un coup de coude au visage contre Brian Vera. Dans les deux cas, les boxeurs disent vrai et les facteurs invoqués ont probablement contribué à leur défaite. Cependant, il est très néfaste pour l’athlète de rester longtemps dans cette phase car elle l’empêche d’avancer et de tirer profit de la défaite.

2.    La phase du passage à vide

Le boxeur réalise enfin qu’il a bel et bien perdu, qu’il n’y aura pas de protêt et que la décision ne sera jamais changée. Le sentiment de colère qui l’habite se transforme progressivement en un sentiment de tristesse, une sensation de vide. Il s’agit d’une transition naturelle pour accepter une réalité à laquelle nous ne nous attendions pas. Le boxeur doit prendre le temps nécessaire pour vivre cette période de découragement et de tristesse. Son entourage doit être vigilant pour éviter que le boxeur sombre dans la dépression ou développe des habitudes de vie ou des comportements malsains. Personne n’aime être dans un état de tristesse et le boxeur finira par retrouver l’envie d’avancer.

3.    La phase de réflexion

Durant cette période, les émotions commencent à laisser place à la rationalisation. Le boxeur réalise que la vie continue malgré tout, que ce qui lui est arrivé est bien dommage, mais que tout n’est pas pour autant fini. Il comprend que même les plus grands boxeurs au monde sont passés par là. Il relativise sa situation par rapport à d’autres qui ont surmonté des situations considérablement plus dramatiques que la sienne. Le boxeur commence à se sentir mieux émotionnellement et physiquement. Il évalue l’ampleur de sa défaite par rapport à sa vie en général. C’est durant cette phase que le boxeur reprendra l’entraînement de façon plus ou moins engagée et commencera à envisager son prochain combat et à faire des plans d’avenir.

4.    La phase d’acceptation

Le boxeur reconnaît et accepte que cette défaite fait maintenant partie de sa vie, de son passé. Il ne blâme personne en particulier pour sa défaite. À ce stade, le boxeur considère que la défaite était inévitable compte tenu de son expérience, de sa préparation, de son entourage. Le boxeur est prêt à tourner la page, à passer à autre chose. Il parle ouvertement de sa défaite, sans émotion, avec une certaine sérénité.

5.    La phase d’apprentissage

Le boxeur a maintenant accepté sa défaite et il est capable de l’analyser, d’en comprendre les raisons et d’en tirer des leçons. Le boxeur se considère même chanceux d’avoir vécu cet échec puisqu’il lui procure une expérience beaucoup plus riche. Le boxeur sait désormais quelles erreurs ne pas répéter et sait qu’il réagira différemment dans une situation similaire. Il se sent plus fort qu’auparavant et mieux préparé à affronter les différentes situations qui se présenteront à lui.

Malheureusement, ce ne sont pas tous les boxeurs qui parviennent à la phase d’apprentissage. Beaucoup ne dépassent jamais la phase d’acceptation et répètent les mêmes erreurs. Le seul avantage d’une défaite pour un boxeur est qu’il peut l’utiliser pour se constituer un bagage d’expériences diversifiées et une force de caractère qui lui serviront un jour. Lorsque cette expérience chèrement acquise lui procurera une victoire, l’euphorie en sera encore plus grande. Par contre, remonter sur le ring avant d’avoir pu tirer des leçons positives de la défaite peut s’avérer très risqué. Le boxeur qui précipitera son retour après un échec sera nécessairement plus hésitant et plus craintif, surtout s’il se retrouve devant une situation semblable à celle ayant causé sa défaite. De plus, les conséquences d’une autre défaite, alors que la précédente n’est pas complètement assimilée, pourraient être dévastatrices.

1 et 2 Le plus grand, Muhammad Ali et Durham Richard. Gallimard 1975

3. Faysal Hafdi ; comment digérer une défaite, décembre 2007

Pyschologiedusportif.fr

Sports psychology : Concepts and Applications, 5th edition, Richard H. Cox. 2002

article préalablement publié dans le magazine de la Zone de boxe

One Comment

  1. k.gauthier

    21 janvier 2014 at 7 h 35 min

    c’est déplorable , au lieu de dire quil c’est fait détruire par jean pascal , il se trouve des excuse comme quoi il a quelque chose dans la tête qui l’empêchait de frapper . s’il n’était pas capable de frapper il avais juste a pas ce battre , il a accepter le combat en disant etre en super forme et tout donc assume le faite que tu étais tout simplement un moins bon boxeur . ce fut une destruction hahaha PAS D’EXCUSE ASSUME

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